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Refonder les services publics en Europevieuxcmaq, Mardi, Janvier 16, 2001 - 12:00
Michel Husson (liege@attac.org)
Le mouvement de privatisations en Europe relève d'une véritable furie néo-libérale qui ne relève d'aucune rationalité avérée. Entre 1985 et 1995, on peut estimer à environ 200 milliards de dollars les recettes de privatisation en Europe. Elles représentent 100 milliards au Royaume-Uni, 35 en France et 17 en Italie. Le Royaume-Uni est le pays où le mouvement a commencé le plus tôt, avec l'arrivée au pouvoir de Mme Thatcher en 1979. La part du secteur public dans le PIB est passé de 9 % en 1979 à 2 % en 1997. La France a pris le relais entre 1986 et1988 lors du retour de la droite qui a privatisé de grands groupes comme Elf, Saint-Gobain, Paribas, Alcatel et la Société générale. Le mouvement a été freiné par le krach d'octobre 1987 puis interrompu par le retour de la gauche en 1988, sans qu'il y ait d'ailleurs renationalisation. Le balancier est reparti vers les privatisations avec le retour de la droite en 1993. C'est également à cette date que le mouvement a démarré en Italie et de manière générale en Europe. Le mouvement de privatisations en Europe relève d'une véritable furie néo-libérale qui ne relève d'aucune rationalité avérée. Entre 1985 et 1995, on peut estimer à environ 200 milliards de dollars les recettes de privatisation en Europe. Elles représentent 100 milliards au Royaume-Uni, 35 en France et 17 en Italie. Le Royaume-Uni est le pays où le mouvement a commencé le plus tôt, avec l'arrivée au pouvoir de Mme Thatcher en 1979. La part du secteur public dans le PIB est passée de 9 % en 1979 à 2 % en 1997. La France a pris le relais entre 1986 et1988 lors du retour de la droite qui a privatisé de grands groupes comme Elf, Saint-Gobain, Paribas, Alcatel et la Société générale. Le mouvement a été freiné par le krach d'octobre 1987 puis interrompu par le retour de la gauche en 1988, sans qu'il y ait d'ailleurs renationalisation. Le balancier est reparti vers les privatisations avec le retour de la droite en 1993. C'est également à cette date que le mouvement a démarré en Italie et de manière générale en Europe. L'argument dominant est évidemment celui de l'efficacité. C'est en tout cas celui qui est avancé, comme une évidence : le bureaucratisme public serait incapable d'incorporer les mutations technologiques et les impératifs de la concurrence. Cet argument vaudrait aussi bien pour le secteur public concurrentiel que pour les services publics, et principalement les services de réseaux (eau, énergie, télécommunications, transports). On se contentera ici de récuser cet argument au regard de l'expérience des privatisations : il n'existe aucune corrélation entre le degré supposé d'inefficacité et l'ardeur mise à privatiser. A partir du cas français, on pourrait même dire à l'inverse qu'on privatise d'abord ce qui est efficace, ou en tout cas rentable. Rétrospectivement, les nationalisations peuvent être interprétées comme une cure d'assainissement financier qui permet ensuite de les mettre en vente. Elles auraient certainement pu être utilisées à autre chose mais force est de constater que telle aura été leur fonction. Partout on privatise aussi des services publics qui fonctionnent bien. On peut tout à fait discuter l'efficacité des privatisation à partir d'une évaluation a posteriori. L'exemple des trains allemands est un cas exemplaire, car ce service public n'était pas réputé pour son mauvais fonctionnement. Depuis sa privatisation, son inefficacité est devenue proverbiale et devient un contre-argument publicitaire. Au Royaume-Uni, le bilan des privatisations est l'enjeu de larges débats, dont on peut tirer quelques observations de portée générale. L'efficacité supposée de la privatisation est obtenue, dans le meilleur des cas, comme un résultat partiel. Dans le cas des services publics, il n'y a pas la plupart du temps privatisation en bloc mais par départements. On remet au privé les segments susceptibles d'une forte rentabilité, en conservant dans le domaine public, la responsabilité des infrastructures. L'initiative privée commence toujours par élaguer les mauvaises branches, autrement dit les secteurs non rentables. En moyenne, elle conduit à une augmentation des prix, comme l'illustre bien le cas de l'eau en France. La logique de la rentabilité est en ce sens toujours plus étroite que celle du service public. Enfin, la sortie de services publics du domaine d'intervention de l'Etat ne dispense d'une action régulatrice : l'intervention publique dont on est censé avoir fait l'économie grâce à la privatisation, réapparaît sous une autre forme, en règle générale moins