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La sous-performance de la Commission des droits de la personne et ses conséquences (1 de 3)lacrap, Jeudi, Mai 20, 2010 - 16:53 La Coalition contre la répression et les abus policiers (CRAP) a été invité à prendre part à la consultation « Le profilage racial et ses conséquences » lancée par la Commission des droits de la personne et des droits de la personne (CDPDJ). Malgré sa décision de participer à la présente consultation, la CRAP n’entend pas passer sous silence les problèmes à la fois nombreux et persistants qui minent l’action de la CDPDJ dans sa lutte contre la discrimination en général et le profilage racial en particulier. Pour la CRAP, la présente consultation représente au contraire une opportunité de dresser l’inventaire des choses qui clochent à la CDPDJ. Voici donc la première partie du mémoire de la CRAP rédigé sous la plume de son porte-parole, Alexandre Popovic. *** Si les recours légaux existent pour les victimes de profilage racial et d'abus policiers, il reste que les organismes institutionnels spécialisés dans la protection des droits des citoyens ne sont souvent pas à la hauteur de leur mission et manquent visiblement d'efficacité. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) n’échappe pas à cette triste réalité. La CDPDJ est le seul organisme institutionnel québécois voué exclusivement à la protection des droits fondamentaux, ce qui lui confère un rôle de la première importance dans la lutte contre les comportements discriminatoires en tout genre, incluant le profilage racial. Du moins en théorie. Car, dans les faits, la performance de la CDPDJ est gravement altérée par le fait qu’elle est l’enfant pauvre du gouvernement depuis au moins une bonne vingtaine d’années, et ce, indépendamment du fait que ce soit les libéraux ou les péquistes qui détiennent le pouvoir. La CDPDJ est « une institution publique souffrant, depuis de nombreuses années, d’un sous-financement et d’une sous-dotation chroniques », expliquait Me Pierre Bosset, directeur de la recherche et de la planification de la CDPDJ, lors d’une conférence qui se tint à Genève, en Suisse, en septembre 2004. (1) Depuis la création de la Commission des droits de la personne, en 1977, le législateur a continuellement élargi sa sphère d’intervention sans pour autant que cela ne se traduisent par une augmentation conséquente de ses ressources financières. En 1985, l’entrée en vigueur de la Partie III de la Charte des droits et liberté de la personne imposa dorénavant à la Commission des droits de la personne le devoir de fournir l’assistance requise à l’élaboration de programmes d’accès à l’égalité dans les entreprises. La Commission des droits de la personne s’est donc vue attribuer des pouvoirs d’enquête, de recommandation, de recours au tribunal et de surveillance dans le but d’assurer l’implantation de programme d’accès à l’égalité. En 1995, le ministre de la Justice Paul Bégin décida de fusionner la Commission des droits de la personne avec la Commission de protection des droits de la jeunesse afin de réaliser des économies de bout de chandelle. Depuis l’entrée en vigueur de la fusion, la Commission des droits de la personne a changé de nom pour devenir la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (notez que nous utiliserons l’acronyme CDPDJ seulement lorsque nous ferons allusion à la Commission après la fusion de 1995). Encore cette année, un scénario déjà vu semblait se répéter avec l’adoption du budget Bachand qui annonçait l’abolition de la Commission de l'équité salariale et le transfert de son mandat à la CDPDJ. L’avenir dira si la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse va à nouveau changer de nom pour devenir Commission des droits de la personne, droits de la jeunesse et de l’équité salariale…. Il va sans dire que les attentes créées par le législateur ne sont pas à la hauteur des moyens qu’il fourni à la CDPDJ dans l’accomplissement de ses multiples mandats. Cette situation de sous-financement constitue clairement un facteur contribuant à la sous-performance de la CDPDJ. Les limites à l’autonomie de la Commission Le problème du sous-financement fut mis en évidence de façon particulièrement crue au mois de mai 1990, lorsque la Commission des droits de la personne demanda au gouvernement québécois de débloquer la somme de 391 000 $ afin d’assurer le financement d’une enquête sur les relations entre les corps policiers et les Premières nations autochtones. Le 1er juin 1990, monsieur Jacques Lachapelle, à l’époque président de la Commission des droits de la personne, expliqua le sens de cette démarche devant une commission parlementaire de l'Assemblée nationale. (2) « À la Commission