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Le CSA et l'obsession de la légitimitéillégitime, Dimanche, Juin 7, 2009 - 15:41
illégitime
pourquoi la question de la légitimité nous enchaîne. pourquoi il faut chercher ailleurs. C’est un terme qu’on n’entend jamais tout seul : la légitimité. C’est toujours quelque chose qui est légitime ou pas, y a-t’il une légitimité en soi? Il n’y a pas de légitimité en soi. Ce mot est utilisé comme un instrument du langage, pour atteler à un objet une valeur positive, comme écrire un mot en rose ou y attacher un smiley. On entend le mot légitimité de plus en plus ici, alors qu’il semble qu’on l’entend de moins en moins dans le monde. Le pouvoir n’éprouve plus le besoin de discourir sur sa propre légitimité : elle va de soi. Le fait est simple : le pouvoir, qui a obtenu par le biais de divers dispositifs spectaculaires et policiers le sentiment d’une suffisance consensuelle, ne ressent plus le besoin de mentionner le fait qu’il est légitime. Cependant que le contre-pouvoir, qui se veut à différents degrés révolutionnaire, développe une pléthore de discours sur la légitimité. La majorité des textes du CMAQ vise à prouver la légitimité de la révolte. Le point n’est pas de trouver la vérité de la légitimité, ce qui inclurait nécessairement un juge qui puisse trancher sur la question, juge qui devrait être la légitimité même. Or, on ne peut concevoir une telle instance supra-mondaine, supra-partis, qui jugerait à partir de son absolue légitimité sur la légitimité des partis qui s’affrontent, le gouvernement et les révolutionnaires par exemple, on ne peut la concevoir qu’en un espèce de Dieu. Mais nous, révolutionnaires, et d’autant plus si nous sommes an-archistes, ne pouvons admettre l’expropriation de notre existence par quelque chose qui nous serait supérieur. « An-archès » est un mot grec qui veut dire à la fois absence de commandement (autorité) qu’absence de commencement (d’origine et de principe premier). Comme disait Bakounine : « si Dieu existait il faudrait s’en débarrasser ». Au Moyen-Âge l’autorité (auctoritas) étant le mot romain chrétien pour auteur, il y avait dans chaque autorité particulière (le seigneur, le curé, le roi, etc.) une filiation à l’autorité de Dieu, l’auteur du monde, les autorités mondaines étaient en somme ses officiers, ses vassaux dans un système hiérarchique linéaire. Dieu écrivait l’histoire du monde, le rôle écrit de ses officiers était de garder l’histoire humaine by the book. Mais plus la modernité avance, plus le capitalisme, la loi de la valeur et de l’interchangeabilité des marchandises prend de la place, plus l’autorité se dégage de ses références divines. Elle se justifie aujourd’hui par la pure et simple économie des objets, la simple gestion du monde matériel : l’efficacité. On est donc encore dans le même délire, seulement le pouvoir ne nomme plus le mot Dieu qui est derrière sa volonté de tout bien disposer en ordre, de tout gérer correctement. Le pouvoir d’aujourd’hui est totalement pragmatique car il se sent solidement établi, car il se sent puissant. Et c’est peut-être ce pragmatisme dont la gauche manque cruellement. Nous sommes affligés d’un sentiment de manque de puissance qui nous amène à tomber dans des erreurs, dans des raccourcis que le pouvoir lui-même sent avoir dépassés. La plus grave et accablante de ces erreurs est celle de sentir le besoin de se justifier. Voilà où se positionne la question de la légitimité. Lorsque les oraisons à l’occasion de l’ouverture du CSA se déchaînent à établir une légitimité, elles ne font qu’en semer le doute, elles ne font que mettre en lumière le fait que nous ne sentons pas que cette légitimité va de soi. Surtout lorsque ces discours sont dirigés vers des acteurs absents (la société civile, l’opinion publique….) et qu’en réalité il n’y a sur place pour les écouter que les militants, que ceux qui sont déjà convaincus, et qui sont venus au soir de l’ouverture pour vivre ce moment, pour y participer, pour y établir des relations