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L’étrange mort d’Oussama Ben Laden

mihelich, Mercredi, Juin 22, 2011 - 13:44

Richard pour le Groupe internationaliste ouvrier

Un commentaire de la Tendance communiste internationaliste

Nous ne connaîtrons probablement jamais les circonstances exactes de la mort de Ben Laden. Le blitz des Navy SEAL (forces spéciales américaines) fut rapide, déterminé et ne laissa pas de traces. En moins de quelques heures, la résidence fortifiée fut ravagée, la proie exécutée et sa dépouille transportée par hélicoptère sur un navire baignant au milieu de l’océan Indien. La version américaine de l’histoire voudrait nous faire croire qu’il a reçu un improbable enterrement musulman. Des questions restent sans réponse : pourquoi ne l’avoir pas tout simplement mis aux arrêts, pourquoi une telle hâte, pourquoi ne pas avoir montré une seule image de tout le déroulement de l’attaque, qui a pourtant été filmée?

La réponse est simple : parce que l’ennemi public numéro 1 devait disparaître sans trace et parce qu’un procès aurait ouvert une boîte de Pandore qui aurait été dommageable aux Services secrets américains et au bilan des administrations Clinton et Bush, ainsi qu’à l’image que tente de se donner l’administration Obama. Comme on le sait, Ben Laden fut utilisé par la CIA pendant une douzaine d’années, de 1979 à 1991, comme coordonnateur et comme organisateur de l’intégrisme islamique international (Al-Qaïda fut fondé en Afghanistan en 1988) contre l’Union soviétique sur le front afghan de la Guerre froide. Les Talibans aussi furent une création des Services secrets avec l’aide du renseignement militaire pakistanais l’ISI (l’Inter-Services Intelligence) et furent financés par Washington, l’Arabie Saoudite et la société pétrolière Unocal Corporation qui avait des intérêts importants dans l’exploitation, le contrôle et le transport du pétrole et du gaz au Kazakhstan et dans les pays environnants. (1)

L’Afghanistan devait devenir le lieu de passage des divers gazoducs et oléoducs, de manière à éviter les États rivaux d’Iran et de Russie. Dans cette perspective, les gouvernements américains précédents appuyèrent les moudjahidines de Burhanuddin Rabbani et d’Ahmed Shah Massoud, puis les laissèrent tomber pour favoriser les Talibans. Lorsque cette manœuvre échoua, ils se résignèrent alors à redonner leur soutien aux moudjahidines, rendant ainsi l’Afghanistan encore plus instable, malgré la création du gouvernement Karzaï, toujours au pouvoir.

Mais ce plan ne fut pas profitable aux États-Unis en raison de deux variables «indépendantes»; d’abord le nationaliste Ahmed Shah Massoud qui fut éliminé avant l’offensive contre les Talibans alors qu’il était réticent à être utilisé pour une deuxième fois, puis, le capitaliste pétrolier «internationaliste» Ben Laden – qui fut mobilisé sous le parrainage américain après la Guerre du Golfe de 1990-1991 – puis largué à cause des difficultés économiques internes importantes des États-Unis, ainsi que leurs futurs projets impérialistes.

Peu importe ce qui s’est vraiment passé à Abbottabad, ce succès conjoncturellement opportun contre le terrorisme international a donné un coup de pouce à l’administration Obama qui en avait terriblement besoin. L’actuel président, qui après n’avoir pu ne tenir aucune de ses promesses faites lors de la campagne électorale, et qui venait d’atteindre son plus bas niveau de popularité dans l’opinion publique, a vu ses bases d’appui monter de dix points d’un seul coup après la date fatidique du 2 mai. Il a donc ainsi rehaussé son image et relancer les prétentions de l’impérialisme américain sur la scène asiatique; des prétentions qui avaient été sérieusement malmenées ces dernières années sous l’administration Bush et sous les effets dévastateurs de la crise économique.

Même s’il a éliminé l’ennemi public numéro 1, Obama déclara immédiatement que le combat contre le terrorisme n’était pas terminé, que l’élimination d’Oussama représentait une victoire significative, mais que la guerre contre le djihad intégriste serait longue et difficile. Le retrait de l’Afghanistan, reste donc pour 2014 tel que prévu, à la condition que le gouvernement de Kaboul, pas nécessairement dirigé par Karzaï, fasse la preuve qu’il peut diriger le pays. Le Pentagone pourrait voir cela autrement et tenter de prolonger sa présence. Quelque soit la voie choisie, un contingent militaire important demeurera sur place pour y protéger les intérêts de Washington, tant au nord que près de la frontière pakistanaise.

