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L'avenir post-Fukushima de la centrale Gentilly-2Anonyme, Vendredi, Juin 3, 2011 - 21:00
Michel Duguay
02 juin 2011 Réunis à Deauville en France les 26-27 mai 2011, les leaders du G-8 ont parlé de tirer des leçons des accidents nucléaires à Fukushima, de rehausser les normes internationales de sûreté nucléaire et de les rendre obligatoires. La décision de l’Allemagne de sortir du nucléaire d’ici 2022 est un des faits saillants post-Fukushima. Au même moment, à Québec à l’Assemblée nationale, suite à l’étude de la motion du Parti Québécois de mercredi 25 mai proposant le déclassement de la centrale nucléaire de Gentilly-2, le bureau de Mme la ministre Nathalie Normandeau a émis un communiqué de presse dans lequel, assez curieusement, elle ignorait les événements tragiques de Fukushima. Elle ignorait également les efforts mis en jeu par la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) en vue de tirer des leçons de Fukushima et de mettre en place des mesures de prévention et d’atténuation des accidents nucléaires graves. Mme Normandeau affirmait que la centrale nucléaire Gentilly-2 répond «aux plus hauts standards» en sûreté et sécurité nucléaire. L’histoire montre que ceci n’est pas le cas. Le réacteur CANDU Gentilly-2 a été conçu au début des années ’70, à une époque où la technologie nucléaire en était à ses débuts. Une démonstration au Québec du manque de maturité nucléaire fut l’échec du réacteur Gentilly-1 à Bécancour. Inauguré en 1971 il a été fermé en 1978 après avoir fonctionné seulement 180 jours, et ce, de façon dangereusement instable. La Canadian Nuclear Association reconnaît maintenant sur son site web que Gentilly-1 comportait des problèmes de conception et d’opération, et qu’il n’était pas rentable. Ailleurs dans le monde, les accidents nucléaires majeurs de Three Mile Island en 1979, de Tchernobyl en 1986 et de Fukushima en 2011 ont démenti une vision exagérément optimiste du nucléaire. On constate qu’un accident nucléaire majeur se produit non pas «une fois sur un million d’années», suivant d’anciennes affirmations, mais plutôt une fois sur 20 ou 30 ans. Le sondage de la firme Abacus au Canada le premier avril 2011 a montré que 58% des canadiens et 67% des québécois/québécoises s’opposent maintenant à la construction de nouvelles centrales nucléaires. Seulement 12% du public québécois croit que l’énergie nucléaire est sans danger et souhaite la construction de nouvelles centrales nucléaires. En décembre 2009, le Parti Québécois a décidé de s’opposer à la réfection de Gentilly-2 en se fondant sur une analyse prudente des facteurs économiques et des nombreux problèmes techniques qui compromettent la sûreté du réacteur. Le talon d’Achille du CANDU est son coefficient positif de réactivité nucléaire dû au vide, lequel dénote la tendance du CANDU à s’emballer dans certaines circonstances, notamment à la suite d’un bris de tuyau sous haute pression. L’emballement nucléaire peut avoir des conséquences genre Fukushima. Cet emballement potentiel a été mentionné dans deux documentaires de Radio-Canada en novembre 2009 et en mai 2011. En ignorant ce problème majeur, Mme Normandeau ne démontre pas sa prudence en matière de sûreté nucléaire. Les normes de sûreté aux États-Unis et en Angleterre exigent un coefficient négatif de réactivité nucléaire. Les réacteurs CANDU ne sont pas acceptés dans ces deux pays. En août 2008, Hydro-Québec avait estimé le coût de la réfection à environ deux milliards de dollars. Historiquement en Amérique du nord, les dépassements de coûts des projets nucléaires on atteint en moyenne environ 200%. M. François Lachapelle, ancien comptable chez Hydro-Québec, estime le coût de l’électricité d’un Gentilly-2 reconstruit à 15 cents par kilowattheure (kWh). Avec de l’électricité vendue au Vermont pour 6 cents/kWh, le Québec ne sera pas gagnant avec la réfection de Gentilly-2. Mme Normandeau fait grand cas des 800 emplois à Gentilly-2. Si le Québec souhaite la prospérité économique, il faut impérativement parler d’emplois rentables. En tenant compte des dépassements de coûts, des coûts pour l’entreposage permanent des déchets radioactifs et du déclassement du réacteur, on arrive à au moins 8 milliards pour le