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Mexique : l'écologie zapatiste, colibris, pelles et pioches...Anonyme, Mercredi, Septembre 1, 2010 - 16:13
Jean-Pierre Petit-Gras
Retour à la réserve écologique zapatiste de Huitepec, au Chiapas... Derrière la cabane du « campement pour la paix1 », un colibri s'enivre tranquillement, d'une fleur de floripondio à l'autre. A nous autres humains, ce plaisir est refusé : nous sommes en territoire zapatiste, et l'alcool et autres psychotropes y sont prohibés depuis bien avant le soulèvement de 1994. La mesure avait fait l'objet d'un large consensus, avec la « loi révolutionnaire sur les femmes », et assuré aux hommes du mouvement clandestin la pleine et entière participation, sur un pied d'égalité, de leurs compagnes. Pour accéder à la réserve, nous avons tout simplement pris un taxi depuis Jobel, que certains s'obstinent encore à appeler San Cristóbal de Las Casas. A San Felipe, on laisse la route de Navenchauc pour une plus petite, qui escalade sur la droite les flancs du Huitepec, le volcan des colibris. Depuis l'hiver 2006, toute une partie de cette montagne est devenue Réserve Ecologique Communautaire Zapatiste. La décision a été prise par le Conseil de Bon Gouvernement d'Oventik2, suite à l'arrestation de deux habitants du village, qui cultivaient quelques légumes dans une clairière de la forêt. Cette affaire avait permis de dévoiler les plans de la municipalité et du gouverneur de l'Etat : transformer les terres communales de Huitepec en une « réserve écologique », à côté de celle qu'occupe déjà la PROFEPA3, afin d'y installer un parc zoologique et, en même temps, un lotissement de luxe, à la hauteur de ce magnifique balcon sur la vallée de Jobel. Malgré les menaces proférées à plusieurs reprises par le président municipal (dont le frère est le gros entrepreneur du bâtiment qui détruit imperturbablement le cerro de Santa Cruz, la montagne d'en face), les zapatistes tiennent bon. Des bases de apoyo, membres civils de l'EZLN, se relaient en permanence pour protéger la centaine d'hectares de forêt qui descend vers le levant, cette partie de la montagne que les tsotsil avaient réussi à conserver, et à préserver de l'appétit destructeur des colons et des promoteurs. Nous sommes donc retournés à Huitepec, pour passer quelques jours en leur compagnie. Et pour parler un peu le bats'i k'op4, la langue des tsotsil. Celle-ci nous semble bien plus utile5 que les parlers officiels de l'empire mondial. Nous n'y avons, pendant ces journées, rien fait de spécial. Simplement, peut-être, un peu mieux compris qui sont ces hommes et ces femmes, les zapatistes. Le lendemain de notre arrivée, nous sommes allés ramasser du bois. Pour cuisiner, et nous chauffer quand le soir tombe. Car à 2700 mètres, même sous cette latitude, la température tombe vite. Et sur ce volcan éteint, situé presque à la bordure entre les hautes terres et les terres chaudes et basses du bassin du Grijalba, la nuit et la brume arrivent ensemble. La veille, nos compagnons avaient repéré, allongé sur un parterre de fougères géantes, le tronc d'un énorme chêne, probablement touché par la foudre, et déjà entamé par un groupe qui nous avait précédés. Ces arbres immenses, bien droits, avec des feuilles petites et pointues, sont appelés à cause d'elles chikin im, oreilles de tatou. Leur bois est d'une extrême dureté, et la hache y rebondit avec des claquements métalliques. Pendant une heure, ils vont se relayer, frappant de grands coups précis, creusant peu à peu la matière, pour en détacher un gros tronçon, qui sera à son tour découpé en bûches, puis en bûchettes. Seuls les plus âgés travaillent, sous l'œil attentif des autres -le regard de ceux qui apprennent, suscitant parfois un commentaire expert. Quand l'un fatigue, ou probablement avant, un autre prend la relève. Pas de perte de temps, dans leurs gestes mesurés, mais pas de précipitation non plus. L'habitude du travail collectif, chez ces hommes qui habitent pourtant des villages différents, saute aux yeux. Comme le plaisir d'être ensemble, et le respect mutuel qu'ils semblent s'inspirer. Les plaisanteries, les rires viennent souvent ponctuer les efforts. Mais toujours sur un mode serein, détendu. Pendant