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Économie sociale ou économie de la misère ?

vieuxcmaq, Lundi, Novembre 6, 2000 - 12:00

Alain Dubois (alain.dubois@iquebec.com)

On parle beaucoup de la nouvelle économie sociale, on en vante les mérites. On la présente même comme un modèle. Mais, qu’en est-il réellement ? Que cache ce beau discours ?

On parle beaucoup de la nouvelle économie sociale, on en vante les mérites, on la propose comme modèle, etc. Mais, qu’en est-il réellement ? Et que cache ce beau discours ? C’est à ces questions que nous tenterons ici de répondre.

Aujourd’hui au Québec, il existe des milliers de groupes communautaires et d’organismes sans but lucratif qui offrent leurs services aux citoyens démunis ou en difficulté : services de soins à domicile, hébergement spécialisé, maison de thérapie pour toxicomanes, etc. Ils sont tellement nombreux, et œuvrent dans tellement de champs d’activités qu’il apparaît impossible de tous les inventoriés.

Leur développement a été aussi rapide que le désengagement de l’État face à ses responsabilités sociales. Pourtant, l’émergence de ces organismes a un air de déjà-vu. Jusqu’à la révolution tranquille, qui a secoué le Québec des années 60, l’État n’assumait qu’un rôle social limité. Il n’y avait pas d’assurance-maladie et de bien-être social. L’ensemble des services de santé et d’éducation était géré par des Ordres religieux. Ils s’occupaient aussi de nombreuses « missions » venant en aide aux plus démunis des citoyens. Aujourd’hui nous sommes forcés de constater que la majorité des groupes communautaires et OSBL ont repris la place que les Ordres religieux ont abandonnée. Ils ont la même fonction sociale. Celle de s’assurer que les plus mal-pris de notre société aient le minimum pour survivre et ce, afin de maintenir une certaine « cohésion sociale » et empêcher que la colère qu’entraîne leurs frustrations quotidiennes et leur pauvreté, ne se transforment en révolte.

Malgré toute la bonne volonté et le bon vouloir de ces organismes et des gens qui y travaillent, ils jouent cependant un rôle qui, malheureusement, les rendent complices du désengagement de l’État et du néo-libéralisme économique. Souvent, leur grande dépendance des subventions et programmes gouvernementaux les empêchent de faire de l’action politique. Ils ne donnent que des services ou presque.
Pourtant, dans les années 70, il en était tout autrement. À cet époque, marqué par une grande effervescence politique et sociale, des citoyens soucieux de prendre en mains les problèmes auxquels ils étaient confrontés, développèrent de nombreux organismes populaires et communautaires. Ce fût le début des associations de consommateurs et de locataires, des coopératives d’alimentation, des cliniques médicales et juridiques populaires, des organismes de défense des droits sociaux (tels les ADDS, MAC, etc.). Pendant cette période, tout ou presque revêtait un caractère politique. La participation des citoyens aux assemblés générales et à la vie associative était massive et riche. Le contrôle qu’exerçaient les membres-citoyens, était face aux élus, direct et sans complaisance. Ces groupes ne craignaient pas de descendre dans la rue ou de faire des « occupations » pour défendre leurs intérêts et promouvoir leurs revendications. En fait, la vie de ces organismes reflétait bien ce qui se passait dans la société. Une société en pleine ébullition et marquée par l’engagement social et politique de nombreux citoyens.

À la fin des années 70, apparurent les premières difficultés. Centraide, qui finançait plusieurs de ces organismes, exigea d’eux qu’ils cessent de faire de l’action politique sous peine de voir leurs subventions enlevées. L’État québécois resserra ses critères de subvention. Parallèlement, la gauche et l’ensemble de la société québécoise traversa une grave « crise d’identité ». La fin des années 70 et le début des années 80 marquent le commencement d’une période de rêves brisés et de désillusion.
Le P.Q. ne réalisa pas l’indépendance du Québec et il s’avéra, tout comme les libéraux, un gouvernement de centre-droit. Il ne fut pas, comme il l’avait prétendu jusqu’à lors, un parti social-démocrate, loin de là !
Les organisations maoïstes, qui regroupaient la majorité des militants politiques (environs 40 000 membres et sympathisants) s’effondrèrent lorsque leurs membres prirent connaissance de la triste et morbide réalité des États staliniens, pseudo-communistes qu’ils idéalisaient comme la Chine et l’Albanie. L’absence de regard et d’analyse critique fit que la plupart de ces militants abandonnèrent l’action politique. Plusieurs devinrent même très amers face à ce que avait été leur engagement social et politique.
C’est dans ce contexte de grande désillusion et de vide politique, et sous la pression combinée de Centraide et du gouvernement, que les organismes communautaires abandonnèrent tranquillement mais sûrement le champs de l’action politique. Ils furent aussi nombreux à disparaître.