coût total du projet pour maintenir 800 emplois. Cela correspond à 10 millions de dollars par emploi. Mme Normandeau parle de retombées de 100 millions par année dans la région de Bécancour. Mais si Hydro-Québec emprunte 4 milliards sur les marchés financiers pour Gentilly-2, la dette du Québec, déjà dangereusement élevée, en sera d’autant augmentée. On a vu en Europe les conséquences financières douloureuses imposées à des pays trop endettés. Autre conséquence négative d’une réfection de Gentilly-2 : la réputation d’Hydro-Québec en sera diminuée. La tendance moderne des réseaux électriques est vers des réseaux dits intelligents. Gentilly-2 a fonctionné seulement 66% du temps en 2008, et 79% du temps en moyenne de 1983 à 2008. Un réacteur nucléaire peut s’arrêter pour des raisons imprévisibles et demeurer en arrêt durant des semaines, même des mois, ce qui n’est pas un comportement souhaitable dans un réseau électrique intelligent. Gentilly-2 constitue la source la moins fiable d’électricité, contrairement à ce qu’affirme la Ministre Normandeau. De plus, la documentation technique de la CCSN révèle de nombreuses questions problématiques de sûreté affligeant les réacteurs CANDU. Gentilly-2 présente une menace nucléaire pour toute la vallée du Saint-Laurent. Mme la Ministre Normandeau parle de l’expertise en énergie nucléaire au Québec. L’expertise en conception des réacteurs CANDU se trouve principalement en Ontario où sont en opération 16 réacteurs nucléaires, avec deux en état d’arrêt permanent. En février 2010 la firme parapublique Ontario Power Generation (OPG), un peu l’équivalent d’Hydro-Québec, a annoncé qu’elle rejetait l’option de réfection des quatre réacteurs CANDU à sa centrale Pickering B près de Toronto, jugeant cette opération non-rentable. Si OPG juge la réfection non-rentable en Ontario où est concentrée la manufacture et l’expertise en technologie CANDU, pourquoi cette réfection serait-elle rentable au Québec? Le Québec possède une excellente expertise en médecine nucléaire et en technologie de cyclotrons pour produire les isotopes médicaux, notamment à l’Université de Sherbrooke. Cette technologie est supportée financièrement par le gouvernement fédéral, lequel veut expressément écarter à l’avenir le réacteur de Chalk River du marché des isotopes pour les diagnostiques médicaux. Le gouvernement québécois pourrait bonifier l’approche cyclotron pour les isotopes, laquelle apporte des services sanitaires sans créer de déchets radioactifs et sans créer une menace nucléaire. Pour revenir aux 800 emplois à Bécancour, l’exemple de l’Ontario est à considérer. En 2009 le gouvernement de Dalton McGuinty a lancé un projet de 8 milliards en énergies renouvelables qui vise la création de 30 000 emplois répartis partout dans la province. Suite à Fukushima l’Allemagne a décidé de fermer tous ses réacteurs nucléaires d’ici 2022 et de les remplacer par des sources d’énergie éolienne, solaire et géothermique. De plus l’Allemagne vise à réduire la demande électrique de 10% par l’efficacité énergétique et la conservation. La Suisse vise une sortie du nucléaire d’ici 2034. Avec son vaste territoire le Québec possède des ressources éolienne et solaire bien supérieures à celles de l’Allemagne. Le sondage de la firme Abacus a montré que 85% des canadiens souhaitent le développement du solaire et 79% celui de l’éolien. À Bécancour, la moitié des emplois seront requis pour le déclassement du réacteur sur deux décennies, et l’autre moitié pourrait être convertie au développement des énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique. Sous l’effet de la réglementation fédérale Hydro-Québec a déjà mis de côté des centaines de millions de dollars pour le déclassement. Les milliards économisés par la non-réfection de Gentilly-2 pourront créer des dizaines de milliers d’emplois rentables dans toute la province. C’est un exemple de tableau post-Fukushima pour Gentilly-2.
* Professeur à l’Université Laval, Département de génie électrique et de génie informatique. L’auteur détient un doctorat en physique nucléaire de l’Université Yale aux USA, et il a effectué des travaux de recherche dans plusieurs domaines, dont les lasers et l’énergie solaire.
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