L'originalité de l'OCL repose sur quelques caractéristiques essentielles : une
théorie et une pratique du communisme libertaire fondées sur la lutte des classes ;
le mouvementisme et la priorité donnée aux structures de base liées par une
communauté d'intérêts, l'anticapitalisme, l'anti-impérialisme, et l'impératif d'une
rupture radicale avec l'exploitation, la domination et l'aliénation dans tous les
domaines (politique, économie, rapports sociaux de sexe, environnement...).
Nous privilégions l'intervention militante créatrice de ruptures politiques et sociales,
plutôt que l'affirmation d'un « anarchisme » idéaliste et incantatoire, coupé des
affrontements de classes qui traversent la société. Ce positionnement est le
produit de l'histoire du « courant anarchiste » depuis la seconde moitié du XXe
siècle.
L'OCL est issue de l'Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA), qui prend ce
nom en 1976 quand elle estime que la diversité des pratiques et projets étiquetés «
anarchistes » est source de confusions. L'ORA, pour sa part, existait depuis 1967,
mais d'abord comme tendance dans la Fédération anarchiste (FA). Les divergences
étaient si importantes dans la FA des années 60 que l'énergie militante y était
consacrée davantage à se neutraliser mutuellement qu'à lutter. La FA est en effet
empreinte d'un anarchisme idéologique fondé sur un antimarxisme caricatural
négateur, par exemple, de la lutte des classes comme facteur d'évolution
historique. Dans le meilleur des cas, la pratique de ses groupes se limite à la
propagande de l'idéal anarchiste du XIXe siècle, dans une finalité pédagogique et
éducationniste : « Apprenons l'Anarchie aux masses, elles finiront par se rallier
sous les plis du drapeau noir. » Cela ne satisfait bientôt plus celles et ceux qui
souhaitent développer une intervention libertaire dans les luttes sociales
(décolonisation, vie quotidienne, luttes des femmes, écologie, logement,
immigration...) : après avoir créé une tendance au sein de la FA, ils et elles la
quitteront.
En réaction au vaste fourre-tout qu'est la FA de l'époque, I'ORA va développer une
stratégie d'organisation structurée, fondée sur la cohérence, le volontarisme et la
discipline militante (position dite « plate-formiste », en référence à la
plate-forme organisationnelle des anarchistes russes en exil rédigée par Archinov
après la Révolution russe de 1917). Cependant, avec le succès que connaissent les
groupes gauchistes de l'après-68, l'ORA devient une organisation similaire à ses
concurrentes trotskistes ou maoïstes, hormis dans ses références idéologiques et
ses buts proclamés. Ouvriérisme outrancier, activisme organisationnel,
hiérarchisation des secteurs de lutte, simplification théorique et raccourcis
doctrinaires finissent par déclencher une crise entre la pratique réelle des
groupes et le discours de l'organisation ? crise que traduit à son congrès de 1976
le clivage entre deux tendances antagonistes.
La première fonde sa pratique et sa stratégie sur le secteur de l'entreprise et
l'intervention dans les syndicats. L'Union des travailleurs communistes libertaires
(UTCL) en naîtra alors, qui accordera la primauté à la lutte sur le terrain
économique par l'entrisme syndical et au développement d'un appareil politique
classique. L'actuelle Alternative libertaire, qui lui a succédé, vise
principalement à sa reconnaissance institutionnelle par la gauche de la gauche,
syndicale et politique.
La seconde tendance, aux antipodes de cette vision partidaire et ouvriériste,
devient l'OCL. Elle estime que l'effort militant doit investir tous les champs de
lutte de la société, car la lutte des classes ne peut être réduite au seul terrain
économique. Elle fait le bilan des travers gauchistes de l'ORA, et considère que
l'organisation telle que définie par la plate-forme d'Archinov (unité idéologique,
unité tactique, programme anarchiste) est une structure illusoire. Car ce ne sont
pas les organisations politiques ou syndicales qui transforment un sujet historique
(le prolétariat) en sujet révolutionnaire, mais la combativité dans les luttes
sociales, en permettant à des gens en mouvement de passer d'une phase revendicative
à une phase rupturiste selon un processus de conscientisation et d'autonomisation.
Mais, bien que rompant avec le plate-formisme, l'OCL continue de vivre pendant
quelques années sur un mode centralisé, qui se traduit notamment par une dichotomie
Paris-province dans la réalisation de son journal Front libertaire. Cela conduit à
une crise majeure en 1978-1979, période où l'OCL parisienne est un temps séduite
par les sirènes de l'« autonomie » importée d'Italie et plaquée sur une réalité
hexagonale fort différente. Cette phase « autonome » n'est en fait qu'une
résurgence de l'ouvriérisme des années précédentes, avec la « découverte » d'un
nouveau sujet révolutionnaire, le jeune prolétaire rebelle et urbain, et la
mythification de l'émeute comme lieu central de l'affrontement de classe. Cette
dérive entraînera une rupture Paris-province et la disparition du journal, tout en
donnant à l'OCL nombre d'acquis sur la violence révolutionnaire et la lutte armée.
