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Sur les récents événements en ÉquateurEric Smith, Samedi, Octobre 9, 2010 - 13:30
Le Drapeau rouge-express
Voici de larges extraits d’un texte publié par les camarades du blogue Servir le peuple, qui résume bien les récents événements en Équateur, quand des policiers ont essayé de tuer le président Correa. Fait à souligner, les forces armées ont attendu près de dix heures avant de se porter au secours du président. Sans oublier que les balles qui ont atteint le blindé de Correa provenaient aussi de l’armée… Cela nous laisse à penser que le conflit est loin d’être fini. Ces derniers jours, le gouvernement de Rafael Correa (membre de l’Alliance bolivarienne pour les Amériques) a été confronté à un soulèvement des forces de police, protestant contre la réduction de leurs primes et, dit-on, nostalgiques du prédécesseur de Correa, Lucio Gutiérrez (lui-même arrivé au pouvoir après un soulèvement populaire, il s’était ensuite déclaré «meilleur ami de Bush dans la région» et avait été à son tour chassé en 2005). Difficile, très difficile d’y voir clair, entre les voix qui présentent Correa comme un héroïque patriote progressiste anti-impérialiste (néanmoins de plus en plus contesté par son propre camp, celui qui a porté son élection en décembre 2006, notamment les indigènes), victime d’une tentative de coup d’État réactionnaire et made in Washington; et celles qui le dénoncent comme un fasciste ou un quasi fasciste et voient dans les policiers insurgés des «travailleurs en uniforme». [C’est le cas du «gros» parti marxiste-léniniste du pays, le PCMLE (courant «albanais») et son front électoral le MPD, qu’on aurait vu, aux côtés des policiers, s’affronter aux militaires fidèles au président et aux manifestants populaires venus le soutenir.] Alors, la solution est peut-être de se tourner vers une organisation de masse, l’organisation des masses les plus exploitées et opprimées du pays, les masses des nationalités indigènes (25 % de la population, plus 65 % de métis). Depuis sa création en 1986, la Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur (CONAIE) a été à la pointe des luttes populaires dans le pays et du mouvement révolutionnaire de 2000-2005, qui a éjecté trois présidents (Jamil Mahuad, Gustavo Noboa et Gutiérrez). Laissons-leur donc la parole: * * *
Appel à l’unité des organisations sociales pour défendre la démocratie plurinationale des peuples Un processus de changement, pour faible qu’il soit, court le risque de la défaite ou de se rallier à la droite, nouvelle ou vieille, s’il n’établit pas des alliances avec les secteurs sociaux populaires organisés et ne s’approfondit pas progressivement. L’insubordination de la police, au-delà de ses demandes immédiates, met à nu au moins quatre choses substantielles: 1. Pendant que le gouvernement s’est exclusivement consacré à attaquer et à délégitimer les secteurs organisés comme le mouvement indigène, les syndicats de travailleurs, etc., il n’a pas affaibli le moins du monde les structures de pouvoir de la droite, même dans les appareils d’État, ce qui a été rendu évident par la rapidité avec laquelle a réagi la force publique. 2. La crise sociale de ces derniers jours est aussi provoquée par le caractère autoritaire du président et la non-ouverture au dialogue dans l’élaboration des lois. Nous avons vu comment les lois consensuelles ont été frappées de veto par le président de la république, fermant toute possibilité d’accords. 3. Face à la critique et à la mobilisation des communautés contre les multinationales minières, pétrolières et agro-capitalistes, le gouvernement, au lieu de faciliter le dialogue, répond par une répression violente, comme cela s’est produit à Zamora Chinchipe (NDLR: répression d’un mouvement social de mineurs, le 15 septembre dernier). 