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Une grève sociale, vraiment?

Anonyme, Samedi, Octobre 16, 2010 - 20:08

Serge Gélinas

L’idée a commencé à circuler, il y a quelques mois, d’organiser ce qui pourrait ressembler à une grève sociale contre le gouvernement Charest. Le dernier budget du ministre des Finances Raymond Bachand, avec son cortège de mesures antipopulaires, a suscité la colère de bien des gens, comme on l’a vu, quoique dans des circonstances passablement différentes, lors de la vibrante manifestation du 1er avril tenue à Montréal et celle des «cols rouges», 10 jours plus tard à Québec. L’odeur de scandale, voire de fin de règne, qui persiste à Québec, de même que la possibilité, que certains entrevoyaient, d’une confrontation entre le Front commun des salariéEs du secteur public et l’État, ont fait germer cette hypothèse dans certains réseaux.

À la fin mai, la Coalition opposée à la tarification et la privatisation des services publics, qui a organisé la manifestation du 1er avril et qui regroupe une centaine d’organismes communautaires, de syndicats, de groupes populaires et d’associations étudiantes, a convenu d’amorcer une réflexion sur la faisabilité d’une grève sociale. Elle a formé un comité qui a produit un guide de consultation, en circulation depuis la mi-septembre.

Par grève sociale, le comité entend «un arrêt de travail et d’activités le plus large possible des travailleurs et des travailleuses des secteurs publics et privés, ainsi que d’autres mouvements sociaux, des étudiantes et des étudiants, des femmes bénévoles, etc.» , dont les objectifs auraient une portée sociale et/ou politique plus large qu’une grève ouvrière traditionnelle. On donne comme exemple ce qui se passe parfois dans certains pays européens ou sud-américains; l’on aurait pu tout aussi bien référer à l’Asie du Sud, où le phénomène des «bandhs» est largement répandu, spécialement en Inde et au Népal.

Si l’idée d’une grève sociale a pu sembler envisageable au printemps dernier, il semble bien que l’évolution de la conjoncture l’a déjà reléguée au rang d’une simple hypothèse, dont la réalisation est douteuse; du moins ne fait-elle plus partie du plan d’action de la coalition, qui envisage plutôt l’organisation d’une autre manifestation d’importance à la veille du dépôt du prochain budget. Elle était toutefois à l’ordre du jour du récent congrès de l’ASSÉ (l’Association pour une solidarité syndicale étudiante), début octobre, et elle reste le sujet de la campagne d’automne de l’Union communiste libertaire (UCL), qui tient ce mois-ci une série d’assemblées publiques pour la promouvoir.

Dans son document d’animation, la Coalition contre la tarification et la privatisation des services publics pose une série de questions quant à la faisabilité d’une grève sociale; et dès la première, on voit bien qu’elle se heurte à une embûche fatale: «Pour qu’une grève sociale telle que définie précédemment puisse avoir lieu et être un succès, [il] faut avoir obtenu l’adhésion du plus grand nombre de groupes de tous les secteurs, y compris de mouvements syndicaux… La grève sociale est par ailleurs impossible sans l’adhésion d’au moins une partie des centrales syndicales.»

Si l’idée d’une lutte de masse globale et frontale contre l’État québécois (puisque le gouvernement mobiliserait certainement tout l’arsenal de son appareil d’État pour y faire face) participe d’une saine volonté de défendre les droits du peuple et de briser avec l’immobilisme qui caractérise depuis trop d’années les mouvements sociaux, la proposition de grève sociale n’en était pas moins viciée dès le départ.

Comment, en effet, peut-on sérieusement envisager l’hypothèse d’une confrontation de cet ordre en s’appuyant principalement sur des mouvements (le mouvement communautaire, mais surtout le mouvement syndical) pour qui l’État n’est pas l’instrument de la classe dominante, mais un allié potentiel – une sorte de garant d’un prétendu «bien commun»? Comment peut-on penser que le mouvement syndical, pris globalement, pourrait se lancer à l’assaut du pouvoir (puisque c’est bien de cela qu’il s’agit), alors qu’il est lui-même lié par mille et un fils à l’exercice de ce pouvoir, à travers les innombrables mécanismes de concertation mis en place par l’État, ses fonds d’investissement milliardaires, etc.?

La collusion nauséabonde révélée l’an dernier entre la direction de la FTQ et les capitalistes du secteur de la construction, où l’on a vu la direction de la centrale soutenir le gouvernement Charest dans son refus de tenir une enquête publique sur la corruption dans ce secteur; le soutien boboche donné encore tout récemment par la CSN à l’une des plus grandes multinationales québécoises (Bombardier); et encore, la conclusion plus que prévisible de l’entente au rabais dans le secteur public, en vertu de laquelle les centrales syndicales ont accepté de lier le sort des travailleurs et travailleuses du secteur public à la «performance» du capitalisme québécois: tout cela démontre à quel point le mouvement syndical, considéré globalement, est désormais un obstacle au développement des luttes ouvrières et populaires.

Pour envisager une rupture réelle avec le cours actuel des choses – ce que sous-tend la proposition de grève sociale – on ne peut faire autrement que d’envisager la construction d’un nouveau mouvement, qui soit réellement indépendant de l’État et du grand capital, et qui soit prolétarien et populaire tant dans sa forme que par son orientation. Cela n’est certes pas une chose simple à concevoir, et surtout à organiser; mais l’idée que l’on puisse emprunter un raccourci commode en s’appuyant sur un mouvement (le mouvement syndical) qui appartient au passé et dont le présent s’avère tellement décalé par rapport aux besoins des masses ne peut qu’amener d’amères déceptions.

Il faut saisir les éléments de rupture lorsqu’ils apparaissent – comme on l’a fait, par exemple, lors du sommet du G20, où l’action autonome et déterminée de groupes et réseaux organisés a permis de déployer une certaine colère populaire contre l’État et ses institutions. L’idée d’une journée de perturbation économique, qui avait commencé à circuler au sein de la Coalition opposée à la tarification et la privatisation de services publics, mais qui semble depuis avoir été mise de côté, aurait peut-être plus de potentiel que la grève sociale.

L’OCAP (Ontario Coalition Against Poverty), qui n’a jamais eu beaucoup de moyens, a organisé une action de ce genre à l’automne 2001 avec un certain succès, compte tenu des circonstances (l’action a eu lieu un mois à peine après les attentats du 11 septembre, en pleine hystérie «antiterroriste»). L’idée que des réseaux, groupes populaires et même des syndicats locaux qui ne se reconnaissent pas dans l’orientation qui domine dans leurs centrales respectives organisent une série d’actions coordonnées, le même jour et à la même heure, qui viseraient toutes à perturber le fonctionnement normal du capitalisme et de ses institutions (quelques grandes entreprises, les banques, le transport, etc.), est peut-être plus envisageable et porteuse d’un nouveau mouvement que celle d’une grève sociale dont les chances de réalisation sont à peu près nulles.

Y a-t-il encore quelqu’un pour la ramener dans les multiples groupes où des douzaines de militantEs d’extrême gauche ont trouvé refuge?

Serge Gélinas

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Article paru dans Le Drapeau rouge-express, nº 244, le 17 octobre 2010.
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