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Du mutisme à la transparence

vieuxcmaq, Mercredi, Décembre 20, 2000 - 12:00

Mathieu Houle-Courcelles (fk491889@er.uqam.ca)

Brefs commentaires sur les propositions du Canada face à la ZLEA
par Mathieu Houle-Courcelles (CRAC).

"Le gouvernement du Canada montre une fois encore qu'il tient à ce que nos négociations commerciales soient menées dans la transparence, au su des Canadiens " - Pierre Pettigrew, ministre du commerce international.

"Le gouvernement du Canada montre une fois encore qu'il tient à ce que nos négociations commerciales soient menées dans la transparence, au su des Canadiens " - Pierre Pettigrew, ministre du commerce international

Ce qui frappe à la lecture des premiers documents rendus publics le 13 décembre par le Ministère des affaires extérieures et du commerce international (1) concernant les propositions canadiennes sur la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), c'est la convergence entre le contenu de cet accord et l'Organisation mondiale du commerce (OMC). À tous les niveaux, ce rapprochement apparaît désormais incontournable : chaque article de la ZLEA fait directement référence à cette organisation ou à ses prérogatives. Depuis le début des négociations, on nous prédisait une ZLEA "conforme à l'OMC". Or, les positions développées par le Canada vont au-delà d'une simple volonté d'adaptation au système multilatéral de [dé]réglementation des échanges commerciaux. Elles constituent autant de leviers vers la création d'un bloc économique panaméricain permettant aux chefs de file de l'hémisphère (les États-Unis et leurs alliés) d'arriver aux prochaines rondes de négociation de l'OMC en position de force face au Japon ou à l'Union Européenne, comme en témoigne cette citation tirée de la proposition canadienne dans le domaine de l'agriculture:

"Les parties doivent collaborer pendant les négociations multilatérales sur l'agriculture qui ont lieu conformément à l'article 20 de l'Accord de l'OMC sur l'agriculture; elles doivent également viser un élargissement maximal de l'accès aux marchés de tous les produits agricoles grâce à des démarches axées sur les droits uniques, les droits à double niveau et les contingents tarifaires, ainsi que sur des initiatives sectorielles complémentaires."

En d'autres mots, la ZLEA permettra de radicaliser (d'un point de vue libéral) la nature même des négociations tenues à l'Organisation mondiale du commerce, en incorporant "les positions et les vues de tous les pays [membres de] la ZLEA" dans son ordre du jour. En parlant d'une seule voix, en créant des précédents au niveau de leurs pratiques commerciales, les pays des Amériques (et bien entendu leurs secteurs privés respectifs) montrent "l'exemple" au monde entier, espérant ainsi ouvrir de nouvelles brèches permettant d'acheminer les fondements mêmes du mode de vie américain (marchandises, produits et services) aux quatre coins de la planète.

Bien sûr, toutes ces manœuvres s'effectuent dans un cadre très particulier, celui de l'idéologie néolibérale et de l'habituelle troïka libre-échangiste (ouverture des marchés, déréglementation et privatisation). Les documents rendus publics par le gouvernement fédéral ne laissent planer aucun doute quant aux véritables objectifs de la ZLEA, respectant ainsi les paramètres fixés par les accords précédents (ALE, ALENA). Qu'il s'agisse de créer un "environnement commercial de plus en plus dynamique", de favoriser les "recommandations techniques non contraignantes " pour réglementer l'industrie des biotechnologies, de permettre "l'élimination complète des droits de douane sur la quasi-totalité du commerce à l'intérieur de l'hémisphère (...) au plus tard dix ans après la date de mise en œuvre de la ZLEA", les propositions canadiennes s'inscrivent toutes dans la plus pure orthodoxie capitaliste.

