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L'industrie pharmaceutique se fait dorer la pilulevieuxcmaq, Mercredi, Avril 4, 2001 - 11:00 (Analyses)
Simon Hobeila (shobeila@hotmail.com)
Brevets en main, les compagnies pharmaceutiques s'assurent d'un quasi-monopole des nouveaux remèdes disponibles sur le marché. Des millions de dollars et votre santé entre ses mains, voici comment l'industrie pharmaceutique assure ses revenus. En l'an 2000, alors que l'ensemble des marchés boursiers connaissait une baisse considérable de ses actifs, l'industrie pharmaceutique accusait une hausse de 27 % de ses gains. En fait, depuis 1967, le rendement des pharmaceutiques a été sept fois meilleur que celui de la Bourse en général. Comment expliquer un tel succès? D'une part, la consommation de médicaments est en constante progression partout à travers le monde. Au pays, 291 millions d'ordonnances ont été prescrites l'an dernier, ce qui représente une moyenne de neuf ordonnances par canadien! Aussi, les dépenses en médicaments par personne ont plus que doublées dans les 25 dernières années, à un point tel que plus d'argent est consacré à l'achat de médicaments qu'aux salaires des médecins. Mais ce qui assure de grands revenus aux compagnies pharmaceutiques, c'est avant tout l'octroi de brevets pour leurs découvertes. Quand une compagnie découvre un nouveau remède (une nouvelle molécule), un brevet lui en assure l'exclusivité pendant 20 ans. En général, il lui faut environ dix ans pour en tirer un médicament sécuritaire et efficace qui puisse être mis en marché, ce qui laisse une autre décennie d'exclusivité commerciale au nouveau produit fini pour rembourser les coûts de recherche et développement. Médicament d'origine et médicaments génériques, quelles différences ? Une fois la période de 20 ans garantie par le brevet expirée, le médicament appartient au domaine public. À partir de ce moment, toute compagnie est libre de produire sa propre copie du médicament, dite générique. Selon les données de IMS Health Canada, une firme spécialisée dans l'information sur le milieu pharmaceutique et des soins de santé, les versions génériques des médicaments coûtent en moyenne deux fois moins cher que la version originale. La raison en est bien simple : ces compagnies n'investissent pas un sou dans la recherche et le développement des médicaments qu'ils fabriquent, et peuvent donc se permettre de les vendre à meilleur marché, sans toutefois se priver de profits considérables. Autrement dit, ils ont un peu « tout cuit dans le bec », mais en bout de ligne, c'est le patient qui y gagne en économie. Seul un médecin peut émettre une ordonnance, mais c'est au pharmacien que revient le choix de donner un médicament d'origine ou générique, à moins d'avis contraire du médecin. « Les médicaments génériques sont pour la plupart aussi efficaces que les originaux. Mais un médecin prescrit toujours les médicaments qu'ils croient les meilleurs pour son patient. Dès lors, s'il a un doute quant à l'efficacité d'une copie, il prescrira l'original », dit le docteur Simon Khouz, cardiologue et chercheur au Centre hospitalier régional de Lanaudière (CHRDL). Durant les hospitalisations, par exemple, les hôpitaux prescrivent presque systématiquement des médicaments génériques. Le système de santé canadien réalise ainsi des économies de taille. Peu de vraies découvertes, beaucoup de brevets « Les percées majeures, les breakthroughs, sont très rares dans le domaine pharmaceutique et relèvent souvent de la chance», selon le docteur Khouz. Le Viagra était avant tout un produit testé pour combattre l'angine! « En fait, il y a beaucoup de développement en matière de médicaments, mais peu de bénéfices en matière de traitement », selon le cardiologue-chercheur. Au cours des années 1980, la compagnie Merck envoie une équipe de spécialistes dans une région de la Chine où les crises cardiaques sont extrêmement rares. On y observe alors que les habitants de la région y consomment une grande quantité de champignons. Après analyse, on a découvert que cette variété de champignons contenait un élément actif qui combat le cholestérol : la statine. Une nouvelle classe de médicaments était née. Quand une compagnie découvre une nouvelle catégorie de médicaments, il y a ce que l'on appelle un effet de classe. Les compagnies concurrentes s'attardent alors à trouver une nouvelle molécule - pour ne pas violer le brevet du découvreur - qui a le même effet sur l'organisme que la première. Alors, une panacée de médicaments, légèrement plus efficaces que le premier mais toujours plus chers, arrive sur le marché n'apportant que peu à l'humanité, mais rapportant beaucoup dans les poches des pharmaceutiques. Une autre pratique courante de l'industrie consiste à faire breveter plusieurs fois un même médicament. Il existe deux moyens répandus de le faire. La première méthode consiste à trouver un nouvel usage à un médicament. Pfizer, par exemple, est le fabricant de l'antidépresseur Zoloft prescrit en cas de dépression, dont le brevet a pris fin en 1999. Mais voilà que Pfizer a découvert qu'il pouvait aussi servir au traitement de troubles de paniques et de troubles obsesso-compulsifs, et a refait breveter le Zoloft à ces fins. Ainsi