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Affaire Raymond Ellis : Quand couronne et police ne font qu'unAnonyme, Jeudi, Janvier 22, 2009 - 14:44
alexandre popovic
Retour sur le dérapage du procès pour le meurtre de Raymond Ellis : quand la collusion entre la couronne et la police n'est plus sans conséquence. La décision de la juge Sophie Bourque de prononcer l'arrêt des procédures à l'égard de cinq hommes accusés du meurtre au second degré de Raymond Ellis a déjà fait couler beaucoup d'encre depuis qu'elle a été rendue, le 12 janvier 2009. Et c'est loin d'être fini. Dans l'édition du Journal de Montréal de mardi dernier, le no. 1 du Service de police de la ville de Montréal (SPVM), Yvan Delorme, déplorait que le jugement Bourque allait affecter le "message de prévention" à l'égard des gangs de rue. (1) La question des gangs de rue est évidemment un sujet chaud qui ne laisse personne indifférent, incluant les défenseurs des droits et libertés. Après tout, la lutte aux gangs de rue sert souvent d'alibi au profilage racial au même titre que la lutte anti-terroriste est une excuse commode au harcèlement des citoyens d'origine arabe et/ou de confession musulmane. De plus, combien de fois avons-nous entendu des apologistes de la police défendre les coups de feu tirés par l'agent Jean-Loup Lapointe sur le jeune Fredy Villanueva, à Montréal, en invoquant le problème des gangs de rue ? Il va aussi sans dire que la question de l'impunité est bien plus facile à exploiter politiquement lorsque les auteurs d'une mort d'homme portent les couleurs d'un gang plutôt qu'un uniforme de flic. Ainsi, le Parti québécois, qui était demeuré silencieux lorsque le directeur aux poursuites criminelles et pénales, Louis Dionne, annonça que l'agent Lapointe ne sera pas accusé pour la mort de Villanueva, a soudainement retrouvé l'usage de la parole à la suite de la décision de la juge Bourque. En effet, la critique péquiste en matière de justice, Véronique Hivon, a récemment demandé à la ministre de la Justice, Kathleen Weil, de dessaisir le directeur Louis Dionne du dossier Ellis pour qu'elle le prenne en charge elle-même (2). La ministre Weil rejeta cette demande, tout en disant comprendre « la consternation du public dans ce dossier.» Il ne fait aucun doute que Raymond Ellis fut une victime d'une bavure, non pas aux mains de la police, mais bien de celles d'individus apparemment liés aux gangs de rue. Lors d'une soirée au bar Aria, en octobre 2005, Raymond Ellis, 25 ans, fut identifié à tort comme un Rouge et fut faussement ciblé comme le meurtrier d'un présumé membre des Bleus. Sauvagement agressé par une foule déchaînée, Ellis reçut douze coups de couteau, dont deux qui se sont avérés fatals. Si justice n'a pas été rendue relativement à la mort d'Ellis, ce n'est pas tant à cause d'une décision de la juge Bourque qu'en raison du comportement déshonorable des procureurs de la couronne ainsi que du travail bâclé des policiers dans cette affaire. Dans le journal The Gazette, l'avocat de la défense Kimon Kling se demandait pourquoi la police n'avait pas accusé un individu impliqué dans l'incident en dépit de la présence de divers éléments de preuve qui l'incriminait : son ADN avait été retrouvé sur un couteau, ses pantalons étaient couverts du sang de la victime, son doigt portait de coupures. (3) Voilà qui semble plutôt inconséquent de la part d'un service de police dont le chef prétend à qui veut bien l'entendre qu'il se souci du "message de prévention" à l'égard des gangs de rue. Y aurait-il anguille sous roche par hasard ? Bien entendu, par son refus prévisible de faire tout commentaire sur cette révélation, le SPVM n'aide pas vraiment à y voir plus clair. Sous la toge noire, l'uniforme bleu ? À l'instar de l'affaire Villanueva, le dossier Ellis soulève aussi la question épineuse de l'indépendance réelle des procureurs de la couronne face à la police. Ou plutôt du manque flagrant d'indépendance. Comme on le sait, les procureurs de la couronne du Palais de justice de Montréal et les enquêteurs du SPVM travaillent main dans la main à longueur d'année. C'est d'ailleurs dans l'espoir de minimiser les problèmes de perception auprès du public que les autorités prirent l'habitude de retenir les services de procureurs de la couronne de l'extérieur de Montréal lorsque vint le temps de décider s'il y a matière à accusations dans les cas les plus médiatisés de mort d'homme aux mains d'agents du SPVM (l'affaire Barnabé, l'affaire Lizotte et l'affaire Villanueva, pour ne nommer que celles-là). Force est toutefois de constater que l'impact de cette pratique fut surtout cosmétique puisqu'elle n'a pas eue pour effet d'abaisser le taux alarmant d'impunité policière constaté dans les cas de mort d'homme. En effet, au cours des vingt-deux dernières années, les procureurs de la couronne n'ont portées des accusations criminelles que dans seulement deux des quarante-deux décès causés par l'usage d'une force mortelle de la part d'agents du SPVM. Dans le dossier Ellis, c'est la collusion malsaine entre la couronne et la police qui est en bonne partie responsable du sérieux dérapage qu'a subit le procès pour meurtre des cinq accusés, avec le résultat que l'on connaît aujourd'hui. Au cours du procès, la poursuite fut confrontée à un problème de taille : son principal témoin-vedette, Wilkerno Dragon, renia sa déclaration antérieure datée du 1er décembre 2005, dans laquelle il incriminait directement trois accusés relativement à l'agression contre Ellis. Durant son témoignage au procès, Dragon affirma plutôt que sa déclaration antérieure était fausse. Il prétendit que s'il avait vu la bagarre au bar, en revanche il n'avait vu aucun des accusés s'en prendre physiquement à Ellis. Après une série de péripéties, le procureur Louis Bouthillier demanda à deux reprises au tribunal d'ajourner le procès de plusieurs jours sous le motif de mieux préparer le contre-interrogatoire de Dragon, qu'il avait fait déclarer témoin hostile. La première demande d'ajournement fut refusée mais la défense décida de consentir à la seconde, qui fut accordée par le tribunal. Avant la reprise du contre-interrogatoire, la couronne communiqua à la défense des éléments de preuve recueillis lors d'une opération d'infiltration qui fut effectuée durant l'ajournement, et ce, à l'intérieur même de la prison où Dragon était détenu. Lorsque la défense déposa une requête en exclusion de la preuve recueillie par les deux agents d'infiltration, le procureur Bouthillier reconnut que le but de ses deux demandes d'ajournement ne visait pas à mieux se préparer, mais plutôt à favoriser le succès de l'opération policière clandestine. Le procureur Bouthillier admit également que le but recherché par l'opération d'infiltration consistait à piéger Dragon de façon à convaincre les jurés que celui-ci s'était parjuré durant son témoignage au procès, de sorte qu'ils ne pourront faire autrement que d'adopter sa déclaration antérieure du 1er décembre 2005. Bref, ce procureur que l'on prétend « chevronné, professionnel, compétent et respecté » (4) a délibérément trompé à la fois le tribunal et la défense dans le but de venir en aide à la police, avec qui il a agit en parfaite symbiose. Au lieu de faire amende honorable, la poursuite plaida plutôt que certaines circonstances exceptionnelles l'autorisait à "manquer de candeur", voire à mentir à la cour. La juge Bourque ne l'entendit toutefois pas ainsi. Selon elle, il ne saurait nullement être question de minimiser la portée d'un tel geste. « Obtenir une décision judiciaire sur la foi de fausses représentations est de nature à miner la confiance du public dans l'administration de la justice », écrivit-elle dans sa décision. « Comment en effet croire à la justesse des décisions des tribunaux si ceux-ci permettent qu'on les trompe pour obtenir une décision favorable? Non seulement le public n'aura plus confiance dans les décisions judiciaires, mais le système de justice lui-même ne peut fonctionner sans une confiance totale entre la magistrature et les avocats qui agissent devant les Tribunaux.» (5) À cette tromperie s'ajoutait un autre procédé malhonnête de la part de la poursuite que la juge Bourque ne pu décrire en détail dans sa décision en raison du privilège liée à la protection d'un informateur. La juge dû se limiter à divulguer que la poursuite avait utilisé devant le jury une preuve fortement préjudiciable envers les accusés alors qu'elle possédait des éléments factuels la contredisant. Certes, la poursuite reconnut qu'elle avait irrémédiablement portée atteinte à l'équité procédurale et demanda conséquemment l'avortement du procès afin qu'il puisse être repris devant un nouveau jury. Mais elle n'arriva toutefois pas à convaincre la juge Bourque qu'il s'agissait-là du remède appropriée dans les circonstances. « Permettre la reprise des procédures signifierait que les Tribunaux sont prêts à fermer les yeux sur de tels comportements et à souhaiter, plutôt qu'à s'assurer, qu'ils ne se reproduisent plus. En cette matière, la justice ne peut s'accommoder de souhaits, elle a besoin de certitudes », conclua la juge avant de prononcer l'arrêt des procédures. Cette décision a évidemment été critiquée de part et d'autres, ce qui est sans doute compréhensible compte tenu de la gravité du crime reproché. Mais quand on se donne la peine de lire au complet le jugement rendu dans cette affaire, on peut difficilement faire autrement que d'en venir à la conclusion que la poursuite n'a pas vraiment donné d'autre choix à la juge Bourque. Sources: (1) http://www2.canoe.com/infos/societe/archives/2009/01/20090120-094100.htm... (2) www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/politique-quebecoise/200901/... (3) www.canada.com/montrealgazette/story.html?id=19f053b0-5163-4298-8a44-fe1... (4) www.cyberpresse.ca/...et.../01-817394-le-directeur-des-poursuites-crimin... (5) www.canlii.org/fr/qc/qccs/doc/2009/2009qccs52/2009qccs52.html
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