non-marchandes, plus créatives, et qui espèrent en faire un précédent, un événement inscrivant dans le monde ce qu’ils souhaitent vivre. Parler de légitimité à des acteurs absents en ces moments-là, ça revient aussi à empêcher que les gens présents en viennent à se mettre en relation, à parler de leur commun, à s’enthousiasmer un peu sur leurs potentialités. Lorsqu’un référent absent est introduit dans un événement réel, et surtout lorsque ce référent est la légitimité, on introduit une médiation qui coupe les présents entre eux; et on empêche ainsi la possibilité d’une explosion qui pourrait résulter de ce contact. C’est précisément ce que les organisateurs(trices) du CSA voulaient ce soir-là : empêcher l’inattendu, empêcher l’explosion qui aurait fait chier le plan du squat idéal qui a pris tant de temps à dessiner. Ce squat idéal n’aura en fin de compte jamais existé, tandis que la fête imparfaite, elle, a existé, mais on l’a hypothéquée sur l’idée du squat parfait. Il ne faudrait surtout pas confondre souveraineté et légitimité. Se concevoir comme souverain est avant tout un acte émancipateur (lorsqu’utilisé par les sujets dominés) alors que se réclamer légitime, de la part de ces mêmes parties opprimés du peuple, revient au contraire à vouloir démontrer sa souveraineté aux yeux du pouvoir. Acheter, ou négocier la souveraineté face au pouvoir est toujours déjà un aveu de sa propre faiblesse. Une souveraineté réellement assumé (un réel pouvoir populaire) se sent légitime à priori, ne se donne pas en spectacle de mille justifications aux médias. Le formalisme démocratique. Toutes les limitations à l’ouverture du CSA, le fameux « code de vie », le « service d’ordre » étaient légitimées par le fait qu’elles avaient été décidées démocratiquement. En instrumentalisant et en privant de pouvoir décisionnel la manif d’appui, le CSA s’est aliéné sa base d’appui réelle, au profit d’une image pour l’opinion publique. L’opinion publique qui n’est jamais là, qui ne parle jamais, qui n’existe que comme un fantôme ou une épée de Damoclès. C’est peut-être pour cela que le lendemain, lorsqu’il y a eu éviction et que le groupe s’est retranché dans un autre bâtiment, les gens qui étaient présents comme « manif d’appui » mais qui n’étaient pas les organisateurs officiels, n’ayant pas leur macaron, ont lourdement hésité à investir le bâtiment de rechange. Les organisateurs les ont invités à entrer dans le bâtiment, tout d’un coup il n’était pas réservé, tout ne marchait plus selon le plan idéal de départ. Et les appuyeurs ont hésité : ils ne sentaient pas que c’était leur projet, ils s’en sentaient dépossédés. Tout cela avec comme légitimation (encore) la démocratie. « This is what democracy looks like ». La référence divine à la démocratie directe comme forme ultime de légitimité politique, indépassable et inquestionnable, n’est qu’une forme d’automystification. Beaucoup de théories politiques se sont penchés sur cette question de la légitimité et de la prise de décision, et la solution de la démocratie directe est retenue comme seulement la solution la plus efficace gestionnairement parlant. Il y a moins de possibilités de biais, d’abus de pouvoir, et surtout les participants se sentent plus attachés à la décision, puisque chacun a pu exposer son opinion et voter. Mais la démocratie directe n’est que cela, un instrument, une machine qui roule bien : ce n’est pas une valeur absolue. Elle n’est jamais légitime en soi, on ne peut clore une protestation sur une décision en rétorquant qu’elle a été prise démocratiquement. Cela ne mène qu’à une reconstruction des rapports de pouvoir d’un groupe à un individu ou un autre groupe, et la démocratie directe instituée peut devenir une limite à la démocratie réelle au même titre que le « pouvoir légitime des députés élus ». D’autant plus quand la démocratie directe est utilisée par un groupe composé sur la base de ses intérêts communs, et ne représente ainsi qu’une vision particulière, qu’elle soit décidée par un chef ou le groupe au