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Michel Chartrand (1916-2010): Un syndicaliste conséquent, mais bourgeoisAnonyme, Samedi, Septembre 18, 2010 - 14:22
P.-A. Briand
Le 12 avril 2010, Michel Chartrand est décédé à l’âge de 93 ans. Il a eu une vie publique active de près de 70 ans, la plus grande partie au service des travailleurs et des travailleuses qu’il respectait et aimait. Les gens «ordinaires» lui rendaient bien cet amour, d’ailleurs. Ils appréciaient son franc-parler et la proximité qu’il pouvait facilement établir avec eux. Quand Chartrand engueulait les boss, les travailleurs et les travailleuses savaient qu’il ne changerait pas d’attitude quand il serait temps de les rencontrer en privé. C’était un combattant infatigable reconnu par les travailleurs et les travailleuses, mais écouté aussi par les médias bourgeois et les capitalistes eux-mêmes. Ce n’était pas pour autant un révolutionnaire. Catholique avec un penchant nationaliste Élevé dans la foi catholique et proche dans sa jeunesse, comme bien des intellectuels de son âge, des courants profascistes, son mariage avait été béni par le chanoine Lionel Groulx. Chartrand était pour le moins frileux par rapport aux communistes révolutionnaires et restait attaché à la doctrine sociale de l’Église. Président du Conseil central de Montréal (CSN) de 1968 à 1978, il développa une ligne combative dans la défense des travailleurs et travailleuses, tant au niveau des conventions collectives que du logement, du chômage et des accidents du travail. Sa combativité était sans doute plus grande que ce que les secteurs les plus progressistes de l’Église catholique pouvaient admettre. Mais il ne négligea pas pour autant l’éducation et l’action coopérative qu’elle (l’Église) appréciait beaucoup. C’est avec son soutien que furent mis sur pied les magasins Cooprix – des marchés coopératifs d’alimentation de grande surface. On a dit dans les médias bourgeois, mais aussi dans les milieux syndicaux, qu’il était d’abord un nationaliste québécois. Il fallait bien l’utiliser pour lui faire appuyer ce qu’on défend depuis belle lurette dans ces milieux et cacher la collaboration de classe que ce nationalisme a toujours entraînée. Michel Chartrand avait certes une vision nationale du développement de l’économie du Québec, mais sa priorité restait toujours l’avancement individuel et collectif des travailleurs et des travailleuses. Il a expliqué sa pensée dans une entrevue accordée à Odile Tremblay, parue le 1er mai 1991 dans le journal Le Devoir: «Où il va, l'argent du peuple? Il sert à partir des petites entreprises quand 50 % d'entre elles s'écroulent la première année. Les Québécois sont comme des chiens qui se mordent la queue, croulant sous le chômage mais distribuant nos ressources naturelles à qui les demande. On croyait que Jean Lesage, que Lévesque avaient tout donné: les mines, la terre. Erreur! Il nous restait de l'eau et Bourassa est allé la distribuer aux Américains.» Il poursuivait du même souffle: «Nos valeurs sont complètement faussées […] On s'imagine encore que la prospérité va de pair avec l'enrichissement des grosses compagnies. C'est faux. La prospérité d'un peuple, c'est la satisfaction de ses besoins primaires: des maisons avant des stades et des opéras, du travail pour tout le monde.» S’il était nationaliste, Michel Chartrand ne l’était pas à la manière du PQ, qu’il n’aimait pas beaucoup; contrairement à Chartrand, le PQ ne s’est jamais vu au service des travailleurs et des travailleuses. S’il était toujours prêt à botter le cul aux politiciens bourgeois, Michel Chartrand n’avait pas tendance à épargner les péquistes. C’est cette orientation que développa l’hebdomadaire Québec Presse, qu’il soutint et qui dut rendre l’âme en raison de la concurrence du quotidien Le Jour, qui se voulait un véhicule politique du Parti québécois. Bref parcours de sa vie publique Les premières activités politiques de Michel Chartrand ont été dans des partis bourgeois. Il a milité dans les années 1930 et 1940 à l’Action libérale nationale et au Bloc populaire, précurseurs du PQ et du Bloc québécois. Pour le Bloc populaire, il fut notamment l’organisateur de Jean Drapeau, qui se présentait pour cette formation dans la circonscription d’Outremont. C’est dans les années 1950 que son point de vue pro-ouvrier se développa au cours des durs conflits se déroulant alors, entre autres à Asbestos et Murdochville. Chartrand fut d’ailleurs emprisonné sept fois durant cette période. C’est aussi durant ces années qu’il devint le leader du Parti social démocratique, l’aile québécoise du Commonwealth Cooperative Federation (CCF) de Tommy Douglas. Il participa aussi à la formation du Nouveau parti démocratique (NPD), avant de devenir le président fondateur du Parti socialiste du Québec (PSQ), qui fit long feu. Sa période la plus active fut certes marquée par sa présence à la présidence du Conseil central de Montréal (CSN), de 1968 à 1978. Fin 1970, il fut emprisonné durant quatre mois durant la crise d’Octobre. Dès le premier jour de son procès, on lui imposa quatre condamnations pour «outrage au tribunal» (le verbatim de ce retentissant procès sera d’ailleurs bientôt publié chez Lux Éditeur à l’occasion du 40e anniversaire de la crise d’Octobre; l’ouvrage sera disponible à la Maison Norman Bethune)… En 1958, Chartrand s’était présenté dans le comté de Jonquière comme candidat du CCF. Il se représenta 40 ans plus tard dans ce même comté, cette fois contre Lucien Bouchard alors chef du PQ, sous la bannière du Rassemblement pour l’alternative progressiste (le RAP), l’ancêtre de Québec solidaire. Déjà avancé en âge, il fonda enfin dans les années 1980 la Fondation pour l’aide aux travailleuses et aux travailleurs accidentés (FATA), qui demeure toujours active. Une action combative, mais limitée par une perspective bourgeoise On peut conclure que Michel Chartrand, imprimeur de son métier, a défendu un syndicalisme combatif qui englobait toute la vie des travailleurs et travailleuses, et pas seulement leur convention collective. Inspiré par la doctrine sociale de l’Église catholique plutôt que par le marxisme révolutionnaire, son action politique demeura limitée par le capitalisme. Elle ne cherchait pas à l’abolir, mais à faire une meilleure place aux travailleurs et aux travailleuses, dans le cadre des rapports de force existant sous le capitalisme. Son action politique a pu faire croire à bien du monde qu’il suffisait de parler fort, clair et de lutter pour changer les choses, mais que la révolution n’était pas nécessaire. Malgré sa grande combativité et un dévouement envers les travailleurs et travailleuses que l’on ne retrouve absolument plus chez les leaders actuels du mouvement syndical, Michel Chartrand aura finalement permis ainsi au capitalisme bourgeois de se perpétuer. Léo-Paul Lauzon, en économie, véhicule aujourd’hui une idéologie semblable, comme l’avait fait d’ailleurs le groupe La Maîtresse d’école en pédagogie au début des années 1980. Chartrand lutta fort contre les patrons et avec intransigeance, mais dans le cadre du capitalisme et sans vouloir le renverser. Ce fut, en définitive, un syndicaliste conséquent, mais bourgeois. P.-A. Briand
-- Article paru dans Le Drapeau rouge-express, nº 240, le 19 septembre 2010.
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