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Le mouvement syndical face à la mondialisation

vieuxcmaq, Vendredi, Février 2, 2001 - 12:00

Georges A. Le Bel (lebel.georges@uqam.ca)

Le Président Clinton des États-Unis vient d’annoncer qu’il réactivait les négociations commerciales avec le Chili sur la base de l’Accord de libre-échange avec la Jordanie qui comme par hasard est le premier accord depuis l’ALENA à contenir des dispositions sur le travail et l’environnement. Pourquoi ? La seule réponse possible est de préparer la bataille contre la politique de son successeur. On sait que BUSH veut l’extension rapide de l’ALENA à toute l’Amérique, mais probablement sans les annexes sur le travail et l’environnement. Le moyen d’embarrasser Bush est de stimuler l’opposition pour inciter les élus démocrates à résister aux pressions des grandes corporations pour l’ouverture des marchés et la libéralisation des échanges. Cette opposition s’appuie pour le moment sur les exigences sociales et environnementales. C’est probablement pour nous un risque et une opportunité. Mais alors que l’attention de tous les groupes est fixée sur les effets sociaux et économiques de cette politique et de ces accords, c’est en fait le transfert de pouvoir en faveur des grandes corporations et la réduction du rôle de l’État qui est la caractéristique de ces politiques. Et c’est précisément cela qui change la rapport de force des travailleurs dans nos différents pays.

L’intégration économique des Amériques :
un changement des rapports de pouvoirs dans nos sociétés

Certes, il est question de commerce, mais de beaucoup plus que cela : on parle d’investissement, de politique d’achats publics, de circulation des personnes et des entreprises, de soumission des politiques locales à l’évaluation de panels d’experts étrangers, de possibilité pour les firmes de contestation judiciaire des décisions de l’État qui restreindrait leur opportunité de profits. Tout cela change et peut changer encore le paysage dans lequel s’exerce l’action syndicale.

Surtout, c’est le rapport de force qui se trouve changé par le discours dominant qui permet aux patrons de faire pression sur les syndicats pour qu’ils abandonnent les droits si durement acquis. C’est le chantage à la délocalisation, la mise en concurrence fictive de travailleurs des pays plus pauvres qui acceptent de travailler à des salaires incroyablement bas. Ce discours et ce chantage sont faux, mais si les travailleurs se laissent prendre à la propagande libérale, ce discours a les mêmes effets que s’il correspondait à la réalité.

Aussi ce discours permet une transformation de l’organisation traditionnelle du travail, dont la particularité est de transférer les risques (mais pas les profits) du patron aux travailleurs et de supprimer les protections sociales acquises des luttes passées. Cela prend la forme de l’extension de la sous-traitance, de l’accroissement du travail informel, de la précarisation des emplois, du recours systématique au travail à temps partiel, de l’utilisation de pseudo-travailleurs autonomes. C’est ce que certains appellent la tertiairisation du marché du travail avec la sous-contractualisation, la sous-traitance d’une foule d’activités (services administratifs, planification, comptabilité, publicité) et surtout l’abandon par les entreprises de leurs responsabilités sociales au nom de la compétitivité internationale...

Le monde du travail bouleversé

Tout cela exige ce qu’ils appellent la FLEXIBILISATION des rapports de travail par la remise en cause des conditions juridiques dans lesquelles ils s’exercent.

Les négociations commerciales internationales sont précisément le lieu où les patrons vont chercher les arguments qu’il leur faut pour faire pression sur leurs travailleurs pour obtenir les concessions nécessaires au maintien de ce qu’ils appellent leur compétitivité internationale : une fois les frontières ouvertes, les produits nationaux devraient êtres aussi performants et peu coûteux que les moins chers des produits disponibles sur le marché international une fois transportés.

C’est ici que l’on voit que ces négociations commerciales internationales poursuivent en fait des objectifs de transformation des conditions de la production locale; et surtout que des transformations échappent aux gouvernements nationaux pour répondre aux exigences des firmes engagées sur le marché international. Et c’est ce phénomène de transfert du lieu du pouvoir des États aux corporations engagées dans le commerce transnational qui est la caractéristique contemporaine : le transfert de pouvoirs aux corporations transnationales.

Les travailleurs se trouvent alors en face d’un défi nouveau puisque se trouve discrédité et rendu quasi inopérant pour eux, l’État dont l’appui garantissait des conditions juridiques minimales et certains droits. Allons-nous nous mettre à défendre l’État ou sa souveraineté attaquée ? Historiquement, ce fut le combat de la droite, et l’opposition résolue des organisations syndicales n’a pas fait obstacle au libre-échange nord américain.