Alors qu’il reste formellement un allié et un pion de la politique impérialiste américaine dans la région, le Pakistan n’offre pas suffisamment de garanties à son patron prodigue. C’est ce qui est arrivé auparavant avec le gouvernement Musharraf et cette attitude n’a pas évolué avec l’actuel président, Zardari. Quelques fois, l’agacement américain s’est exprimé ouvertement à propos de l’ambigüité de la direction pakistanaise dans le combat contre le terrorisme, contre les Talibans et toutes les organisations politico-militaires qui inquiètent les États-Unis. En termes simples, l’accusation est que le gouvernement de Washington a comblé Islamabad de milliards de dollars, qui n’en a pas fait un usage approprié et qui de plus n’a pas tenu ses engagements sur la sécurité avec toute l’énergie espérée.

La manière même dont l’opération pour capturer et tuer Ben Laden à Abbottabad fut menée en est la preuve. Le déploiement énorme, disproportionné des forces utilisées (quatre hélicoptères, au moins deux drones, des douzaines d’hommes appartenant aux forces spéciales et des liaisons avec les forces navales mouillant dans l’océan Indien) n’était pas justifié par une réaction possible de la proie qui, soit dit en passant, n’a offert aucune résistance, mais par le souci que l’ISI et l’armée pakistanaise ne rendent plus difficile sa capture, ou qu’ils auraient même pu l’aider à s’échapper. Il était évident pour tout le monde que Ben Laden n’a pu vivre pendant huit ans à 70 mètres d’une caserne de l’armée pakistanaise sans que les dirigeants des services secrets et du gouvernement d’Islamabad n’en sachent quelque chose.

Outre le terrorisme, l’attention d’Obama porte sur la pénétration chinoise dans ces territoires. Depuis plusieurs années, le gouvernement de Pékin fait des avancées au Kôndoz,
dans le centre-nord de l’Afghanistan, une province modérément riche en gaz et en pétrole, mais aussi en mines de cuivre et de fer. Pendant que l’impérialisme américain déversait son argent sur des dépenses militaires pour soutenir le régime corrompu de Karzaï, la Chine a progressé dans son exploitation des ressources énergétiques et minérales du pays (avec le consentement du gouvernement afghan) en y investissant 3,5 milliards de dollars. Il en est de même au Pakistan, dans la région la plus riche en ressources minières, le Baloutchistan, où elle a contribué à hauteur de 2,5 milliards pour la construction du port de Gwadar, qui est destiné à devenir une plaque tournante importante des voies d’acheminement pétrolier de l’océan Indien. (2)

Il faut aussi mentionner le soutien explicite de la Chine au Pakistan contre l’Inde et l’appui non-déclaré des deux États aux Talibans de la région. Suite aux révélations du Wall Street Journal il y a quelques mois, il ne faut pas être surpris que le président Zardari ait tenté de convaincre son homologue Karzaï d’abandonner son alliance avec les États-Unis au profit d’une alliance plus généreuse et plus sûre avec la Chine. C’est le même Zardari qui depuis son accession au pouvoir en 2008, a visité Pékin à cinq reprises; et ce n’est sûrement pas uniquement pour faire des visites touristiques de la «Cité interdite». L’axe stratégique Kaboul-Islamabad, qui opérait autrefois en fonction de la prééminence de l’impérialisme américain, permet maintenant une importante percée chinoise. Les ressources énergétiques, les voies de passage des gazoducs et des oléoducs, la valeur stratégique des pays en termes géographiques et l’opportunité d’investissements productifs profitant de salaires de misère; voilà ce qui est en jeu.

Alors que la confrontation inter-impérialiste actuelle voit la fortune des Américains graduellement en diminution, la nouvelle «ligne Obama» tente par tous les moyens de regagner le terrain perdu dans un rapport de force plus discret. Cela tranche avec l’approche de son prédécesseur, mais maintient les mêmes objectifs. Il n’en fait pas plus, ni mieux, pas seulement par des guerres d’intervention si désastreuses et économiquement ruineuses, mais aussi par l’acceptation politique des «révolutions» au Moyen-Orient, par son action renouvelée sur la question palestinienne et par l’octroi de deux milliards de dollars à tout État prêt à accepter le patronage de Washington. La musique a quelque peu changée, mais le chef d’orchestre reste le même.

Avec ou sans Ben Laden, les manœuvres impérialistes continuent. Les capitalistes, surtout lorsqu’ils subissent les effets d’une profonde crise économique, ne peuvent se permettre de rester immobiles pendant que les contradictions du système explosent. Ils doivent en faire payer le prix au prolétariat du monde entier, et ils se voient contraints à prendre toutes les mesures nécessaires sur la scène impérialiste internationale pour arriver à survivre, même si la pauvreté croissante et la sujétion des autres en est la condition.

FD

(1)Selon le journal Le Monde, l’actuel président afghan Hamid Karzaï aurait été un conseiller d’Unocal.
(2)«Islamabad military shopping list grows» dans l’édition du 23 mai 2011, du Financial Times.

www.leftcom.org/fr


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