complet. Il ne faut pas oublier que la démocratie réelle est celle qui se fait dans le présent et non pas celle qui se fie à des décisions passées, la démocratie est une réactualisation constante. En se questionnant et en se justifiant constamment sur la légitimité de ses aspirations politiques, la gauche perd une puissance et une honnêteté qui lui sont essentielles. Car invoquer un « bien commun » ou un « intérêt général » au nom duquel les actions sont posées, c’est mettre de côté le caractère foncièrement conflictuel (la lutte) de la politique. Un groupe politique agit pour des raisons toujours partielles (l’intérêt des pauvres au profit des riches par exemple) et part forcément d’une perspective particulière (celle de sa condition propre, d’une idéologie). Or, c’est nier ce perspectivisme et la division sociale à la base de la volonté politique que de vouloir légitimer par un discours rationnel et universaliste quelque chose qui de fait relève d’un choix et d’une partialité assumée. Il ne s’agit pas de poser un dogme « il ne faut jamais parler aux médias et aux flics », mais plutôt de proposer qu’un certain ton, une certaine argumentation « citoyenniste » ne peut que masquer la force et la nécessité d’une action politique. En disant « Nous prenons un immeuble qui sera transformé en condos (1) au lieu d’être transformée en logements sociaux (2) afin de proposer des services gratuits à la population (3) » le discours du CSA pose trois conditions de légitimation qui l’auto-enferment dans un logique trop contraignante pour pouvoir exister. Qu’arriverait-il en effet, si la ville décidait de prendre ce discours à la lettre et faisait des logements sociaux avec l’immeuble au lieu du projet de condos initialement prévu? Le CSA serait-il obligé de céder la place? Et si la population exprimait son envie d’avoir un garage d’autos gratuit, ou un bar de danseuses, le CSA devrait-il se plier aux requêtes dans leur volonté d’offrir des services ? Or, les organisateurs du CSA, comme ceux qui sont venus à l’ouverture, le savent très bien : ils ne représentent pas la « population du quartier » comme ils n’ouvrent pas un squat à cause du manque de logements sociaux. Alors pourquoi ne pas assumer honnêtement la partialité, la minorité de cette action politique. Faire ressortir son caractère révolutionnaire assumé aurait au moins sauvé l’honneur de deux ans de préparation. Au nom de l’efficacité. Les organisateurs(trices) du CSA ne sont pas allés jusque là, mais ils ont voulu jouer le jeu de la légitimation par l’efficacité. « Parce qu’il faut que ça marche » était une réponse souvent utilisée lors de l’ouverture. Et pour que « ça marche » (mais quoi exactement, cela reste à définir) toutes les limitations étaient bonnes : désignation d’un groupe d’admis et utilisation d’un service d’ordre, interdiction d’entrer la première nuit (la seule), pas de tabac, pas de drogue, pas de violence. Il fallait se présenter comme un projet gentil, doux, et viable. Or, un squat n’est jamais économiquement viable et socialement efficace. Même s’il se déguise en bonne sœur caritative. C’est le système capitaliste qui fixe les règles du jeu, celui de l’efficacité et donc de la légitimité. Les organisateurs semblent avoir naïvement voulu jouer le jeu à moitié, en oubliant que le jeu est truqué, et qu’ils étaient donc sûrs de perdre. Même si le CSA avait été aussi propre et sécuritaire qu’une maison Bonneville, et que les occupants n’avaient été que des beaux bébés et des jolies personnes souriantes, rationnelles et bien intentionnées, il se serait quand même fait virer. Un des principes fondamentaux du capitalisme, la propriété privée, avait été attaqué, et tant qu’il y avait un propriétaire pour faire valoir ses droits inaliénables, des bureaucrates pour relayer la décision et des flics pour l’exécuter, aucune bonne volonté, aucune pétition et liste d’organismes de soutien n’aurait pu faire force. La logique implacable de l’efficacité n’a pas besoin de tolérer se type d’anomalie, et de créer