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La deuxième mort du judaisme

Anonyme, Jeudi, Janvier 22, 2009 - 14:42

Nouveau texte sur le site de l'Organisation communiste libertaire (OCL). Vous y
trouverez également d'autres textes et des nouvelles quotidiennes de Grèce :

Les millions de juifs qui ont été exterminés par les
nazis dans les plaines de Pologne avaient des traits communs qui permettent de
parler d'un judaïsme européen. Ce n'était pas tant le sentiment d'appartenance à un
peuple mythique, ni la religion car beaucoup d'entre eux s'en étaient détachés :
c'étaient des éléments de culture commune. Elle ne se réduisait pas à des recettes
de cuisine, ni à des histoires véhiculant le fameux humour juif, ni à une langue,
car tous ne parlaient pas le yiddish. C'était quelque chose de plus profond, commun
sous des formes diverses aux ouvriers des usines textiles de Lodz et aux polisseurs
de diamants d'Anvers, aux talmudistes de Vilna, aux marchands de légumes d'Odessa
et jusqu'à certaines familles de banquiers comme celle d'Aby Warburg. Ces gens-là
n'étaient pas meilleurs que d'autres, mais ils n'avaient jamais exercé de
souveraineté étatique et leurs conditions d'existence ne leur offraient comme
issues que l'argent et l'étude. Ils méprisaient en tout cas la force brutale, dont
ils avaient souvent eu l'occasion de sentir les effets. Beaucoup d'entre eux se
sont rangés du côté des opprimés et ont participé aux mouvements de résistance et
d'émancipation de la première moitié du siècle dernier : c'est cette culture qui a
fourni son terreau au mouvement ouvrier juif, depuis le Bund polonais, fer de lance
des révolutions de 1905 et 1917 dans l'empire tsariste, jusqu'aux syndicats
parisiens des fourreurs et des casquettiers, dont les drapeaux portaient des
devises en yiddish et qui ont donné, dans la MOI, bien des combattants contre
l'occupant. Et c'est sur ce terrain qu'ont grandi les figures emblématiques du
judaïsme européen, Rosa Luxembourg, Franz Kafka, Hannah Arendt, Albert Einstein.
Après guerre, nombre des survivants et de leurs enfants soutiendront les luttes
d'émancipation dans le monde, les Noirs américains, l'ANC en Afrique du Sud, les
Algériens dans leur guerre de libération.

Tous ces gens sont morts et on ne les ressuscitera pas. Mais ce qui se passe en ce
moment à Gaza les tue une seconde fois. On dira que ce n'est pas la peine de
s'énerver, qu'il y a tant de précédents, de Deir Yassin à Sabra et Chatila. Je
pense au contraire que l'entrée de l'armée israélienne dans le ghetto de Gaza
marque un tournant fatal. D'abord par le degré de brutalité, le nombre d'enfants
morts brûlés ou écrasés sous les décombres de leur maison : un cap est franchi, qui
doit amener, qui amènera un jour le Premier ministre israélien, le ministre de la
Défense et le chef d'État-major sur le banc des accusés de la Cour de justice
internationale.

Mais le tournant n'est pas seulement celui de l'horreur et du massacre de masse des
Palestiniens. Il y a deux points qui font des événements actuels ce qui est advenu
de plus grave pour les juifs depuis Auschwitz. Le premier, c'est le cynisme, la
manière ouverte de traiter les Palestiniens comme des sous-hommes les tracts
lâchés par des avions annonçant que les bombardements vont être encore plus
meurtriers, alors que la population de Gaza ne peut pas s'enfuir, que toutes les
issues sont fermées, qu'il n'y a plus qu'à attendre la mort dans le noir. Ce genre
de plaisanterie rappelle de façon glaçante le traitement réservé aux juifs en
Europe de l'Est pendant la guerre, et sur ce point j'attends sans crainte les
hauts cris des belles âmes stipendiées. L'autre nouveauté, c'est le silence de la
majorité des juifs. En Israël, malgré le courage d'une poignée d'irréductibles, les
manifestations de masse sont menées par des Palestiniens. En France, dans les
manifestations du 3 et du 10 janvier, le prolétariat des quartiers populaires était
là, mais des hurlements de colère d'intellectuels juifs, de syndicalistes, de
politiciens juifs, je n'en ai pas entendu assez.

Au lieu de se satisfaire des âneries du gouvernement et du CRIF (« ne pas importer
le conflit »), il est temps que les juifs viennent en masse manifester avec les «
arabo-musulmans » contre l'inacceptable. Sinon, leurs enfants leur demanderont un
jour « ce qu'ils faisaient pendant ce temps-là » et je n'aimerais pas être à leur
place quand il leur faudra répondre.

Eric Hazan

oclibertaire.free.fr/


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