4. Ce scénario nourrit les secteurs conservateurs. Plusieurs secteurs et personnages de la vieille droite demanderont le renversement du gouvernement et l’instauration d’une dictature civile ou militaire; mais la nouvelle droite, à l’intérieur et en dehors du gouvernement, utilisera cette conjoncture pour justifier son alliance totale avec les secteurs les plus réactionnaires et les entrepreneurs émergents. Le mouvement indigène équatorien, la CONAIE, avec ses confédérations régionales et ses organisations de base, exprime devant la société équatorienne et la communauté internationale son rejet de la politique économique et sociale du gouvernement, et avec la même énergie nous rejetons aussi les actions de la droite qui de manière cachée font partie d’une tentative de coup d’État; et au contraire nous continuerons à lutter pour la construction d’un État plurinational avec une véritable démocratie. Conséquents avec le Mandat des communes, des peuples et des nationalités et fidèles à notre histoire de lutte et de résistance contre le colonialisme, la discrimination et l’exploitation de ceux d’en bas, des pauvres, nous défendrons la démocratie et les droits des peuples: aucune concession à la droite. En ce moment critique, notre position est: 1. Nous faisons appel à nos bases de se maintenir en alerte de mobilisation, pour la défense de la véritable démocratie plurinationale, face aux actions de la droite. 2. Nous approfondissons notre mobilisation contre le modèle extractiviste et l’implantation de l’industrie minière à grande échelle; la privatisation et la concentration de l’eau, l’extension de la zone d’exploitation pétrolière. 3. Nous faisons appel et nous nous joignons aux divers secteurs organisés pour défendre les droits des travailleurs, touchés par l’arbitraire avec lequel a été conduit le processus législatif, en reconnaissant que ce sont des revendications légitimes. 4. Nous exigeons du gouvernement national qu’il abandonne toute attitude de concessions à la droite. Nous exigeons qu’il abandonne son attitude autoritaire contre les secteurs populaires, qu’il cesse de criminaliser la protestation sociale et de persécuter ses dirigeants; la seule chose que provoque ce type de politiques est d’ouvrir des espaces à la droite et de créer des scénarios de déstabilisation. La meilleure façon de défendre la démocratie est de promouvoir une véritable révolution qui résolve les questions les plus urgentes et structurelles au bénéfice de la majorité. Sur ce chemin, la construction effective du pluri-nationalisme et le début immédiat d’un processus de révolution agraire et de dé-privatisation de l’eau. Telle est notre position dans cette conjoncture et dans cette période historique. * * *
Cette position de la CONAIE nous semble juste et en plus, elle repose sur la légitimité d’une organisation de masse et de lutte ayant montré sa détermination et sa combativité au cours de la dernière décennie (c’est elle qui a construit le rapport de force populaire permettant l’élection de Correa et de la nouvelle assemblée constituante en 2007). Bien sûr, le discours de la CONAIE a encore un caractère ultra-démocratique idéaliste; il ne présente pas de véritable stratégie révolutionnaire pour une révolution démocratique anti-impérialiste. Et il est utopique de penser que des réformistes bourgeois comme Correa peuvent «se lier aux masses populaires organisées» et «approfondir le processus de changement» au-delà d’une certaine limite… celle de leurs intérêts de classe. C’est, tout simplement, que cette confédération d’organisations démocratiques et syndicales de masse n’est pas dirigée par un parti communiste révolutionnaire du prolétariat. Néanmoins, elle pose très justement la question de la révolution agraire et de la propriété des ressources naturelles (sous-sol, eau, forêts), ce qui est fondamental dans un pays semi-colonial, marqué par la féodalité, évoluant vers l’agro-capitalisme et avec un développement considérable (depuis 30-40 ans) de l’industrie extractive minière et forestière. Le gouvernement Correa pratique un réformisme bourgeois, social-libéral et cosmétique, pas même un réformisme «radical» petit et moyen-bourgeois (bourgeois national) à la Chavez. Il maquille d’un vernis «social», «participatif» et «patriotique» les mêmes politiques antipopulaires d’exploitation à outrance des travailleurs et travailleuses et de pillage impérialiste (y compris des impérialistes rivaux des USA) des richesses du pays que celles de tous les gouvernements depuis les années 1980. Il accumule les concessions aux classes dominantes les plus réactionnaires; il écarte des décisions et même réprime le mouvement populaire, il piétine le rapport de force et les exigences démocratiques et sociales du peuple: tout ce qui l’a porté