des droits de la personne, nous avons reçu, depuis ces derniers mois, des plaintes qui nous proviennent des communautés autochtones de nombreux endroits, que ce soit de Oka, de la réserve des Escoumins, concernant le traitement qu'elles reçoivent par les corps policiers et par les membres de ces corps policiers », déclara M. Lachappelle. « On en a eu une autre, récemment, qui venait justement du Lac Barrière, des Algonquins du Lac Barrière et qui a, excusez le mot, un "pattern" un peu semblable. Donc, il se développe des relations extrêmement tendues, lorsqu'il y a des interventions policières dans les réserves. Alors, la Commission des droits de la personne aimerait étudier, de la même façon que nous l'avons fait pour les groupes des minorités visibles et ethniques, toute cette question des relations avec les corps policiers », fit valoir le président de la Commission. Soulignons que l’enquête proposée par la Commission des droits de la personne avait été accueillie favorablement par plusieurs représentants d’organisations autochtones, comme l’atteste une pétition signée par 30 membres de l'Assemblée des premières nations du Québec et du Labrador déposée à l’Assemblée nationale par le député péquiste Denis Perron, le 14 juin 1990. (3) Durant la période des questions du 21 juin 1990, le ministre de la Justice Gilles Rémillard avait répondu à cette demande en déclarant « qu'il s'agit d'un sujet qui est important et qui doit être traité avec toute l'attention qu'il mérite et c'est ce que nous allons faire ». (4) Le gouvernement québécois était encore en train d’étudier la demande de financement de la Commission des droits de la personne lorsque la crise d’Oka éclata, le 11 juillet 1990. L’élément déclencheur de la crise fut l’intervention d’un bataillon de 125 policiers de la Sûreté du Québec qui avaient été déployés avec pour mission de démanteler une barricade protégeant un cimetière ancestral mohawk menacé de destruction par la municipalité d’Oka. Des militants mohawks de la Warriors society avaient alors prit les armes pour repousser l’intervention policière, forçant ainsi la SQ à battre en retraite. Un caporal de la SQ avait perdu la vie durant l’affrontement. En fin de compte, la barricade fut démantelée par un régiment des Forces armées canadiennes. La crise d’Oka s’étira durant une période de 78 jours. Le gouvernement répondit à la Commission des droits de la personne seulement en mars 1991, soit dix mois après qu’elle eut formulé sa demande d’enquête. Sans surprise, le gouvernement opposa une fin de non-recevoir au financement de cette enquête, qui n’a évidemment jamais vu le jour. Bien que l’on ne saura jamais avec certitude si la tenue de l’enquête aurait réussi à empêcher la crise d’Oka, il reste que la commission conclua, dans un rapport de plus de 140 pages publié en mai 1991, que cette crise avait été à la fois prévisible et évitable. (5) Cet épisode regrettable ne va pas sans rappeler la situation à laquelle la Commission des droits de la personne avait été confrontée, quelques années plus tard, dans l’épineux dossier de l’équité salariale, une cause qui intéressait 120 000 femmes et dont l'enjeu frôlait alors les 300 millions $. Depuis 1987, des enquêteuses indépendantes nommées ad hoc avaient été mandatées par la Commission afin de mener une enquête sur la discrimination salariale fondée sur le sexe dans certains domaines de la fonction publique et parapublique québécoise. En novembre 1992, la Commission décida toutefois de suspendre cette vaste enquête par manque de fonds. (6) Encore une fois, la Commission des droits de la personne faisait la démonstration de son impuissance. La Confédération des syndicats nationaux (CSN), qui avait portée plainte à la Commission au nom de 20 000 travailleuses, avait même dû s’adresser aux tribunaux pour obtenir la poursuite de l’enquête. Le 10 mars 1993, le juge Louis Tannenbaum de la Cour supérieure du Québec avait d’ailleurs donné raison à la CSN en statuant que le « manque de ressources financières ne pouvait constituer un motif suffisant pour empêcher la poursuite de l'enquête ». (7) Le Conseil du trésor québécois, qui avait tout intérêt à bloquer l’enquête, refusa toutefois de fournir des fonds additionnels dont la Commission avait besoin pour aller de l’avant. (8) Non seulement le Conseil du trésor amputa-t-il de 400 000$ le budget annuel de la Commission des droits de la personne, mais il essaya également de capitaliser sur la faiblesse de celle-ci en intentant son propre recours contre elle devant les tribunaux. (9) Dans son livre « Le régime québécois de protection et de promotion des droits de la personne », l’auteure et professeure en sciences juridiques Lucie Lamarche écrivit que