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Le pourcentage de joueurs compulsifs au Québec ? 1,7% ; 2, 1% ; 5% ou 7,5%...

A Dubois, Jeudi, Novembre 13, 2008 - 00:23

Alain Dubois

-Premier volet de ma réplique à la mise au point de Loto-Québec (sur leur site) au texte «La semaine de la gestion responsable du jeu (gambling)» Moi et les membres de la coalition EmJEU n'accordons pas une grande crédibilité aux différentes études de prévalences du jeu compulsif au sein de la population. Ces études impliquent toutes un chercheur, dont les travaux ont été massivement financés (des millions) par l'industrie du gambling. De plus, celles-ci souffrent toutes de graves failles méthodologiques qui, comme par hasard (sic), ont pour effet d'abaisser le taux de prévalence. Voici les principales...

Représentativité de l'échantillon: Typiquement, parmi les personnes qui acceptent de répondre, il y a une sur-représentation d'universitaires. Ces gens ont un taux de prévalence habituellement moindre, ce qui diminue l'estimation globale. Ensuite, les joueurs sont plus difficiles à rejoindre (trop occupés à jouer, abandon de l'abonnement téléphonique ou abonnement a un service de téléphonie cellulaire à la carte, crainte de répondre à un appelant inconnu en raison des dettes). L'absence d'entrevue de style face à face pose le même type de problème puisque les joueurs sont souvent absents de leur domicile, n'ont plus de téléphone etc. etc...

Pondération hasardeuse: Il y a toujours moyen de pondérer les problèmes de représentativité, mais parfois il peut y avoir des déséquilibres critiques. Si un participant a un poids de 50 par rapport à un autre qui a un poids de 0,5, le simple fait que ce soit l'un plutôt qu'un autre change dramatiquement les pourcentages. Par exemple, si A est joueur pathologique parmi 1000 personnes, le taux est de 5%; alors que si c'est B, c'est 0,05%. C'est ce problème que rapporte Jean Leblond à la page 245 de son premier rapport. Il est donc nécessaire de donner l'histogramme des poids des participants. Si ce n'est pas le cas, le chercheur pourrait cacher des affaires graves. Statistiques Canada rappelle ce problème continuellement en avertissant de d'abord vérifier tous les pourcentages avec données non pondérées avant de publier des estimés calculés avec des données pondérées. C'est un grande faiblesse des études sur le «jeu».

Taille insuffisante de l'échantillon: Les intervalles de confiance des estimés sont si grands qu'il est illusoire de croire pouvoir observer une fluctuation du taux de prévalence. Pour corriger ce problème, il faudrait réviser le financement. Par exemple, au lieu d'accorder du budget pour 1000 personnes maximum (déterminer le dénominateur), il faut accorder du budget jusqu'à ce qu'un numérateur valide soit atteint. Par exemple, on fait des appels jusqu'à ce que 30 joueurs pathologiques aient été contactés. Alors, on calcule le nombre d'appels qui ont été nécessaires. Dans un tel figure de cas, la validité de l'échantillon est meilleur car on a communiqué avec plus qu'une petite poignée de joueurs pathologiques.

Absence de mesure de la prévalence à vie: Lorsqu'on a réalisé une étude sur 12 mois en 1996, et sur 12 mois en 2002, il y a assurément de nombreux joueurs entre les deux études qui sont entrés dans le jeu pathologique et d'autres qui en sont sortis. Pour bien saisir les dommages dans la population, il faut donc comparer les deux taux de prévalence à vie.

Diagnostic difficile: Si l'étude prétend se prononcer sur des aspects psychopathologiques, il faut que le test de dépistage soit crédible. Quand le sous-groupe de joueurs pathologiques est composé à 82% de gens qui n'ont pas de problèmes de jeu, ce n'est pas étonnant que les chercheurs concluent qu'il n'y a rien de grave. Les maisons de sondage, pour les études de prévalence du jeu pathologiques, doivent être écartées. Des étudiants gradués en psychologie seraient très heureux de pouvoir payer leurs études en faisant des téléphones.