au pouvoir! En faisant cela, il ouvre une autoroute à une offensive réactionnaire de type Honduras: c’est ce qui a failli se produire la semaine dernière… Maintenir le rapport de force, défendre les positions conquises par les masses populaires équatoriennes ces 10 dernières années, semble de plus en plus clairement impliquer son remplacement – mais par qui? Privées d’un parti révolutionnaire d’avant-garde, les masses organisées d’Équateur sont pourtant bel et bien, aujourd’hui, face à la question du pouvoir: il ne va plus être possible, dans la décennie qui commence, de chercher dans l’aile gauche des classes dominantes un «homme providentiel» (Correa est un économiste de renom, ancien ministre et de sensibilité catholique sociale). Ce n’est plus possible! Car les intérêts de ces bourgeois «réformistes» et ceux des masses populaires exploitées sont devenus inconciliables à court terme: les contradictions de classe s’aiguisent à mesure que l’on s’enfonce dans la crise générale du capitalisme et qu’avance la nouvelle vague de la révolution mondiale. La décennie qui s’ouvre met à l’ordre du jour la destruction, et non la simple réforme, du vieil appareil d’État compradore-bureaucratique-propriétaire terrien-agrocapitaliste équatorien, autrement dit la révolution démocratique anti-impérialiste. Il n’y a plus 36 000 alternatives, et quels que soient le développement, la structuration (en parti) et l’implantation des forces révolutionnaires communistes, mettre en place une stratégie révolutionnaire concrète est désormais la priorité. Une stratégie forcément prolongée, mais avec une tâche immédiate: barrer la route à la dynamique réactionnaire qui s’est mise en marche. Sur cette question, il y a aussi la position du Parti communiste d’Équateur – Sol Rojo, organisation marxiste-léniniste-maoïste sur la ligne «péruvienne». Le PCE – Sol Rojo a le mérite incontestable de ne pas aller sur le terrain du soutien à une mobilisation (celle des policiers) à direction manifestement réactionnaire (les secteurs liés à Gutiérrez) et de critiquer clairement l’attitude du MPD-PCMLE. Il aboutit cependant à un «ni-ni» qui revient finalement à une attente critique de type trotskiste, les incantations à la «guerre populaire» ne s’accompagnant d’aucune stratégie concrète de mise en œuvre, pour transformer en élan révolutionnaire la déception des masses organisées vis-à-vis du gouvernement Correa, exploiter les contradictions au sein des classes dominantes, etc. Le gouvernement de l’«Alliance Pays» de Correa est qualifié de fasciste par le PCE – Sol Rojo, ce qui peut choquer... C’est en fait une analyse parfaitement dans la ligne des thèses de Gonzalo, selon lesquelles le fascisme ne se caractérise pas par la violence réactionnaire de masse (qui serait une caractéristique de toutes les sociétés d’exploitation), mais par la volonté de nier l’existence des classes, par le «corporatisme», l’interclassisme, le «citoyennisme», la poursuite de «l’intérêt général» et de «l’harmonie sociale». Servir le peuple, comme la plupart des marxistes-léninistes et maoïstes de France et francophones, tient cette thèse pour erronée: elle confond fascisme et social-démocratie/réformisme bourgeois, allant au-delà de «la social-démocratie jumelle du fascisme» qui était déjà une erreur gauchiste de l’Internationale communiste au début des années 1930, corrigée par la stratégie de front populaire (à partir de 1934). Le fascisme se différencie certes de la dictature réactionnaire classique par la mobilisation de masse derrière la violence réactionnaire, la mobilisation d’une partie des masses populaires contre une autre (et contre les masses d’autres pays), et effectivement par une volonté d’étouffer la lutte des classes sous quelque chose de «plus grand» («nation», «race», «civilisation», etc.). Mais, fidèle à la définition de l’Internationale communiste (Dimitrov, 1934), Servir le peuple considère que la violence réactionnaire terroriste contre les masses populaires est une caractéristique du fascisme, sans quoi cela s’appelle du réformisme bourgeois, de la social-démocratie, du populo-réformisme (comme Chavez), du républicanisme démocrate-bourgeois, etc.
-- Article paru dans Le Drapeau rouge-express, nº 243, le 10 octobre 2010. |
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