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1941 à Arvida, les travailleurs en grève malgré tout interditsAnonyme, Dimanche, Juillet 13, 2008 - 19:05 (Analyses | Economy | Guerre / War | Politiques & classes sociales | Resistance & Activism | Syndicats/Unions - Travail/Labor)
Ingras
La grève des travailleurs de l’Alcan à Arvida, déclanchée spontanément le 24 juillet 1941, présente une lutte acharnée des ouvriers qui, malgré l’interdiction gouvernementale et les accusations de sabotage de production de guerre, firent résonner haut et fort leurs revendications par l’action directe et gagnèrent l’appui de la population locale. Des rumeurs précédant la grève jusqu’à l’envoi des militaires pour forcer le retour au travail, revoyons en détails ces événements qui se sont passés pas loin de chez nous en commençant par leur contexte. Ça se passe durant la 2ième guerre mondiale, la grève est alors déclarée illégale par le gouvernement canadien pour l’effort de guerre et le pays passe à l’Économie de guerre. L’usine d’Alcan à Arvida est la plus grande usine d’aluminium au Canada, un métal grandement nécessaire à la production de l’armement et dont dépend particulièrement la Grande-Bretagne. Après de nombreux investissements étrangers dans l’usine d’Arvida, notamment par les britanniques, la production annuelle d’aluminium passa de 30 000 tonnes à l’ouverture de l’usine, en 1926, à 100 000 tonnes au début de la guerre (1). De plus, avant 1939, l’Alcan avait également produit pour le Japon, les États-unis, la Russie (en 1938) et même pour l’Allemagne. Les années de la guerre furent marquées de très importantes augmentations de la capacité de production de l’usine et la cadence y fut infernale pour ceux qui y travaillaient. D’autre part, la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean est qualifiée de berceau du syndicalisme catholique par plusieurs historien(ne)s. Son premier syndicat, la Fédération ouvrière de Chicoutimi, fondé en 1907 par Mgr Eugène Lapointe, était très encadré par l’église et le principal employeur de la région, Julien-Édouard-Alfred Dubuc. Ce syndicat rejetait toute grève et son organisation était fortement hiérarchisée, ne laissant pas de place aux travailleurs souhaitant lutter pour l’amélioration ou la défense de leurs conditions. Il était géré par un Conseil de direction rassemblant des membres honoraires. Les ouvriers gardèrent une certaine méfiance envers les structures du syndicat, qui sera remplacé en 1912 par la Fédération ouvrière mutuelle du Nord, un syndicat encore catholique mais davantage concentré sur les besoins des travailleurs, qui se partagera leur affiliation avec les syndicats internationaux (2). Ce n’est toutefois qu’en 1936, dans les difficultés économiques de la Grande Dépression, qu’est né le premier syndicat de l’usine d’Arvida (3). Malgré une première convention collective négociée en 1937, de fortes tensions et disparités demeureront jusqu’à l’éclosion de la grève en 1941. Pour en revenir à cette grève, selon les témoignages de plusieurs travailleurs, le débrayage avait été planifié au moins depuis la veille (4) dans la mesure où les travailleurs de la salle de cuve #48 pourraient participer au mouvement et que s’en suivrait un effet d’enchaînement dans les autres salles de cuve. Il semble que des rumeurs de grève circulaient depuis un certain temps et que les travailleurs avaient déjà menacé à quelques reprises de faire la grève. De plus, elle était devenue un sujet de conversation courant à la pause du midi entre les travailleurs. Diverses causes d’ordre continues et momentanées poussèrent les travailleurs à agir sur leurs conditions. D’abord, la mésentente régnait déjà dans les relations qu’ils entretenaient avec le syndicat et les directeurs anglophones de l’usine. Plusieurs employés étaient restés insatisfaits de la convention collective négociée et réclamaient un salaire plus élevé, l’abolition des primes au rendement et l’embauche de plus d’ouvriers pour les salles de cuve. L’autorité des contremaîtres était également discutée. Et puis, dans la semaine du 21 juillet, quelques facteurs d’ordre momentanés menèrent leur colère au point d’ébullition. En effet, sur