Questionnaires trop longs: Quand 90% des questions ne sont pas pertinentes pour le répondant, celui-ci se fatigue et répond pour se débarrasser. Ce serait plus simple si l'interviewer s'adressait au répondant de manière moins formelle (bien qu'il ait un questionnaire formel à remplir), afin de simplement faire l'inventaire des pratiques de jeu... quitte à rappeler en fin d'entrevue des aspects que les gens oublient parfois.

Absence de validation terrain: Il serait pertinent de valider les taux de prévalence aux différents types de jeu en réalisant des entrevues aux portes des différents lieux où l'on retrouve des jeux d'argent: casinos; bars, dépanneurs, salles de bingo, etc...

Absence de transparence dans la publication des résultats: Comme ces études sont réalisées avec des deniers publics, il est inconcevable que la totalité des donnés et des résultats, à l'exception de ceux qui pourraient nous permettre d'identifier les sujets, ne soit pas disponibles et accessibles à tous. Ces études comme toutes les autres financées par des fonds publics devraient être disponibles sous une licence de type GNU - General Public License. Il serait ainsi plus facile de vérifier la qualité des études/recherches et cette initiative pourrait permettre, à d'autres chercheurs, par exemple, en croisant certaines données, d'obtenir d'autres résultats intéressants.

Changement de la grille d'évaluation: Les résultats de 2002 sont issus, en partie, d'une nouvelle grille d'évaluation, l'Indice Canadien du Jeu Excessif (ICJE) et les précédentes uniquement du South Oaks Gambling Screen (SOGS). Ces deux grilles donnent des résultats différents. L'ICJE donne des résultats systématiquement inférieurs à ceux obtenus uniquement par le SOGS. Non seulement les problèmes méthodologiques reliés à l'administration et l'analyse de tests de prévalence ne permettent pas de prétendre qu'il y a eu baisse du taux de prévalence mais ces deux résultats ne sont pas comparables car ils sont issus de grilles différentes (bien qu'ils soient deux fruits, une pomme n'est pas une orange et vice-versa). De plus, l'adoption au Canada de cette grille rend plus difficile toutes les comparaisons entre notre taux de prévalence et celui des autres pays qui ont adopté le SOGS. Bien que plusieurs items sont communs aux deux mesures, le score du SOGS est beaucoup plus influencé par des items qui révèlent des dommages financiers. Le score à l'ICJE est plus influencé par les items psychologiques c-à-d ceux qui révèlent que la pensée du joueur est troublée. Les deux grilles ne mesure donc pas exactement la même chose...

Étude Léger Marketing

Pour ces motifs et faute de mieux, je préfère les chiffres de l'étude de Léger Marketing -LM (réalisée dans le cadre du Forum sur le jeu pathologique), qui indique que 5% des Québécois déclarent souffrir d'un problème de jeu compulsif (pathologique et excessif). La question est très habile puisqu'elle reprend les principaux critères diagnostiques associés à cette pathologie. La question posée était la suivante: «Sachant qu’un joueur compulsif est dépendant et obsédé par le jeu et qu’il ne pense qu’à retourner jouer pour récupérer ses pertes, estimez-vous être un joueur/une joueuse compulsif(ve)?». Le pourcentage obtenu de 5% pourrait même correspondre à une sous estimation de la réalité. Puisque le seul fait de d'admettre sa dépendance au «jeu» (idem pour l'alcoolisme ou la toxicomanie) représente déjà un pas difficile à franchir pour les joueurs compulsifs. De plus, c'est ce type de question qui pourrait être posée sans difficultés par n'importe quel employés de maison de sondage et être utilisée dans le cadre d'une étude de prévalence afin de réaliser une première liste de répondant à qui on ferait passer, par la suite, le questionnaire standard.