la CSN « aurait convenu d’une entente de partage des frais d’enquête avec la Commission des droits de la personne suite à une résolution des commissaires en ce sens ». (10) Selon un article paru dans le journal Le Soleil, l’analyse des plaintes de la CSN n’était toujours pas terminée au début de l’année 2001. (11) Les problèmes rencontrés par la Commission des droits de la personne lorsqu’elle tenta de tenir ses enquêtes sur l’équité salariale et les relations entre les corps policiers et les peuples autochtones illustrent à eux seuls les conséquences sociales et politiques dramatiques du sous-financement de l’organisme. D’une part, en refusant de financer la tenue d’une enquête sur les relations entre les corps policiers et les peuples autochtones, le gouvernement rata peut-être une occasion d’éviter un conflit long et violent. D’autre part, en refusant de financer la tenue d’une enquête sur la discrimination salariale, le gouvernement manqua une opportunité de tourner la page sur une vieille injustice héritée du système patriarcal. Cela étant, il faut reconnaître que la vulnérabilité financière place la CDPDJ dans une situation inacceptable politiquement. Quand la CDPDJ doit s’adresser au gouvernement pour quémander des fonds additionnels, elle devient de ce fait à la merci du bon vouloir du parti politique au pouvoir, ce qui pose une limite évidente à son autonomie. Ainsi, le gouvernement du jour jouit d’un pouvoir de vie ou de mort sur les enquêtes d’envergure de la CDPDJ. Ce faisant, rien ne saurait empêcher le parti au pouvoir de se servir de cette position avantageuse pour réserver l’attribution de fonds additionnels à la Commission aux seules enquêtes susceptibles de servir ses propres intérêts politiques. Les légendaires délais de la Commission et leurs conséquences L’une des conséquences les plus flagrantes du sous-financement de la CDPDJ sont les énormes délais dans le traitement des plaintes de discrimination. Le problème des délais n’a rien de nouveau. La CDPDJ a déjà promis à maintes occasions qu’il s’attaquerait au problème des délais. Malheureusement, les résultats se font toujours attendre. Dans une « Déclaration de service aux citoyens » adoptée en mars 2001, la CDPDJ avait annoncée son intention de réduire les délais d’enquête. « La Commission s’est fixé comme objectif général, sauf situations exceptionnelles liées à la complexité de certains dossiers, de vous faire connaître sa décision dans une période maximale de quinze mois suivant la plainte qui concerne la Charte des droits et libertés de la personne et de six mois suivant la plainte qui concerne la Loi sur la protection de la jeunesse ou la Loi sur les jeunes contrevenants », pouvait-on lire. (12) Or, les délais ont allongé depuis ce temps… Ainsi, selon le Rapport d’activités et de gestion 2008-2009 de la CDPDJ, le délai moyen de traitement des dossiers conclus ou fermés était de 576 jours, ce qui correspondait à 19 mois. (13) Il s’agit-là d’une hausse substantielle par rapport à l’année précédente puisque le délai moyen de traitement des dossiers s’élevait à 475 jours en 2007-2008. En 2006-2007, le délai moyen s’élevait à 576 jours, et, en 2005-2006, à 604 jours. Il va sans dire que l’ampleur de ces délais mine considérablement l’efficacité de la CDPDJ, sans parler de sa crédibilité en tant que recours légal pour les victimes de discrimination. « Les délais d'enquête sont parfois si longs qu'ils constituent, pour la victime de discrimination, une injustice qui vient simplement s'ajouter à celle qu'elle décrie déjà dans sa plainte », observa monsieur Christian Brunelle, avocat et étudiant au doctorat en droit à l'Université d'Ottawa, dans un texte publié dans Le Devoir, en 1998. (14) « Un délai de justice, c'est un déni de justice », observa le président du Conseil musulman de Montréal, monsieur Salam Elmenyawi, en déplorant le manque de diligence de la CDPDJ à l’égard de plaintes portées par des membres de sa communauté. (15) Plusieurs personnes ne portent pas plainte parce qu'elles réalisent que la Commission prend trop de temps », ajouta-t-il. De son côté, Me Alain Arsenault, qui a déjà agit comme assesseur au Tribunal des droits de la personne, souligna l’ampleur des délais dans le traitement des plaintes par la CDPDJ dans une lettre adressée au Barreau du Québec dont La Presse a obtenu copie. « J'ai en effet constaté, à plusieurs reprises, des délais de quatre, six et même sept ans entre le dépôt d'une plainte et la décision de la Commission de saisir ou non le Tribunal des droits de la personne, ou tout autre tribunal, d'un dossier », écrivit Me Arsenault. (16) La CDPDJ semble avoir toujours une bonne excuse pour expliquer les délais. Dans son rapport annuel de 