rationnelle. Retards, lenteurs, inconfort, complications aux guichets, voilà par exemple le bilan de la privatisation des chemins de fer anglais. La société privée chargée de gérer les infrastructures, Railtrack, n' effectue pas les investissements nécessaires. Les deux organismes de régulation (OPRAF et OPRAIL) se révèlent incapables d'assurer une stratégie de développement à moyen terme. On envisage de les regrouper et de réintroduire ainsi une intervention de l'Etat plus affirmée. Plutôt qu'une improbable efficacité, les privatisations sont souvent justifiées par le besoin de développer les marchés de capitaux et/ou de résorber le dette de l'Etat. Cet argument, central dans le plaidoyer pour les fonds de pension, ne vaut pas grand-chose. La période néolibérale s'est traduite par un rétablissement spectaculaire de la bonne santé des affaires où la contribution des privatisations n'a été que relativement accessoire et qui s'est principalement appuyé sur le blocage des salaires. Quant au déficit public, il ne provient certainement pas d'un " dérapage " des dépenses publiques en général, et du secteur public en particulier. La montée de la dette publique a été en réalité provoquée par la contre-réforme fiscale libérale qui a consisté à défiscaliser les revenus financiers. Le déficit ainsi engendré a d'ailleurs été financé des émissions de bons du Trésor souscrits par les couches sociales mêmes qui bénéficiaient des baisses d'impôts et qui se sont encore un peu plus constituées en rentiers. Prendre prétexte de ce déficit pour privatiser, c'est l'expression d' un rapport de forces, pas d'un argumentaire économique. La dernière justification avancée s'appuie sur les exigences supposées de l'unification européenne. Certes, les directives européennes jouent un rôle moteur dans les politiques de privatisation, mais il faut interroger cette présentation. Tout d'abord, les traités successifs (Rome, Maastricht puis Amsterdam) font coexister deux lignes d'analyse différentes. Ils sont depuis longtemps sous influence libérale, dans la mesure où ils tiennent la " libre concurrence " comme l'idéal à atteindre. Mais ils maintiennent en même temps l'autonomie de choix en matière de services publics. Ainsi, le Traité de Maastricht conserve la rédaction de l'article 222 du Traité de Rome, qui autorise chaque Etat membre à définir librement le régime de propriété et les modes d'organisation des missions d'intérêt général. En même temps, l'article 3A introduit explicitement " le respect du principe d'une économie de marché où la concurrence est libre ". Dans ce cadre, les entreprises remplissant des missions de services publics sont astreintes comme les autres à des exigences de concurrence, d'où la condamnation des ententes et abus de position, ainsi que des aides sur ressources d'Etat. Le texte de référence demeure l'article 90, dont le second alinéa stipule que : " les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent Traité, notamment aux règles de concurrence dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement, en droit ou en fait, de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté ". La Commission s'est chargée de donner une interprétation plus précise des Traités et les directives et Livres verts ou blancs se sont succédé pour dessiner une politique de plus en plus ouvertement libérale. On peut aisément montrer que cette doctrine est antisociale, absurde, anti-européenne et uniquement favorable à une conception financière du capitalisme. La nature antisociale de l'euro-libéralisme est condensée dans la notion de service universel. C'est en apparence un compromis entre la priorité au marché et la notion de service public. En réalité, il s'agit de la théorisation d'un système à deux vitesses, car le service universel est en pratique calibré comme un service minimum qui évoque irrésistiblement l'idée de " filet de sécurité ". On réduit comme une peau de chagrin le service public pour ouvrir tout grand l'espace offert à l'investissement privé. C'est une conception absurde et restrictive de la construction européenne. S'il s'agit de construire un espace économique et social intégré, alors c'est une bien mauvaise manière de s'y prendre que de tourner ainsi le dos à une harmonisation vers le haut. C'est aussi se priver de toute possibilité de politique structurelle au niveau européen. Alors qu'il aurait été logique de créer les conditions d'actions coordonnées en mettant sur pied des agences européennes, on n'a pas trouvé de meilleure idée que de faire sauter les monopoles publics et de découper les réseaux en tranches. C'est l'inverse qu'il faudrait faire, par exemple en matière de transports : comment définir une politique harmonisée en matière d'articulation rail-route, de réglementation