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Une autre élection, encore moins de solution

Eric Smith, Mardi, Novembre 11, 2008 - 13:30

Le Drapeau rouge

(Éditorial du journal Le Drapeau rouge, dont le numéro 78 vient de paraître)

Alors que nous nous apprêtions à boucler ce numéro du Drapeau rouge, on apprenait que le premier ministre Charest allait prendre de court le Parti québécois et l’Action démocratique et déclencher une élection anticipée, dans l’espoir de former un gouvernement majoritaire. Si ça continue comme ça, on va devoir ouvrir une nouvelle chronique mensuelle et perpétuelle sur ces élections, pièges à cons, qui n’en finissent plus et s’avèrent aussi burlesques que les pancartes des deux de pique qui font office de candidates.

Dans les usines, sur les lieux de travail, dans les restaurants et autres endroits où l’on retrouve des ouvriers et ouvrières, l’annonce du déclenchement d’un nouveau scrutin, à peine quelques jours après la tenue des élections fédérales, a été accueillie par le mépris et une bonne dose de cynisme, voire une colère parfaitement justifiée.

C’est que l’on a vu, tout au long de l’automne, à quel point les élections et le système parlementaire bourgeois sont devenus vides de sens. Les prétentions ridicules des uns et des autres, qui essaient de nous vendre leurs promesses comme de mauvais vendeurs de véhicules usagés, arrivent de moins en moins à nous berner, comme en témoigne le faible de taux de participation au scrutin fédéral, qui a atteint un creux historique (59,1%): les vices cachés de leur système pourri et rouillé, on ne les connaît que trop bien, malgré ce que disent ces trafiquants d’odomètre!

Si voter pouvait changer les choses, dit-on parfois, les élections seraient illégales. Cet adage, qui témoigne d’une vraie sagesse populaire, est certes encore plus vrai en période de crise financière et économique. Dans un contexte comme celui que l’on éprouve actuellement, les partis bourgeois se liguent tous afin de sauver le système. Cela, on l’a vu d’une manière spectaculaire aux États-Unis, où démocrates et républicains se sont unis, à l’appel de George W. Bush, de John McCain ET de Barack Obama (même si parallèlement, ces deux-là se sont quasiment entretués sur la place publique au cours des derniers mois!), afin d’adopter un «plan de sauvetage» sans précédent, impliquant l’utilisation de plus de 700 milliards de dollars des fonds publics – 700 milliards! – pour venir en aide à leurs amis banquiers.

De ce côté-ci de la frontière, les libéraux, le Bloc et le NPD ont unanimement dénoncé «l’inaction» du premier ministre Harper durant la campagne électorale, parce que ce dernier s’entêtait à ne pas soumettre de plan pour venir en aide aux capitalistes. Comme si les conservateurs allaient laisser le navire couler et nos capitalistes se noyer sans rien faire! Dès le lendemain de l’élection, le 15 octobre, Stephen Harper en a donc présenté un, un plan, d’ailleurs copié pour l’essentiel sur celui que son opposant Stéphane Dion avait soumis durant la campagne et qui prévoit, entre autres choses, la mise en place de «toutes les mesures appropriées et nécessaires» pour que le système financier canadien demeure profitable. Harper a bien compris qu’un tel plan ne relevait aucunement d’un quelconque «enjeu électoral»: s’agissant d’intervenir pour défendre le grand capital canadien, il n’y a, en effet, aucunement matière à débat, car tel est bien le rôle de l’État et des gouvernements dans le système dans lequel on vit.

Dans le cadre de la campagne électorale provinciale, on assistera vraisemblablement au même type de «débat public». La «menace adéquiste» étant à peu près écartée et celle de la tenue d’un nouveau référendum tout autant, que restera-t-il donc pour occuper le temps d’antenne? Essentiellement, l’on verra les deux grands partis bourgeois que sont le PQ et les libéraux, prétendre qu’ils sont chacun les «gestionnaires les plus qualifiés» en temps de crise.

Ces deux partis ont occupé le pouvoir et géré l’État québécois par alternance et sans interruption depuis maintenant près de 40 ans. Nous convenons volontiers qu’ils ont tous deux effectivement prouvé qu’ils étaient de très bons gestionnaires pour le grand capital – surtout pour celui associé au Québec inc. Péquistes et libéraux ont développé l’État québécois et ses institutions au service de la bourgeoisie; ce faisant, ils n’ont jamais hésité à s’en prendre, au besoin, aux travailleurs, aux travailleuses et aux pauvres.