Les buts fixés dans le préambule de l'accord (rédigé par l'équipe de négociateurs canadiens) donnent d'ailleurs une idée générale de la rhétorique proposée. À leur avis, cet accord permettra de :

"FACILITER l'accès aux marchés pour le commerce des biens et des services ;

D'ÉTABLIR un cadre équitable et prévisible pour la promotion et la protection des investissements ;

DE PROMOUVOIR la mise en place d'un environnement propre à favoriser la saine concurrence, dans le commerce des biens et des services, y compris en ce qui concerne les marchés publics ;

D'ENCOURAGER la protection adéquate de la propriété intellectuelle;

DE PRÉSERVER la capacité de protéger les régimes d'aide sociale ;

D'ÉLIMINER, dans la mesure du possible, et en conformité avec l'Article XXIV de l'Accord général de 1994 sur les tarifs douaniers et le commerce, les autres règlements qui restreignent le commerce ;

DE RECONNAÎTRE l'importance de réformer la réglementation dans le but d'accélérer la libéralisation du commerce, d'ouvrir encore davantage les marchés et d'accroître la concurrence dans l'hémisphère ;

DE METTRE EN PLACE une procédure pour l'interprétation et l'application du présent accord, ainsi que pour son administration conjointe et le règlement des différends ;

ET D'APPLIQUER les principes énoncés ci-dessus d'une manière qui respecte les normes et les principes universels des droits de la personne"

Paradoxalement, le gouvernement canadien donne l'impression de n'avoir rien proposer à la plupart des points énumérés plus haut lorsqu'il s'agit de mettre un peu plus de chair à cette ossature. En termes d'investissements, de droits de propriété intellectuelle, de la déréglementation du secteur des services, du règlement des différends commerciaux, de l'accès aux marchés contrôlés par le secteur public (monopoles et entreprises d'État) et la reconnaissance de l'asymétrie croissante entre les pays du Nord et ceux du Sud, le Canada se retranche derrière la non-intervention:

"Le Canada n'a soumis aucune proposition [à ces] groupes de négociation ; s'il le fait, elles seront également publiées dans le site Web du Ministère". Le très honorable Pierre Pettigrew, Ministre du commerce international, pense peut-être nous faire avaler qu'il ne sera pas question de ces enjeux lors des prochaines rondes de négociations... En fait, le gouvernement canadien semble s'accommoder plutôt bien des propositions formulées par ses partenaires américains et au contenu de l'ALENA (qui fait figure de modèle à la ZLEA). À l'heure actuelle, des groupes de travail ont le mandat d'élaborer des propositions dans tous ces domaines, propositions qui seront notamment débattues à
Québec lors du prochain Sommet des Amériques au mois d'avril 2001. Dans ces conditions, le mutisme canadien n'augure rien de bon, d'autant plus que la protection des investissements (et des investisseurs), le secteur des services (finance, santé, éducation...) et la protection de la propriété intellectuelle (comme les brevets pharmaceutiques) font partie des priorités des firmes transnationales, dont la participation au processus de la ZLEA s'est institutionnalisée lors du Sommet de Santiago en 1998.

Ne soyons pas dupes : avec la ZLEA, les technocrates du gouvernement fédéral négocient bel et bien notre avenir collectif, transigeant l'intérêt général de la population contre une poignée de mesures néolibérales profitant uniquement à l'entreprise privée. Ce n'est pas la supposée transparence sur le contenu des propositions canadiennes qui changera d'un iota l'essence même de ce processus, dont le caractère foncièrement inhumain et anti-démocratique est critiqué de toutes parts.

Chaque nouvelle bribe rendue publique vient confirmer les raisons pour lesquelles un nombre grandissant de groupes et d'individus combattent non seulement la ZLEA et ses conséquences sur l'environnement, les programmes sociaux et les conditions de travail, mais également les fondements du système d'exploitation qui a mis au monde les accords de libre-échange.

(1) Les documents sont disponibles sur le site internet du MAECI à l'adresse suivante: www.dfait-maeci.gc.ca/tna-nac/ftaa_neg-f.asp. Les citations de ce texte en sont toutes tirées.

Ce site est une des diverses entreprises de la Convergence des Luttes Anti-Capitalistes mises sur pied dans le but de mobiliser et partager des informations contre le Sommet et la ZLEA.
www.quebec2001.net


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