le travail de la hache (ils n'en ont qu'une), les plus jeunes vont tailler des branches moins épaisses, avec leurs machetes. Là encore, leur maîtrise des outils est admirable. Les enfants en apprennent très tôt le maniement. En regardant faire les grands, puis en le prenant en main, car on leur fait très vite confiance. A huit ans, les garçons reçoivent leur premier machita. Mais les filles l'utilisent elles aussi. Personne ne dirige les opérations, l'organisation et le travail se font sans commandements ni hiérarchie. La culture indigène, reprise par le zapatisme, les ignore, ou du moins les réprouve sans ambigüité. Le bois est maintenant rassemblé, et placé sur les cordes des mecapales6. Puis nous le remontons vers le campement, par un sentier scandaleusement raide, en tâchant d'éviter les lianes et les pierres glissantes. Chaque jour, nous partons faire un grand tour dans la réserve. Il s'agit de la surveiller, et si possible d'empêcher toute déprédation. Certains habitants de la communauté voisine, los Alcanfores, qui n'est pas zapatiste, entrent dans la forêt pour y chercher du bois. Il est vrai que le gouvernement municipal les incite à le faire, afin de provoquer des tensions avec ceux de Huitepec. Au lieu de choisir des arbres morts, qui ne manquent pourtant pas, ces personnes s'attaquent parfois à de jeunes chênes. Quand ils les surprennent, les zapatistes préviennent : « la prochaine fois, vous serez présentés à la Junta de Buen Gobierno, qui prendra une sanction -une amende- à votre égard. Il arrive également que d'autres habitants viennent se brancher sur l'une des sources de la montagne. Celle-ci constitue en effet la principale réserve en eau de la région. Les arbres y retiennent la brume, et les précipitations sont abondantes. Si le branchement n'a pas été autorisé par la Junta, celui-ci est défait, et le tuyau emporté. Enfin, nous découvrons un petit troupeau de vaches, gardé par un enfant. Intercepté par les zapatistes, qui pour l'occasion ont dissimulé leurs visages avec des passe-montagne ou des paliacates7, celui-ci n'en mène d'abord pas large. Puis, rassuré par le calme de ses interlocuteurs, qui lui expliquent patiemment que les animaux mangent les jeunes pousses, et notamment les arbres, il les emmène en promettant de rappeler à son père que la réserve n'est pas pour les troupeaux. Mais ces promenades sont aussi, pour nous, l'occasion de découvrir un peu de cette immense biodiversité qui peuple encore les forêts des Altos, les hautes terres du Chiapas. Et nous constatons qu'au-delà de leur modestie (« nous avons beaucoup oublié, nos grands-parents, eux, en savaient beaucoup plus »), ils ont une bien meilleure connaissance des plantes, médicinales ou non, des arbres et des animaux, que celle que nous pouvons avoir chez nous. Par ailleurs, rien n'échappe à leur vigilance : ni la trace d'un tatou, ni celle d'un homme qui s'est frayé un passage inhabituel entre la végétation8, ni même un champignon tapi sous une feuille de tulan9. Un autre jour, nous allons avec eux faire un grand trou, pour les toilettes. Cette fois, ce sera avec leur art de manier la pelle et la pioche que nous serons confrontés, dans une amicale mais inégale compétition. Dès que l'énorme pic se fait pesant pour les bras, nous sommes aimablement relayés par ces hommes petits et minces, mais d'une énergie et d'une endurance impressionnante. Tous les soirs, quelques uns d'entre eux viennent partager notre feu, ainsi qu'une tasse de té de hierba10. A d'autres moments nous montons près du leur. Par de longues conversations, nous apprenons les uns des autres quel sens a la vie, dans nos pays respectifs. Et nous saisissons un peu mieux leur attachement à une culture ancestrale, qui a pu être la nôtre. Nous quittons ces hommes12, avec lesquels nous avons vécu une dizaine de jours, avec l'idée que tout n'est pas perdu: la possibilité d'un sursaut humain est là, parmi ces gens qui cultivent, en même temps que leurs milpas13, la défense du bien commun, la dignité, l'autonomie et le plaisir de vivre ensemble. Et si le zapatisme était contagieux ? Août 2010 - Jean-Pierre Petit-Gras [ EDIT (Mic à titre de validation au CMAQ)
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