Des «boubou-macoutes» des libéraux et de Robert Bourassa (ces agents spéciaux d’aide sociale qui ont contribué à la formation d’une masse gigantesque de dizaines de milliers de travailleurs et de travailleuses réduites à travailler en bas du salaire minimum), jusqu’au fameux «déficit zéro» du tandem Bouchard-Landry (qui incluait aussi une certaine Pauline Marois, alors ministre de l’Éducation), ce sont toujours les travailleurs, les travailleuses et les pauvres qui ont payé pour que les profits des capitalistes s’envolent et pour permettre à ceux-ci de spéculer dans le but de valoriser leurs avoirs.

La campagne électorale qui s’annonce ne laisse présager rien de mieux que ce genre de «changement», qui, quand on y regarde de plus près et rétrospectivement, apparaît plutôt comme une totale continuité. En fait, elle laisse peut-être présager encore pire. Car elle est déclenchée, à ce moment-ci précisément, en raison de la crise économique qu’annonce la crise financière actuelle.

Jean Charest, qui surfe sur une vague de popularité sans précédent depuis quelques mois, aurait certainement pu attendre encore un bout de temps avant d’aller en élection – possiblement, après le dépôt d’un budget en bonne et due forme au printemps prochain. Mais il a calculé que plus le temps passera, et plus la crise rendra la «gouvernance» difficile pour la grande bourgeoisie: les fermetures d’usine qui vont s’ajouter à celles que l’on a déjà connues au cours des dernières années, les pressions à la baisse sur les salaires et les conditions de travail, les nouvelles vagues de coupures dans les programmes sociaux qui seront rendues nécessaires par la diminution des revenus de l’État jumelée à l’augmentation des subsides aux banques et aux entreprises, tout cela créera une situation d’instabilité, où les bourgeois éprouveront bien du mal à faire passer leurs mesures de crise.

Chose certaine, c’est bien ce à quoi l’on doit s’attendre, peu importe le résultat de l’élection – qu’elle donne lieu à la formation d’un autre gouvernement minoritaire ou d’un gouvernement majoritaire, libéral ou péquiste, dont l’élection pourrait être favorisée par l’effondrement du vote adéquiste.

Et le cours actuel imposé par le développement du capitalisme au Québec et dans le monde, ce ne sont certainement pas les «wannabee PQ» de Québec solidaire qui sauront l’arrêter. Ce parti, qui se présente comme une «nouvelle alternative», voudrait nous ramener 40 ans en arrière, au moment de la création du PQ, quand ce dernier luttait encore pour un Québec indépendant et affichait un soi-disant «préjugé favorable aux travailleurs». En fait, ce PQ-bis qu’est Québec solidaire voudrait même nous ramener encore plus loin, à l’époque du capitalisme de l’après-guerre et de l’État providence – cet État qu’il chérit plus que tout et dont il aimerait tant qu’il serve à promouvoir cet illusoire «bien commun», au-dessus des classes et de la lutte de classes, jugée «dépassée». Mais les conditions du capitalisme ont bien changé et les miettes à partager s’avèrent de plus en plus ténues, comme la crise actuelle en témoigne.

Au Québec, on vote habituellement en plus grand nombre au provincial qu’au fédéral, l’État québécois étant considéré par plusieurs comme notre État national. Mais la tendance à la baisse du taux de participation n’en demeure pas moins significative. Il est vrai que la dernière fois, en mars 2007, le taux de participation a connu une très légère hausse de moins d’un pour cent, se chiffrant à 71,3% (jusqu’en 1998, il dépassait habituellement la barre des 80%). Cette fois-ci, toutefois, il risque d’atteindre un creux historique, comme au fédéral. Cynique parmi les cyniques, Jean Charest semble même compter là-dessus: ses stratèges auraient en effet tenu compte de ce facteur pour décider d’aller en élection maintenant, sachant que de manière générale, un taux de participation plus bas favorise les libéraux…

Contrairement au prêchi-prêcha des éditorialistes, des politiciens bourgeois, des syndicalistes à la gomme, voire de certains ex-gauchistes qui aspirent désormais à la responsabilité publique et qui vont nous faire la morale et nous dire à quel point on est «mauvais, méchants et cyniques» parce qu’on ne croit plus à leurs mensonges, nous aurons raison, comme travailleurs et travailleuses, de boycotter les élections et de refuser de prendre part à cette mascarade: leur système ne mérite plus qu’on lui confère une seule once de légitimité.

Résister aux attaques des capitalistes; se battre contre le rejet du fardeau de la crise sur notre dos; bâtir nos propres organisations de lutte, indépendantes de l’État et des partis bourgeois; construire notre parti et préparer avec vigueur le mouvement qui mettra fin à ce système pourri, aux crises qu’il engendre, à la misère et aux destructions de toutes sortes qu’il répand désormais sur tous les coins de la planète, gracieuseté du capitalisme mondialisé: voilà un programme bien plus prometteur et ouvert sur l’avenir que celui que nous proposeront les clowns plus ou moins respectables qui vont nous rejouer le même numéro poche au cours des prochaines semaines!

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