donc, pour soigner la dépression, vous pouvez acheter la version générique moins chère, mais pour des troubles de panique, vous devrez éventuellement acheter l'original à plein prix! L'autre moyen est de faire breveter de nouvelles doses du même médicament. Si la compagnie prouve qu'un médicament est plus efficace en quantité plus élevée, elle peut faire breveter le nouveau format. Par exemple, une pilule offerte en dose de 60 milligrammes pourrait être rebrevetée en dose de 80 mg, et ainsi de suite, tant que l'on pourra prouver que la nouvelle dose est meilleure que la précédente. Et tant que la compagnies a l'exclusivité de la production du médicament, elle seule est à même de faire des tests pour savoir si une quantité supérieure assure un meilleur traitement. Une nouvelle génération de compagnies, ni d'originaux ni de génériques, a vu le jour au Canada. Biovail, la seule compagnie pharmaceutique canadienne - les autres ont leur siège social ailleurs au monde - a, à son tour, réussi à déjouer les grandes multinationales. Biovail fabrique des médicaments dont les brevets sont expirés, mais change le mode d'absorption de ceux-ci. Ainsi, fini les pilules à prendre matin, midi, et soir : Biovail fabrique le même médicament à prendre en un seul comprimé et brevette l'invention à son tour! Vous avez dit une affaire d'argent? L'industrie pharmaceutique et nos gouvernements Une série de mesures ont été prises tant au fédéral qu'au provincial pour attirer les multinationales à s'établir chez nous. Créatrices d'emplois, bassins de recherche intéressants, débouchés pour les jeunes universitaires, le Québec compte 24 de ces entreprises pour 7800 emplois. Au coeur de la stratégie industrielle du Québec, défendue par Bernard Landry alors qu'il était aux Finances, il y a la règle dite « de 15 ans ». Quand un médicament breveté est mis en marché, le gouvernement lui garanti l'exclusivité pendant 15 ans en interdisant la vente d'équivalents génériques, même après l'expiration du brevet. Selon Jim Keon, président de l'Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques (ACFPP) qui représente les fabricants de médicaments génériques, cette règle en coûterait 25 millions de dollars par année au gouvernement québécois en prolongeant inutilement la protection offerte aux multinationales, alors que les génériques sont déjà disponibles. L'ACFPP donne en exemple le cas d'Eli Lilly, fabricant du Prozac, dont le brevet est expiré depuis 1996, mais pour lequel le gouvernement remboursera l'original jusqu'en 2004. À noter qu'Eli Lilly fabrique elle-même une version générique de son produit depuis 1995, alors que les autres compagnies génériques seront tenues à l'écart du marché jusqu'en 2004. Devant l'augmentation de 17% des coûts du programme de Régime d'assurance médicaments du Québec (RAMQ) en un an, Pauline Marois, à ses dernières heures à la Santé, a envisagé abolir la règle des 15 ans. Elle a aussi invoqué la possibilité pour le RAMQ de ne rembourser que le médicament le moins cher d?une catégorie, combattant ainsi l'effet de classe invoquée précédemment. «Il est possible de reconnaître les investissements des entreprises innovatrices d'une autre façon, soit par des formules fiscales, soit par des formules subventionnaires», a-t-elle avancé. Quant au gouvernement fédéral, il a déjà fait passer la durée des brevets de 17 à 20 ans pour se conformer aux normes de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) et prévoit des dispositions spéciales à l'endroit des fabricants de médicaments d'origine dans la Loi sur les brevets. Si un fabricant de médicaments d'origine accuse un fabricant de médicaments génériques de contrefaçon de brevet, la loi prévoit une injonction automatique de 24 mois qui confère 2 années de plus sans concurrence commerciale au fabricant d'origine, que la plainte soit fondée ou non. Voilà un moyen facile de prolonger son monopole. Propriété intellectuelle et droit à la santé Les multinationales justifient le prix élevé des médicaments par les coûts colossaux de la recherche et du développement. Pour Murry J. Elston, président des compagnies de recherche pharmaceutique du Canada (Rx), «sans une protection efficace de la propriété intellectuelle, les ressources nécessaires à ces recherches risquent de diminuer grandement». Effectivement, la recherche est le vecteur primordial du progrès dans le domaine des soins de santé. On pourrait facilement imaginer la catastrophe si tous arrêtaient le développement de nouveaux médicaments pour ne fabriquer que des génériques! Toutefois, une grande partie des budgets de recherche & développement est consacrée au marketing des nouveaux médicaments. Cela démontre bien la nature simple de la problématique : d'un côté, les grandes multinationales représentant des intérêts privés qui doivent assurer des profits à leurs actionnaires; de l'autre, le droit de tous à accéder aux meilleurs traitements disponibles. Pour ceux qui voudront bien l'entendre, une simple leçon d'histoire sur la condition humaine, nous rappelle le docteur Simon Khouz : « Sans incitatif à la recherche, le monde court à sa perte. Et dans nos sociétés modernes, l'incitatif, c'est l'argent. » |
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