SOGS vs ICJE

Pour terminer ce volet de ma réponse, traditionnellement Loto-Québec et les chercheurs qu'elle a financé (Ladouceur, Deverensky, Vallerand) ne mentionnaient généralement que le taux de prévalence à vie (SOGS) de joueurs pathologiques (2,1%) tout en omettant les joueurs à risque (2,4%) pour un total de 4,6% de joueurs compulsifs (excessifs). Depuis peu, dans une nouvelle et évidente stratégie de communication, on ne parle plus que du taux de joueurs pathologiques annuel (*)tiré de l'ICJE qui est, lui, beaucoup plus bas (moins de 1%). Pourtant l'indice canadien utilise la notion de Jeu problématique (score entre 8 et 27) et Habitudes de jeu à risque modéré (score entre 3 et 7). Ces types de joueurs ont une symptologie qui est jugée suffisamment grave pour que ceux-ci puissent obtenir gratuitement des services publiques de traitement pour joueurs compulsifs. La catégorisation (on est joueurs pathologiques ou pas) qu'applique Loto-Québec et qui exclus de nombreux joueurs à problème m'apparaît, a fortiori, des plus arbitraire et non conforme à la réalité. À l'exception de Loto-Québec, des tenanciers de bars (ALV) et du gouvernement croupier qui peut croire que depuis 1996 le nombre de québécois au prise avec un problème de jeu a baissé de façon significative... N'importe quel organisme de traitement s'adressant aux joueurs, clinicien ou intervenant terrain (même les syndics de faillite et les ACEF) vous diront que leurs observations vont dans le sens contraire...

Comme complément d'information, je vous invites à lire une lettre ouverte «Tous pour Loto-Québec, les fonds de Loto-Québec pour tous...» que j'ai publié dans les médias suite à une lettre («Gare aux comparaisons») de chercheurs financés (ou qui ont été) par Loto-Québec (ou sa Fondation) et l'industrie du gambling qui s'attaquait aux chiffres que moi et les autres membres de la coalition EmJEU mettons de l'avant,

Le plus révélateur des taux de prévalence est celui qui s'intéresse aux différents jeux

Si le taux de prévalence annuel nous informe sur le taux de pénétration du gambling au sein de la population, sa valeur est toute relative. Tout d'abord parce qu'elle s'intéresse à l'ensemble de la population (joueur ou pas), on considère que 80% de la population joue à une forme ou un autre de jeux d'argent et de hasard. Ainsi le 2,1 et le 5% (LM) de joueurs pathologiques devient sur 80% plus ou moins 3 et 6.5%. Deuxièmement, ce taux de prévalence général ne prend pas en compte la fréquence à laquelle on s'adonne à ces jeux et le type de jeu auquel on joue. Dans le taux de prévalence général, l'ensemble des joueurs sont donc comptabilisés, que ceux ci jouent une fois par année ou à tous les jours, que ce soit au ALV, au BINGO ou à la 6/49... Avec ce taux général on noie le poisson dans l'eau, puisqu'il est évident que les personnes qui éprouvent des problèmes de jeu se retrouvent chez ceux qui jouent au moins une fois par mois et plus et qui s'adonnent aux jeux électronique et au ALV en particulier.

Pour les ALV, les chiffres les plus conservateurs, entre autres ceux qui proviennent d'un chercheur (Serge Chevalier) qui a été associé à la dernière étude de prévalence (que Loto-Québec cite abondament), indiquent que près de 15% des adeptes de ce jeu ont un problème de jeu compulsif... Dans son document sur la «Dangerosité des appareils électroniques de jeu et mesures de protection», (p. 81-82), que Jean Leblond a rédigé pour la santé publique, il a résumé 7 études provinciales, ainsi que l'étude de StatCan de 2002 (ESCC). On constate qu'il y a environ 20% de joueurs excessifs (pathos + à risque) parmi les joueurs annuels (fig. 52). Évidemment, la majorité de ces joueurs n'utilisent les ALV que sporadiquement.