2008-2009, la CDPDJ attribua la hausse du délai moyen mentionné ci-haut à la mise en œuvre d’un nouveau système informatisé de traitement des dossiers d’enquête. (17) Durant un entretien avec le journaliste André Noël de La Presse, Me Marc-André Dowd, alors président par intérim de la CDPDJ, tenta d’expliquer les délais pour l’année 2004 en invoquant les rebondissements judiciaires d’un dossier concernant une entente survenue entre le gouvernement et les syndicats. À l’époque, la CDPDJ avait jugé que l’entente était discriminatoire parce qu’elle avait été conclue au détriment du salaire des jeunes enseignants. Mais le gouvernement décida de contester la compétence de la CPDDJ et d’autres mis en cause emboitèrent le pas, ce qui aurait eu pour effet de paralyser partiellement les services d’enquête de la CDPDJ. (18) « Mais je reconnais que le problème des délais est préoccupant, ajouta Me Dowd. C'est une question d'accès à la justice. La victime a le goût de tourner la page. Elle n'a pas envie de patauger là-dedans pendant des années. Le mis en cause vit lui aussi avec ce stress. » La Commission des institutions de l'Assemblée nationale s’était déjà inquiété d’un autre effet pervers découlant des délais monstrueux de la CDPDJ, soit le fait que les plaignants finissent par accepter des ententes à rabais malgré le fait que leurs droits fondamentaux aient bel et bien été bafoués. « Les très longs délais, ajoutés à une procédure déficiente, ont pour effet de décourager les plaignants qui acceptent ainsi des règlements peu avantageux, quand ils ne se désistent pas purement et simplement », avait alors soulevé la commission parlementaire. (19) En mai 2006, la CDPDJ fut embarrassée lorsque la juge Michèle Rivet du Tribunal des droits de la personne invoqua la longueur des délais comme motif de rejet d’une poursuite qu’elle avait intentée contre le Centre de la petite enfance Les Pandamis, de Le Gardeur (en banlieue est de Montréal). La juge Rivet reprocha à la CDPDJ d'avoir attendu quatre ans et demi après le dépôt de la plainte avant d’intenter sa poursuite. Dans sa décision, la juge Rivet estima que de tels délais étaient « inacceptables » parce qu'ils étaient « de nature à déconsidérer l'administration du système de protection des droits de la personne et, de manière générale, du système de justice et partant, minent la confiance que peut en avoir le public ». (20) Dans un article paru dans La Presse peu après, madame Ginette L'Heureux, directrice des communications de la CDPDJ, annonça des changements pour remédier à la situation. « La Commission travaille à revoir complètement son processus d'enquête. Des postes sont affichés. Le nouveau processus devrait être en place d'ici deux mois. On est très conscients qu'il faut trouver une solution », a-t-elle promis. (21) Une déclaration qui laissa Me Arsenault sur son appétit. « Chaque fois que la Commission est prise en flagrant délit, ses dirigeants promettent de régler le problème, commenta-t-il. Ça ne marche pas et ça ne marchera pas tant que les citoyens ne pourront pas s'adresser eux-mêmes au Tribunal des droits de la personne, comme c'est maintenant le cas en Ontario. » Porter plainte porte-t-il fruit ? Certains intervenants soulignèrent à différentes occasions que la sous-performance de la Commission des droits de la personne ne s’expliquait pas uniquement par une carence au niveau de ressources mais aussi par la façon dont l’organisme traite les plaintes. Déjà, en 1988, une étude menée par deux avocates du Groupe québécois de recherche sur le droit à l'égalité en arrivait à une conclusion lapidaire : s’adresser à la Commission des droits de la personne revient à « porter un coup d'épée dans l'eau ». (22) Les chercheuses signalèrent notamment que les plaintes portant sur la discrimination raciale étaient jugées non fondées dans une proportion de 49 %, ce qui était nettement au-dessus de la moyenne. Elles reprochèrent également à la Commission des droits de la personne d'interpréter la Charte de façon trop restrictive, de se montrer trop exigeante en matière de preuve et recommandèrent qu’une présomption soit établie en faveur des plaignants. Lors d’un entretien avec La Presse qui eut lieu à la même époque, madame Liza Novak, porte-parole de l’organisme Action-Travail des femmes, abonda dans le même sens lorsqu’elle demanda à la Commission de faire preuve d’un parti-pris plus manifeste envers les droits qu’elle a le mandat de défendre. (23) La critique à l’égard des façons de faire de la Commission des droits de la personne atteignit son paroxysme en novembre 1987, alors que la Commission des institutions de l’Assemblée nationale procéda à des auditions publiques destinées à faire l’examen des orientations, des