du trafic aérien, de prix des carburants sans créer les outils de programmation adéquats ? La question énergétique offre un exemple encore plus démonstratif : comment en effet organiser la sortie du nucléaire au niveau d'un seul pays sans, encore une fois, programmer cette sortie, notamment au niveau de la gestion des déchets ? Plutôt que d'éclater les services publics et les ouvrir à une concurrence largement fabriquée dans une série de domaines, il faudrait brancher les réseaux entre eux et les placer sous l'autorité d'une instance européenne de régulation. Cette frénésie de privatisation est anti-européenne en ce sens qu'elle rend impossible toute politique européenne d'envergure. La Commission a conçu son action dans ce domaine selon une logique antitrust et anti-subventions étatiques. Mais elle n'est guidée par aucune vue d'ensemble en matière industrielle ni même bancaire. Le produit de cette orientation libérale est doublement contradictoire. Sur le plan bancaire, ce qui se passe en France illustre un paradoxe : on privatise des banques et, dès qu'elles en ont l'occasion, celles-ci cherchent à se regrouper soit à l'amiable avec l'accord Société générale et Paribas, soit de manière hostile avec l'Offre Publique d'Echange de la BNP. On privatise sous prétexte de concurrence, mais c' est en réalité pour permettre la constitution de géants privés. A ce premier paradoxe s'en ajoute un autre qui apparaît avec les mégafusions en cours. Peu d'entre elles concernent des alliances intra-européennes et l'autonomie donnée à des entreprises publiques ne conduit pas à des regroupements européens : Renault cherche à racheter Nissan, et France Télécom investit en Amérique latine. L'Europe n'explique cependant pas tout : il existe une imbrication étroite entre la philosophie social-libérale des gouvernements européens et leur acceptation des contraintes de Maastricht. L'argument de l'inefficacité continue à peser et il suffit de penser aux déconvenues du Crédit Lyonnais nationalisé. De plus, les politiques libérales européennes utilisent à leur profit la diversité des situations. Il est de bon ton en France de critiquer des services publics " à la française " qui représenteraient une exception archaïque en Europe. Pourtant, l'offensive contre les services publics et la protection sociale revêt une grande homogénéité en dépit des différences institutionnelles d'un pays à l'autre. Dans ces conditions mûrit la possibilité d'un retournement de situation qui s'appuierait sur les résistances existant sous des formes diverses dans les pays européens pour conduire à un double pas en avant. Le premier consisterait à inventer une " subsidiarité revendicative " visant à défendre et promouvoir la satisfaction de droits sociaux définis de manière universelle dans leur principe et déclinés de manière diversifiée selon les réalités nationales. Il y aurait ainsi un droit à la santé qui, à côté d'autres droits, définirait une citoyenneté sociale européenne sans pour autant postuler une totale unification des systèmes de santé publique. Il serait ainsi possible de défendre l'existant et de le faire évoluer pour faire échec au mécanisme d'alignement vers le bas des systèmes sociaux qui est en quelque sorte incorporé dans la monnaie unique. Cela rendrait par exemple impossible de justifier l'introduction de fonds de pension sous prétexte qu'ils existent déjà au Royaume-Uni ou en Allemagne. Ce changement de point de vue permettrait de faire converger les luttes pour un droit à la retraite particulièrement bafoué outre-Manche. En proposant une telle perspective, on ne s'éloigne pas de la notion de service public. Car l'axe central des offensives néolibérales est bien de chercher à " remarchandiser " un certain nombre de biens et services dont l'offre est socialisée ou mutualisée. Le refus de cette régression passe donc automatiquement par une refondation de la notion de service public. Sa légitimité reposerait explicitement sur la satisfaction des besoins sociaux et cette nouvelle définition inclurait forcément une dimension de démocratisation et de contrôle des usagers. Si cette dynamique s'engage, un autre approfondissement devient alors possible, celui d'une redéfinition des formes de propriété. En France, on commence à évoquer une renationalisation de l'approvisionnement en eau, pour couper court à la hausse des prix et à la corruption. C'est une excellente manière de poser à nouveau la question de la propriété, qui pourrait être étendue à l'échelle européenne. Michel Husson, membre du conseil scientifique d'ATTAC Pour plus d'informations liege@attac.org
Association pour une taxation des transactions financière pour l'aide aux citoyens.
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