Après 1979, l'OCL ne compte plus qu'une dizaine de groupes, basés en province ; ils
vont travailler à la mise en place d'un nouveau mensuel, Courant alternatif (CA),
pris en charge collectivement pour éviter la centralisation des lieux de décision
et d'expression de l'organisation. CA est d'ailleurs édité par l'OCL mais sans en
être l'organe : l'organisation n'a pas une expression unique, elle est traversée
par des débats et des pratiques dont elle n'a pas l'exclusivité.
Durant la première moitié des années 80, l'OCL disparaît en tant qu'organisation
classique (tout en conservant le mot dans son nom) : elle est une coordination de
groupes militants intervenant dans des mouvements locaux et spécifiques, mettant en
commun leurs analyses et pratiques dans Courant alternatif, ou lors de rencontres
annuelles. L'OCL apparaît ainsi comme une « organisation anti-organisationnelle »
(un paradoxe à l'origine de bien des incompréhensions), en ce que l'effort militant
doit, pour ses membres, porter non sur la mise en avant de l'organisation et son
extension, mais sur une intervention dans les mouvements sociaux et le renforcement
de ceux-ci, afin d'aller vers toujours plus d'autonomie et de radicalité dans les
luttes.
En 1986, avec la parution de L'Etat des lieux (1), l'OCL fait le bilan des limites
d'une simple juxtaposition des pratiques, et tente de favoriser le développement
d'une organisation conçue comme un outil de partage et d'impulsion d'expériences et
de réflexions militantes.
L'OCL a ainsi participé à ou construit avec d'autres un certain nombre de campagnes
hexagonales (contre les sommets franco-africains, coordination nationale
antifasciste, contre le G7, Initiative pour une alternative au capitalisme,
coordination Stop-Nucléaire, mouvement des chômeurs, solidarité avec les
sans-papiers...), et choisi d'apparaître lorsque ses positions ne sont pas
suffisamment développées par une lutte, et qu'une affirmation communiste libertaire
spécifique s'impose.
La diffusion de Courant alternatif en kiosques a favorisé cette nouvelle approche,
tout comme la production d'un matériel organisationnel spécifique : brochures,
autocollants, affiches, tracts hexagonaux et numéros thématiques hors série de
CA... Au tournant du XXIe siècle a eu lieu une tentative de réunifier le mouvement
anarchiste autour d'un « Appel à l'unité des libertaire ». L'OCL y a apporté sa
contribution avec un numéro spécial, « Mythes et réalités du mouvement anarchiste
», rappelant que l'affiliation idéologique n'induit pas automatiquement une
cohérence politique. Une analyse que l'élection présidentielle de 2002 est venue
illustrer, quand, à l'instar de la gauche, la quasi-totalité des structures
libertaires ont versé dans l'antifascisme interclassiste en appelant à voter Chirac
contre Le Pen. Anarchistes et gauchistes ont ainsi permis à la bourgeoisie de
durcir sa domination et de reprendre son offensive de classe en confortant les
illusions démocratiques et citoyennes d'un « capitalisme à visage humain », et en
laissant encore plus désemparé un mouvement social déjà en manque de repères. Ce
alors que, depuis les grèves de 1995, on constate une résurgence de la combativité
des exploité-e-s qu'il convient d'alimenter dans une perspective révolutionnaire,
en se débarrassant des instances politiques et syndicales de cogestion qui
contribuent à reproduire ce système tout en prétendant juguler ses excès.
Depuis 2003, l'OCL entretient des relations privilégiées avec Offensive libertaire
et sociale (OLS), regroupement militant issu de l'antifascisme radical, et qui par
son cheminement propre élabore des analyses et des stratégies convergeant largement
avec les nôtres. Des numéros communs de nos revues et les rencontres libertaires
d'Eychenat nous permettent d'échanger sur notre militantisme, pour intervenir dans
les luttes selon un même souci d'autonomie politique et de libération sociale, pour
aller vers le développement actualisé d'une théorie et d'une pratique communistes
anarchistes et révolutionnaires toujours à réinventer.
(1) L'Etat des lieux, et la politique bordel ! est un livre collectif qui établit
secteur par secteur (mouvements de libération nationale, antinucléaire,
syndicalisme, antimilitarisme, lutte des femmes...) les acquis et les positions de
l'OCL en 1986 il est aujourd'hui épuisé.
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