Cela dit, les travailleurs sont attaqués durement. Partout on constate des baisses marquées des taux de syndicalisation. Partout les organisations syndicales plafonnent et ne réussissent pas à rejoindre les nouvelles formes de travail. La formule traditionnelle de l’action syndicale peine à répondre aux conditions nouvelles - que l’on dit post-fordistes - des économies dominées par le secteur des services avec un recours accru à l’automatisation et à l’informatisation. Pensons aux batailles très dures chez-nous pour la syndicalisation dans le domaine de l’hôtellerie, de la restauration rapide (MacDonald) ou des banques. Peut-on imaginer un nouvel arrangement institutionnel :
- Qui fasse face à la diversité de la force de travail
- Qui transcende la difficulté d’en arriver à une unité idéologique
- Qui réussisse à articuler les intérêts en termes non traditionnels
- Qui garantisse la participation citoyenne des travailleurs et des chômeur.

Les défis du mouvement syndical

C’est beaucoup et il y en a de nombreux autres objectifs à poursuivre et défendre.

Les réponses syndicales sont diverses et diversement évaluées. Nous verrons des expériences canadiennes face au néo-libéralisme sachant que le syndicalisme est fondé sur la solidarité alors que le néo-libéralisme érige l’égoïsme en vertu.

Pour certains, la globalisation est inéluctable et il faut appuyer le gouvernement dans ses efforts d’adaptation et de flexibilisation du marché du travail pour devenir ou rester concurrentiels. C’est principalement le cas aux USA où les syndicats ont négocié un plan d’aide aux travailleurs qui souffrent des conséquences de l’ALENA, mais ce plan est très peu utilisé, car là comme ici la preuve de l’effet NAFTA est difficile à faire.

D’autres vont plus loin et proposent la concertation et le "PARTENARIAT" – c’est l’expression à la mode actuellement. Ces formules impliquent une certaine complicité avec un gouvernement conçu comme amical et sympathique à nos revendications. Bien que produisant quelquefois des résultats intéressants, cette tactique de collaboration est source de démobilisation syndicale. Les syndicats se transforment alors en systèmes bureaucratisés d’assurance ou de protection sociale, qu’on assimile vite à des services para-gouvernementaux. Cela amène à des projets de restructuration de l’action syndicale avec la négociation permanente (raisonnée), la négociation pluri-patronnale ou sectorielle, sans toutefois aller jusqu’à la formation d’un parti des travailleurs...

Au Québec, les syndicats ont mis sur pied un système d’épargne-retraite privé qui investit dans les entreprises créatrices d’emploi; le principal, le "Fonds de solidarité", accumule des milliards et joue le jeu de la spéculation capitaliste, souvent en synergie avec la Caisse des dépôts étatique qui gère les fonds de retraite publics. Ces immenses concentrations de capitaux qui intègrent la logique capitaliste au nom de la défense des intérêts de leurs travailleurs jouent à fond le jeu de la mondialisation, et comportent de troublantes contradictions. C’est précisément aux exigences et modes de gestion de ces nombreux fonds de pension que l’on attribue les transformations actuelles en un capitalisme financier international.

L’économie sociale ou solidaire

Un peu en réaction au caractère uniquement financier de cette action syndicale, nous avons assisté chez-nous à une très forte poussée de la promotion de "l’économie sociale", ou "économie solidaire" par les organisations syndicales. Plutôt que d’aborder l’économie capitaliste par son côté financier, ce mouvement propose de créer entre le secteur privé et l’intervention économique de l’État providence d’ailleurs en cours de privatisation, un troisième secteur qui s’appuie sur l’aide de l’État pour créer des emplois dans des secteurs où la demande sociale n’est pas économiquement solvable. Ce sont les services de proximités aux malades, aux personnes agées, des services de ménages, de gardiennage, etc.. Ces entreprises à gestion participative servent à la création d’emploi, à la réinsertion des chômeurs, à la régularisation du marché noir et à la récupération des travailleurs de l’économie informelle. Cette formule donne lieu à des débats acerbes avec les anciennes formes de la coopération traditionnelle qui restent importantes chez-nous dans le secteur bancaire et agricole; les mutuelles s’étant toutes privatisées récemment.