Au début des années 90, le discours sur le supposé déficit budgétaire du gouvernement, nourri par les médias, prépara le terrain au néo-libéralisme économique et à la mondialisation de l’économie. Après s’être assuré, grâce à nos médias «de désinformation» qu’il pouvait compter sur un certain appuie de la population, les gouvernements québécois et canadien amorcèrent leur désengagement en santé et services sociaux. Ils augmentèrent les taxes et impôts directs et indirects des citoyens tout en diminuant ceux des entreprises. Coupures après coupures, l’État ainsi « dégraissé » se devait d’offrir un minimum de services et de soutien à ses citoyens les plus démunis. Les États québécois et canadien favorisèrent donc, par différents programmes de subvention et «d’employabilité», la création de nouveaux groupes communautaires et sans but lucratif. Ces nouveaux groupes, par les services qu’ils offraient, occupèrent la place laissée par l’État. Leurs services à faibles coûts sont assurés par une main d’œuvre bon marché et de statut précaire. C’est dans ce contexte qu’en quelques années, des centaines, voire même des milliers de nouveaux groupes «communautaires» et sans but lucratif virent le jour. Ces organismes, sorte d’ordres laïcs, jouent donc aujourd’hui, le même rôle social que jadis les Ordres religieux, i.e. temporiser la pauvreté et la rendre plus acceptable. Jamais nos gouvernements, aux politiques néo-libérales, n’auraient été aussi loin dans leur désengagement s’il n’avaient pu compter sur l’existence de ces organismes.

Il y a de nombreux autres effets pervers à cette arrivée massive d’OSBL. Par exemple, le développement des emplois précaires et mal payés, le développement d’une sous-classe de citoyens que Marx appelait le sous-prolétariat, des citoyens obligés, pour survivre, de travailler sur des programmes « d’employabilité » et ce, en dessous du salaire minimum, et contraints à la mendicité, par exemple en se procurant des aliments auprès de banques alimentaires. Enfin, l’émergence de services de santé et sociaux à deux vitesses, une pour les plus riches, l’autre pour les pauvres. Ces derniers devant se contenter de services le plus souvent de moindres qualités.
Il est clair qu’on peut difficilement comparer les services du secteur public avec ceux des OSBL à moins de tout vouloir niveler par le bas. Les travailleurs du public ayant un revenu décent, les autres pas ! De plus, les services publics doivent s’assurer de la qualité de leurs services (obligation légale), les OSBL pas !
Certains d’entre vous répliqueront: «vaut mieux ça que rien du tout». Peut-être, mais il faut être conscient que la création de ces organismes ne fait que combler les vides laissés par le désengagement de nos États. Contrairement aux années 70, ils ne jouent pas un réel rôle progressif dans la société. Ils ne représentent le plus souvent qu’eux-mêmes. La participation à leurs assemblées générales est plutôt moribonde. Les C. A. sont composés en bonne partie d’opportunistes : politiciens municipaux ; hommes d’affaires et marchands.

Que devons-nous faire pour renverser cette tendance au misérabilisme social et économique que représente le développement de cette sois disant économie sociale? La première est de travailler activement au développement, au Québec, d’une alternative politique de gauche pour mieux combattre le néo-libéralisme économique. Nous pouvons aussi proposer des alternatives comme le revenu de citoyenneté tel que défini par le R.A.P. (Regroupement pour une Alternative Politique). Il est plus qu’urgent de combler le vide politique et idéologique dans lequel nous nous trouvons.
Une autre voie est celle de la syndicalisation des organismes communautaires et OSBL. Il faut citer ici en exemple la syndicalisation des garderies. Leur syndicalisation n’a pas été facile, longtemps elle s’est heurtée aux parents, administrateurs et des travailleuses elles-mêmes. Plusieurs voyaient une contradiction entre le fait de travailler au sein d’un organisme communautaire et d’être syndiqué. Les efforts que la CSN a déployé ont porté fruits car maintenant le salaire de ces travailleuses est équivalent à celui des services publics et nous avons un réseau universel et presque gratuit de garderies.
Les centrales syndicales se doivent de suivre cet exemple si elles veulent éviter l’effritement des services publics, le développement du travail précaire et l’américanisation de la société québécoise. La syndicalisation de ces organismes devant être, pour eux, une priorité.
La syndicalisation de ces OSBL ne sera pas facile et les syndicats risquent de voir les relations privilégiées qu’ils entretiennent avec ceux-ci se détériorer substantiellement à court et moyen terme. On peut espérer qu’au-delà de leurs préjugés, ces organismes comprendront que cela est dans leur intérêt et celui de la société. Sans ces changements, « l’économie sociale » demeurera une économie de misère. ..

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La majorité des groupes communautaires ne sont pas de réels créateurs d’emplois. Ils ne génèrent que des emplois précaires. Les soi-disant programmes d’employabilités qui leurs fournissent la majorité de leur personnel contribuent à créer une sous-classe de citoyen, qui n’ont pas les même salaires et droits que les autres.

Le Solidaire web est un journal syndical et alternatif édité par le syndicat des travailleuses et des travailleurs du Centre Dollard-Cormier, CSN. Son contenu est riche et très diversifié : entrevues, chroniques, des articles à thèses hors du commun


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