activités et de la gestion de la Commission des droits de la personne. « L’insatisfaction à l’endroit de la Commission avait alors atteint un comble au sein de la communauté », écrivit l’auteure Lamarche. (24) Ainsi, les 13 organismes qui prirent part aux auditions firent tous valoir des critiques, souvent virulentes, à l’égard de la performance de la Commission des droits de la personne. Bref, on aurait dit que la Commission des droits de la personne avait réussi à faire l’unanimité contre elle. Durant une audition, Mme Jocelyne Lamoureux, de la Ligue des droits et libertés, déplora le « manque de stratégie judiciaire » de la Commission des droits de la personne, ainsi que « son manque de vigueur et d’audace dans les recours devant les tribunaux, faisant en sorte que les balises du droit à l’égalité au Québec ne progressent pas comme elles le devraient ». Mme Lamoureux s’indigna notamment du fait que la Commission n’avait inscrite aucune cause devant les tribunaux durant les neuf premiers mois de l’année 1987. « De toutes les commissions canadiennes, de toutes les commissions provinciales dans ce domaine, la Commission des droits de la personne est assez peu représentative des progrès qui sont fait ailleurs », souligna-t-elle. (25) Plusieurs intervenants déplorèrent aussi le fait que la Commission des droits de la personne devait à la fois enquêter, faire une recommandation et prendre une décision impartiale relativement aux plaintes dont elle était saisie. Ainsi, les multiples chapeaux portées par la Commission l’a plaçait dans des situations de « conflit entre la promotion des droits et libertés de la personne et le jugement sur le bien-fondé des plaintes ». Dans son livre, l’auteure Lamarche résuma ainsi le conflit auquel était confronté la Commission des droits de la personne : « comment, demandent des intervenants, peut-on d’une part prendre fermement position en faveur du respect du droit à l’égalité et, d’autre part, adopter dans le cours d’une enquête une attitude dite impartiale qui en fait dénote une vision conservatrice de l’interdiction de la discrimination et très exigeante au niveau de la preuve ? Cette vision déroute et dessert le plaignant. » (26) Afin de répondre aux nombreuses critiques qui avaient été exprimées de part et d’autres quant à la sous-performance de la Commission des droits de la personne, la Commission des institutions produisit un rapport, en juin 1988, dans lequel elle formula une série de recommandations, dont la plus importante fut la création du Tribunal des droits de la personne. La mise sur pied de ce Tribunal administratif spécialisé devait régler certains des problèmes qui affligeaient la Commission des droits de la personne, dont le conflit relativement à son double mandat mentionné précédemment. Apparu en 1990, le Tribunal des droits de la personne se révéla loin d’être une panacée. Cinq après sa création, le problème de la sous-performance de la Commission des droits de la personne demeurait entier. Comme l’écrivait l’auteure Lamarche « le Tribunal des droits de la personne est sous-utilisé par la Commission des droits de la personne du Québec, première responsable de sa saisine ». (27) La situation ne semblait guère avoir progressé deux décennies après la mise sur pied du Tribunal. Selon son plus récent rapport annuel, la CDPDJ traita 11 985 plaintes et demandes d’information en 2008-2009. Dès leur réception, les employés estimèrent que seulement 6476 d'entre elles étaient du ressort de la CDPDJ. (28) Parmi ce lot, 937 demandes furent considérées comme étant des plaintes méritant d’être soumise à un examen de recevabilité. (29) Sur ce nombre, les enquêteurs ouvrirent 671 dossiers concernant de possibles violations des droits de la personne, dont 27 % portait sur des allégations de discrimination ayant trait à la race, la couleur, l’origine ethnique ou nationale du plaignant. (30) Sur ces 671 dossiers, 103 plaignants finirent par se désister et 216 autres réglèrent à l'amiable. (31) À son tour, le Comité des plaintes de la CDPDJ examina 424 dossiers et en rejeta 325 autres. (32) En bout de ligne, la CDPDJ déposa 28 seulement plaintes au Tribunal des droits de la personne (28 autres firent l'objet de mesures de redressement), ce qui représentait un maigre 2,9 % des 937 plaintes initiales. (33) Pour sa part, Me Christian Brunelle retint l’hypothèse que les compressions budgétaires pourraient joué un rôle dans la timidité excessive dont fait preuve la CDPDJ dans le traitement des plaintes. Selon lui, la CDPDJ « semble quelquefois hésiter à saisir le Tribunal des droits de la personne des affaires dont l'issue apparaît incertaine en droit, ce qui l'inciterait à cesser d'agir en faveur de la victime plus