Ces trois formes nouvelles d’actions syndicales risquent cependant de restreindre le militantisme proprement syndical, parce que les travailleurs voient leurs organisations se transformer en des appareils qui leur fournissent des garanties importantes qu’ils ne veulent plus risquer dans des affrontements avec les patrons. Dans ce contexte, la grève devient un phénomène de plus en plus exceptionnel, qui est de plus en plus durement réprimé par l’intervention de l’État quand elle se produit. Parfois on a l’impression de retourner à l’anti-syndicalisme des années vingt. Les dernières grandes grèves au Québec et au Canada se sont terminées par des lois spéciales, des interventions policières et des arrestations, des amendes dépassant le million de dollars et la désorganisation syndicale. Il faut comprendre par ailleurs que des législations particulières fixent des conditions de création de syndicats dans le secteur traditionnel et interdisent l’embauche de briseurs de grèves, ce qui civilise un peu les rapports de travail.

Mais tous ces phénomènes amènent la transformation de l’action syndicale. Même si le but premier de l’action syndicale reste la défense des intérêts immédiats et concrets des membres dans leur rapport de travail, on ne peut ignorer que le rapport de force est transformé par la nouvelle présentation idéologique des rapports sociaux.

La pratique syndicale se transforme du fait que le rapport de force ne s’exerce plus seulement sur les lieux et dans le rapport de travail, mais aussi maintenant dans le rapport de consommation : ce sont les campagnes internationales de boycott de produits, l’achat de produits équitables, les campagnes de dénonciation des pratiques de travail contraires aux droits des travailleurs et qui suscitent la réponse des multinationales par l’adoption de codes volontaires de conduite et la cooptation de groupes autoproclamés de protection des droits comme vérificateurs de la mise en œuvre de ces codes; l’intégration d’une idéologie de la société civile contre l’État à l’appui des multinationales dans une logique de Partenariat, de concertation.

Dans le contexte de la mondialisation, les syndicats sont amenés à développer une nouvelle forme d’action en alliance avec les mouvements sociaux. La particularité des mouvements sociaux, c’est qu’ils ne représentent pas leurs membres, mais plutôt un problème considéré comme important par leurs membres. Chaque mouvement se spécialise dans une revendication particulière. Nos syndicats refusent de se faire enfermer dans cette vision limitée de leur action, parce que s’attachant au rapport social fondamental qui est le rapport de travail, ils savent que tout le reste en dépend.

Ils sont cependant amenés à agir socialement sur tous les champs d’intervention et sur tous les problèmes en COALITION avec l’ensemble ou la plupart des mouvements sociaux. Nous avons mis sur pied au Québec une telle coalition permanente, Solidarité populaire Québec, qui bat de l’aile en ce moment principalement parce qu’on n’en arrive pas à arrimer les besoins changeants du mouvement populaire axé sur des batailles sectorielles et ponctuelles, avec des tactiques à plus long terme des grands syndicats.

Conclusion

Le but premier de l’action syndicale est la défense immédiate et concrète des membres. Toute réflexion sur l’action doit partir de cette réalité. Un syndicat qui ne réussit pas à s’interposer entre l’arbitraire patronal et les exigences légitimes de ses membres oublie son rôle et sa pertinence.

Mais il faut comprendre que la mondialisation, c’est ici. C’est dans la privatisation de la santé, de l’éducation, de la protection sociale et des retraites, que les patrons forgent leur nouveau rapport de force qui obligeront les travailleurs à refaire des luttes pour des droits qu’ils croyaient acquis; et que luttant pour des droits acquis, ils n’en oublient pas non plus la défense de revendications qui pourraient leur attirer les forces nouvelles de ces nouvelles formes de travail qui échappent au syndicalisme traditionnel.

On n’a donc pas le choix, il faut de se battre sur tous les fronts. Localement, il faut renforcer le caractère représentatif et surtout constamment démocratique de nos organisations. Politiquement, il faut forcer nos gouvernements à maintenir les garanties juridiques des droits des travailleurs. Socialement, il nous faut maintenir une alliance constante avec les forces vives qui identifient les problèmes sociaux et luttent pour leur solution.

Mais surtout, c’est idéologiquement qu’il faut livrer bataille, il faut combattre la mondialisation qui se fait au profit des transnationales et le discours mensonger des patrons et du néolibéralisme.

Georges A. Le Bel enseigne le droit à l’UQAM et milite
dans diverses organisations syndicales et populaires dont Alternatives.



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