un précédent fâcheux, pour garder la paix sociale et garantir que tout le monde ira travailler demain. Toute prise de force d’une propriété privée est illégitime à priori, autant pour les simples citoyens que pour les dirigeants. Il n’y aurait qu’un seul argument de légitimité par l’efficacité qui pourrait faire pencher le citoyennisme : s’il y avait une incroyable crise du logement à Montréal et qu’il se trouvait par ailleurs des bâtiments laissés vides volontairement. Et encore, il faudrait que la crise soit en enjeu soulevé régulièrement par les médias, que les gens à la rue soient hyper-visibles, que beaucoup de citoyens réglos appuient l’occupation par des lettres aux députés et des vox-pop. Mais là encore, l’occupation ne serait même plus un squat, mais une réquisition de temps de crise, qui devra cesser lorsque la crise sera résorbée par le système. Il n’y a donc aucune manière de tourner le concept de squat pour le rendre sous l’angle de la légitimité sans pour autant complètement dénaturer le projet. Tout squat est illégitime pour le système donc tout squat est voué à l’échec s’il veut jouer le jeu de la légitimité. En fin de compte, il faut remarquer que la légitimité, c’est la Loi et que la Loi c’est la Puissance de l’établir. Peut-être devrait-on chercher du côté de la puissance avant tout, et peut-être y rester, puisque c’est là que ce font les contacts sans médiation, c’est là qu’un réel partage est possible, c’est là l’état non-formalisé, l’ordre moins le pouvoir qui se situe avant tout ce qui est juridique. Juridicité qui est censée encore nous révolter. L’Auto-réduction. Comme à l’accoutumée, face à cette critique comme à toute lame de fond, on rétorquera le fameux « Alors, que faire? ». L’essentiel est d’agir, d’agir pour le réel et dans le réel, dans l’esprit totalement illégitime qu’incarne le squat, en tant qu’ exophénomène du capitalisme. Un exemple du type d’esprit vers lequel il serait possible de s’orienter dans l’action est l’Auto-Réduction. On l’appelle auto-réduction et non « vol collectif d’une épicerie » justement lorsqu’on est convaincu que c’est mieux que le vol. Nous sentons que les prix sont trop hauts, nous ne voulons pas payer ce prix, nous sentons que le préjudice causé à l’épicier est moindre à celui qu’il nous cause par ces prix; et donc nous mettons tout en solde. Nous entrons à une centaine, nous informons la clientèle que tout est gratuit pour 10 minutes. Nous prenons ce qu’il y a à prendre et ressortons. Moins cet événement est organisé plus il fonctionne. Même chose pour des vols et distribution populaire de tickets de métro. Même chose pour les refus collectifs de payer le loyer dans un immeuble. Même chose pour les ralentissements volontaires de production dans des usines. La propagande par le fait, on pourrait même dire le fait par le fait. Le discours produit par ces événements serait quelque chose comme : « C’est ça que nous faisons, nous l’assumons. Vous pouvez aussi le faire si vous voulez, ceux qui vous demandent de vous légitimer sont ceux qui ne veulent pas que vous le fassiez. Vous êtes toujours légitimes. » L’auto-réduction peut montrer une autre voie pour les actions d’appropriation. Elle ne clame pas la légitimité du geste, elle accomplit la légitimité du geste. Il y a des personnes qui posent le geste, ils sentent que cela reflète un intérêt politique, émane d’une volonté de puissance collective, à la limite cela va de soi. Le geste est posé sans se répandre en milles excuses, sans référer à des circonstances atténuantes, ni au propriétaire ni aux flics. La puissance du geste en fait sa légitimité. L’auto-réduction affirme d’un même geste le fait qu’aucune loi, qu’aucune autorité n’est fondée en même temps qu’elle pose dans le monde l’existence d’une volonté de faire autre chose, de vivre autrement. Le squat politique est un dérivé de l’auto-réduction. De grâce, ne nous laissons pas avoir : assumons notre propre légitimité! Et que vive la lutte !
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