souvent qu'il ne le faut. À preuve, dans le passé, quand cette même victime s'adressait de son propre chef au Tribunal après avoir été informée du refus de la Commission d'agir pour elle, elle obtenait très souvent gain de cause. La gestion des dossiers par la Commission serait-elle trop prudente en raison des coûts qu'engendre une audition devant le Tribunal ? » (34) Or, l’action judiciaire n’est pas le seul domaine dans lequel la CDPDJ pourrait se montrer plus entreprenante. La CDPDJ se révèle en effet être peu encline à lancer des enquêtes de sa propre initiative, comme le lui permet l’article 71 de la Charte des droits et libertés de la personne. En 2008-2009, la CDPDJ s’est prévalue de ce pouvoir à seulement 19 reprises. (35) En 2007-2008, elle l’a fait à 21 occasions. (36) Ma propre expérience avec la Commission Comment pourrais-je mieux illustrer les problèmes du traitement des plaintes à la CDPDJ qu’en décrivant une expérience laquelle je suis intimement familier, puisque c’est la mienne. En effet, de 2002 à 2005, j’ai affaire avec la CDPDJ relativement à un dossier d’arrestation de masse de manifestants. Mes démarches auprès de la CDPDJ ont donné lieu à une longue suite de frustrations avant d’aboutir nulle part. Commençons par le commencement. Le 30 avril 2002, je me suis rendu au siège social de la CDPDJ, où j’ai rencontré madame Manon Bonenfant, technicienne en information. Je voulais savoir comment je devais m’y prendre pour porter plainte à la CDPDJ contre le Service de police de la ville de Montréal (SPVM) au sujet de l’arrestation de masse de 371 personnes, dont 103 mineurs, lors de la manifestation de la Journée internationale contre la brutalité policière du 15 mars 2002. (Soit dit en passant, comme l’indiquait un article parut à la une du quotidien The Gazette, il s’agissait de la rafle la plus massive depuis les événements de la Crise d’octobre, en 1970 (37)). Durant cette rencontre, j’ai indiqué à Mme Bonenfant que j’étais d’avis que les convictions politiques des manifestants avaient joué un rôle dans la décision du SPVM de procéder à cette arrestation massive. Pour cette raison, je considérais que la conduite du SPVM correspondait à une forme de discrimination interdite par l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne. Je dois dit que Mme Bonenfant ne m’était pas apparu particulièrement réceptive à mon point de vue, ni exprimé d’empathie face à l’ampleur peu commune de la répression qui s’était abattu sur les manifestants opposés à la brutalité policière. Elle m’a simplement expliqué que la notion des convictions politiques s’appliquait habituellement aux personnes qui sont membres d’un parti politique… J’ai également profité de cette rencontre pour m’informer du délai légal que j’avais pour déposer une plainte à la CDPDJ. Madame Bonenfant m’a alors affirmé que je disposais d’un délai d’un an à partir de la date de l’événement. Avant de quitter, Mme Bonenfant m’a remise une de ses cartes d’affaires. Durant les mois qui suivirent, je me suis surtout attelé à la tâche colossale d’assurer le soutien de plus de 200 manifestants qui faisaient face à des accusations criminelles d’attroupement illégal à la Cour municipale suite à leur arrestation le 15 mars 2002 (seuls les manifestants adultes furent accusés au criminel). Parallèlement à ce travail de solidarité, la préparation de la plainte à la CDPDJ avançait lentement mais sûrement. Au mois de janvier 2003, alors que s’approchait l’échéance légale pour le dépôt de la plainte, j’ai à nouveau contacté Mme Bonenfant pour obtenir certaines précisions quant à la façon de procéder. Ce n’est qu’à ce moment-là que Mme Bonenfant m’a informé que le délai légal pour porter plainte n’était pas d’un an, comme elle me l’avait dit lors de ma première rencontre, mais bien de six mois. Conséquemment, nous étions hors-délai. Madame Bonenfant ne m’a offert aucune excuse pour son erreur, ni même paru le moindrement embarrassée par le fait qu’elle était responsable du fait que notre recours à la CDPDJ semblait sérieusement compromis. Elle m’a affirmé que je pouvais envoyer ma plainte quand même. « On va la lire », m’avait-t-elle dit, sans grande conviction. Le 12 mars 2003, une plainte contre le SPVM, cosignée par soixante-douze personnes qui furent arrêtées le 15 mars 2002, fut donc déposée au siège social de la CDPDJ au nom d’un organisme voué à la défense des droits et libertés – en l’occurrence le Collectif Opposé à la Brutalité Policière. La plainte comptait un total de 139 pages, incluant dix-neuf annexes. Puis, les semaines passèrent sans que nous recevions de nouvelles de la part de la CDPDJ, ni même un accusé de réception. Après plus de deux mois de ce mystérieux mutisme, les