Dans le complément d'expertise (22 mars 2007) que Jean Leblond a déposé pour le recours collectif, il a approfondi les données de l'ESCC (pour le Québec uniquement) et détaillé les risques selon la fréquence de jeu sur ALV. Parmi les joueurs hebdomadaires, 20% sont à risque sévère (c'est-à-dire plausiblement pathos selon l'ICJE), et 24% à risque modéré (c'est-à-dire plausiblement à risque selon l'ICJE). Plus les gens adoptent une fréquence de jeu régulière sur les ALV, plus il est probable qu’il s’agisse de joueurs pathologiques. D'une étude à l'autre le pourcentage peut varier mais on considère qu'au moins 20% des personnes qui jouent à chaque semaine ont des problèmes de jeu. Cette prévalence pourrait atteindre 40% et même plus si on se fie au résultat d’une étude qui a recruté ses sujets uniquement au sein des joueurs d'ALV (sujets recrutés à la porte des bars avec ALV). Cette petite étude (±200 sujets) fort intéressante, commanditée par la société sœur de Loto-Québec en Nouvelle-Écosse, indique que 77% des joueurs réguliers (1 fois par mois ou plus) sont des joueurs compulsifs (excessifs), dont 37% de joueurs dit pathologiques (Indice Canadien du Jeu). Enfin, près de 95% des demandeurs de traitement pour une dépendance au jeu sont des adeptes des ALV. Pire encore, des études, réalisées dans plusieurs états ou provinces, indiquent qu’une portion importante des revenus (entre 27% et 67%) tirés des ALV provient de joueurs qui éprouvent des problèmes de jeu...

Pour mieux saisir la gravité de la situation...

Imaginez qu'il est question ici d'un nouvel alcool qui serait responsable de 95% des cas de personnes traitées pour alcoolisme et qu'entre 2 et 7 personnes sur 10 qui en consommerait une fois et plus par semaine deviendrait dépendants de cet alcool... Je suis persuadé que vous vous dites qu'il y aurait immédiatement enquête et que cet alcool serait retiré illico ou qu'on y enlèverait, comme dans le cas de absinthe, l'élément actif responsable de cette dépendance hors du commun... Pourtant avec les jeux de hasard électroniques, rare sont ceux qui questionne la dangerosité de ces appareils et le pourquoi des hauts taux de jeux compulsif qu'ils provoquent... Les états croupiers, les casinotiers et les chercheurs qui sont associés à cette industrie aiment, et on les comprend, considérer ces jeux d'argent électroniques comme n'importe quel autre jeu de hasard... Mais pour n'importe quel autres chercheurs, intervenants ou observateurs le moindrement indépendant, il est facile de constater que ces jeux fortement programmés, qui impliquent une intelligence artificielle, sont dans une classe à part. Dans les casinos, comme je le mentionnais plus haut, les machines à sous (et autres jeux électroniques) sont responsables de 90% des profits (des jeux) alors qu'avant l'implantation d'une informatique sophistiquée (dans le milieu des années 80), les machines à sous rapportaient moins de 10% des profits... Mais vous comprenez que toute mesure visant à redonner au hasard toute sa place et à rendre ces jeux honnêtes et sécuritaires auraient un impact financier important sur ceux qui en retire un bénéfice...

De meilleurs et plus fiables études de prévalence, c'est possible.

Pour ma part, je crois qu'il est possible de développer et réaliser des études de prévalence fiables. Pour ce faire, il est nécessaire que l'équipe responsable de sa réalisation ait tout les moyens financiers et organisationnels nécessaires à sa réalisation y compris la collaboration volontaire ou obligatoire de Loto-Québec et des tenanciers de bars qui gèrent les ALV. Il va de soi que cette équipe puisse travailler en toute indépendance et ne pas êtes sujette à tous conflits d'intérêt (ou apparence de). Les chercheurs associés de trop près à Loto-Québec ou à sa fondation devraient être exclut. Pour ma part, il me ferait plaisir de participer aux discussions préliminaires (brain storming) visant à déterminer le contenu de l'étude et le protocole de recherche. Il serait aussi intéressant qu'un chercheur choisi par nous (EmJEU) ainsi qu'un représentant du Ministère de la santé y soient impliqués. Ainsi les résultats de l'étude ne pourraient pas être contestés par aucun des intervenants et organismes intéressés.

Alain Dubois, EmJEU

L'article d'Alain Dubois "La semaine de la gestion responsable du jeu" »»»ICI

La réponse de Loto-Québec »»» ICI

(*) Les taux de prévalence annuel des joeurs pathologiques était selon ces études de 1% en 1996 et de 0,8 % en 2002. En ce qui concerne le nombre de joueurs à risque, il est passé de 1,4 % en 1996 à 0,9 % en 2002. Donc en 1996 le taux de joueurs compulsifs ou excessifs était de 2,4% et en 1996 et de 1,9% en 2002

Alain Dubois
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