espoirs que je nourrissais encore naïvement envers la CDPDJ cédaient peu à peu la place à l’inquiétude et à la frustration. Il faut comprendre que l’indifférence de la CDPDJ ne faisait que s’ajouter au profond sentiment d’injustice qu’éprouvaient les manifestants depuis leur arrestation du 15 mars 2002. C’est ainsi que plusieurs cosignataires de la plainte se donnèrent le mot pour faire sonner le téléphone du siège social de la CDPDJ, le matin du lundi 2 juin 2003. Cette démarche porta fruit puisque le directeur des enquêtes du bureau du Montréal Métropolitain de la CDPDJ, monsieur Serge Marquis, téléphona chez moi le lendemain. Monsieur Marquis m’a alors informé que la CDPDJ procédait à l’étude de la plainte. Cette conversation téléphonique fut suivie d’une lettre rédigée sous la plume de M. Marquis. Quelques semaines plus tard, j’ai appris que l’avocate Rachel Dionne, enquêtrice-médiatrice à la CDPDJ, avait été assignée à notre dossier (N/Réf : MTL-014823). Naturellement, l’avocat de la Ville de Montréal de son Service de police, a eu beau jeu de refuser de donner suite à l’enquête de la CDPDJ, en affirmant que « les plaignants n’ont plus aucun recours, puisque leurs droits sont prescrits ». Enfin, le 9 mars 2005, le Comité des plaintes de la CDPDJ adopta une résolution à l’effet « que preuve n’a pas été faite de l’existence, à l’égard des manifestants, d’un traitement différent fondé sur l’expression de leurs convictions politiques, l’âge et la condition sociale et, dès lors, qu’il n’y a pas lieu de porter la cause devant un tribunal ». C’est ainsi que la plainte sur laquelle j’avais consacré tant d’énergie et d’efforts fut rejetée sans davantage d’explications. En fin de compte, le message m’est apparu assez clair : si je voulais me battre pour faire valoir les droits et libertés des manifestants arrêtés le 15 mars 2002, alors je devrais le faire en me passant du soutien de la CDPDJ. Ai-je vraiment besoin d’ajouter que mon expérience avec la CDPDJ m’a laissé un arrière goût plutôt amer ? Je crois que non. L’affaire Pierre Marois Il n’y a pas que les problèmes entourant le traitement des plaintes qui portent ombrage à la crédibilité de la CDPDJ. En 2005, la CDPDJ fut confrontée à la controverse la plus embarrassante de toute son histoire. Monsieur Pierre Marois, un ancien ministre péquiste qui fut nommé à la présidence de la CDPDJ en 2001, dû en effet quitter son poste dans des circonstances peu honorables. L’affaire commença en août 2005, lorsque le journaliste Alain Picard de Radio-Canada révéla que la Commission des relations de travail avait accepté d’entendre une plainte pour harcèlement psychologique contre monsieur Marois déposée par madame Ginette L’Heureux, la directrice des communications et porte-parole de la CDPDJ. (38) Mme L’Heureux avait porté plainte contre le président de la CDPDJ en novembre 2004. À l’époque, M. Marois avait piqué une colère noire contre Mme L’Heureux, faisant tellement de bruit que bien des témoins entendirent la scène à travers les portes closes. Après des mois d'enquête et deux tentatives de médiation avortées, la Commission des normes du travail estima que la plainte de harcèlement psychologique déposée par Mme L'Heureux était fondée. (39) Notons que la loi définit le harcèlement psychologique comme « une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l'intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste ». Dans les semaines qui suivirent, le journaliste André Noël de La Presse signa une série d’articles dépeignant le climat malsain, pour ne pas dire pourri, qui régnait à l’intérieur des bureaux de la CDPDJ. La Presse rapporta en effet que le cas de Mme L'Heureux était loin d’être isolé puisque pas moins de six femmes occupant des postes de cadre à la CDPDJ avait quitté l’organisme de façon permanente ou temporaire en l’espace de deux ans, dans la plupart des cas parce qu'elles étaient en conflit avec M. Marois. (40) Le lavage de linge sale en public eut un impact désastreux sur l’image publique de la CDPDJ. « Je suis une salariée à la Commission depuis de nombreuses années », expliqua une employée qui s’exprima sous le couvert de l’anonymat. Comme la plupart de mes collègues, j'y suis par conviction. Depuis l'arrivée de ce président (M. Marois), les choses vont de mal en pis et le moral des troupes est au plus bas. Nous avons connu d'autres présidents et chacun avait son style... mais personne ne nous a traités de cette façon. » (41) Madame Louise Caron-Hardy accepta quant à elle de se confier à La Presse. (42) Mme Caron-Hardy avait occupé le poste de cheffe de la Direction des programmes d'accès à l'égalité. Les responsabilités de Mme Caron-Hardy s’inscrivait dans le cadre du mandat de la CDPDJ de veiller à l’application de la Loi sur l'accès à l'égalité dans des organismes publics, qui fut adoptée la même année où M. Marois fut nommé président. Mme Caron-Hardy avait alors la tâche de convaincre les ministères et les organismes publics comme Hydro-Québec, les universités et les municipalités d'embaucher plus de femmes, d'autochtones, de citoyens issus des communautés racisées (la loi ajouta ensuite les personnes handicapées). Ironiquement, à la même époque, ses rapports avec son propre patron se dégradaient à vue d’œil au point de lui empoisonner l’existence sur son lieu de travail. « Je n'ai jamais senti l'appui de M. Marois pour amener les organismes récalcitrants à respecter la loi. Au contraire, M. Marois a accepté de rencontrer des employés de ma direction qui n'aimaient pas les critères que j'avais fixés. Il les rencontrait, eux, alors que moi, j'avais toutes les difficultés à le rencontrer », raconta-t-elle. Puis, survint la goûte qui fit déborder le vase. « Il m'a fait savoir par son personnel de bureau qu'il ne voulait plus me voir. Je ne pouvais plus continuer à travailler dans ces conditions. Il valait mieux rentrer chez moi, sinon j'allais tomber malade ». « Dans le passé, j'avais eu des patrons durs, mais je pouvais m'expliquer avec eux. Lui (Marois) m'a écoeurée en maudit, se rappela Mme Caron-Hardy. Jamais, dans ma vie professionnelle, je me suis sentie aussi mal, aussi inconfortable, aussi fragile ». C’est donc dans ces circonstances qu’elle décida de quitter son poste, en octobre 2003. Un départ qu’elle évoqua avec amertume. « J'ai eu beaucoup de peine d'être partie aussi rapidement. La Loi sur l'accès à l'égalité dans des organismes publics demandait à la Commission des droits de publier un bilan en mai 2004. J'aurais voulu écrire ce rapport. Il serait devenu clair que bien des organismes publics ne respectent pas la loi, déclara Mme Caron-Hardy. Les victimes, ce sont les femmes et les personnes handicapées et issues de minorité. On est en 2005, et le rapport n'a toujours pas été publié, alors que c'est une obligation légale. Il est assez curieux que la Commission des droits ne respecte pas la loi. » Le 7 septembre, La Presse publiait un article dans lequel la présidente de la Ligue des droits et libertés, madame Nicole Filion, pressait M. Marois de sortir de son mutisme et de s’expliquer publiquement. (43) En effet, près de trois semaines s’étaient écoulées depuis la diffusion du premier reportage révélant l’existence de la plainte pour harcèlement psychologique de Mme L’Heureux et M. Marois n’avait toujours pas daigné faire de déclaration publique pour commenter la situation. « Le président de la Commission devrait publiquement expliquer comment, d'un point de vue éthique, il peut poursuivre l'exercice de ses fonctions, déclara Mme Filion. Il est au cœur d'un litige suffisamment important pour laisser entrevoir qu'il y a une crise majeure au sein de la Commission. Il doit se poser la question et y répondre publiquement: Est-ce que j'ai encore la capacité d'agir? A-t-il la crédibilité pour le faire? » La même journée, M. Marois brisait enfin le silence en annonçant par voie de communiqué qu’il se retirait temporairement de la présidence de la CDPDJ. Monsieur Marois précisa que sa décision « ne constitue en aucune manière une admission d'une faute de ma part ». Réagissant à l’annonce du départ du président de la CDPDJ, Mme Filion déclara ceci : « Son départ clôt un débat éthique, mais pas le fait que la Commission n'est pas assez présente sur la scène publique et ne remplit pas pleinement sa mission de chien de garde des droits de la personne ». (44) Malgré le départ de M. Marois, l’atmosphère demeurait lourde et tendue pour certains employés de la CDPDJ, surtout que les procédures devant la Commission des relations de travail s’enlisaient. Il faudra attendre jusqu’à la fin du mois de novembre 2006 pour que M. Marois parviennent à en arriver à une « entente à l’amiable » avec Mme L’Heureux. Monsieur Marois profita l’occasion pour régler ses comptes avec « quelques anciennes collègues qui ont tenu des propos déplacés ou carrément mensongers ». Il s’en est prit également au « battage médiatique de grande ampleur et peu commun, trop souvent marqué d'erreurs, de faussetés et quelques fois de déclarations mesquines et lâches ». (45) Chose certaine, quand on voit que comment les relations internes peuvent devenir tordus au sein de la CDPDJ, on comprend un peu plus pourquoi cet organisme éprouve autant de difficultés à se montrer performant… Sources : (1) http://www.cdpdj.qc.ca/fr/publications/docs/lutte_discrimination_raciale... [ EDIT (Mic à titre de validation au CMAQ) |
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