leur paie de la veille, les déductions avaient fortement augmentées pour la Défense nationale et le premier prélèvement de l’assurance-chômage. De plus, la semaine fut marquée par des températures de canicule, de 27,5°C le 21 jusqu’à 34,7°C le 24. S’ajouta à ces causes des émanations de dioxyde de carbone et de fluorine. Sous ces conditions, plusieurs travailleurs s’évanouirent au travail durant la journée du 24. Ceux-ci soustraient aux équipes de salles de cuve, la charge de travail de leurs compagnons de travail augmenta d’autant plus. Le 24 juillet 1941, 700 travailleurs des salles de cuve d’Arvida déclanchèrent spontanément une grève sauvage au changement de quart de 16h et occupèrent l’usine. Le syndicat devint rapidement inquiet de la situation, puisque totalement en dehors de son contrôle. Quand, du côté de Montréal, le Président d’Alcan, R.E. Powell, apprit la nouvelle, il appela à son tour Clarence Decatur Howe, le Ministre des Munitions et Approvisionnement (5), qu’il connaissait personnellement (6) et qui revenait justement d’une des usines d’Alcan, pour lui demander d’intervenir. Au Saguenay, la population locale se montra rapidement solidaire avec les revendications des travailleurs. La grève atteignit 4500 travailleurs le lendemain et près de 8000 le 3ième jour. À partir de prétendues rumeurs, Howe, qui se disait ouvertement contre les syndicats, affirmera bientôt au Premier ministre, Mackenzie King, qu’il s’agissait d’« un homme qui était venu des États-Unis, et qui parlait différentes langues, s’était introduit dans l’usine, et avait agité les gars » (7), afin de motiver une éventuelle répression de la grève. Face aux hésitations et réticences du Premier ministre et de ses collègues de Cabinet, Howe menaça de quitter son poste s’il ne pouvait obtenir le pouvoir de faire intervenir l’armée pour contrôler les travailleurs du Saguenay (8). Pendant ce temps, dans les cuves de l’Alcan, le métal se solidifiait, provoquant une grande perte de l’aluminium stratégique de la Grande-Bretagne dont le Canada s’était engagé à protéger. D’ailleurs, le Ministère des Munitions et Approvisionnement avait été créé sous Howe pour protéger l’approvisionnement des Alliés, peu importe le prix qu’il pouvait en coûter. La presse anglophone s’outrera particulièrement de ce, qu’à partir des déclarations du ministre Howe, sera appelé « une trahison de la part de l’ennemi ». Au Québec, Le Soleil dénoncera l’utilisation de la situation par Howe pour prendre le pouvoir d’envoyer les militaires afin de réprimer des grévistes. Adélard Godbout, le premier ministre du Québec d’alors, affirmera que la Sûreté du Québec à elle seule pouvait mater le vent de révolte chez les travailleurs. En accusant la grève d’acte de sabotage de production de guerre et de trahison, C. D. Howe réussira à faire adopter un décret par le Cabinet pour l’intervention de l’armée en cas de sabotage d’usines de guerre. Le 27, deux compagnies de soldats de Valcartier arrivèrent sur les lieux (9), équipées de mitrailleuses et de chars d’assaut et accompagnées de 400 policiers de la Sûreté du Québec. Une assemblée locale fut tenue par les travailleurs durant laquelle le support à la grève fut de : 453 pour et 51 contre. Le 28, un peu après que le maire d’Arvida, Louis Fay, ait lu la « Loi de l’émeute » (10) devant l’usine, les militaires pénétrèrent à l’intérieur. Il y eut d’abord un peu de bousculade, mais les grévistes décidèrent de lever l’occupation pour éviter la confrontation et poursuivirent le piquetage à l’extérieur. La grève se termina le 29 juillet vers 16 heure et les ouvriers reprirent le travail, forcés par l’intervention de l’armée et de la SQ. Cette grève a été victorieuse sur quelques points. Les conditions de travail et le salaire furent significativement amélioré(e)s. La lutte menée par les ouvriers renforça la cohésion sociale à Arvida. Aucune arrestation ou mise à pied n’eut lieu en lien avec la grève et aucun équipement de travail n’a été brisé durant l’occupation des travailleurs. Les enquêtes de la Gendarmerie Royale ne permirent de trouver pas un leader, agitateur ou sabotage. Quelques mois plus tard, suite au plébiscite pancanadien du 27 avril 1942, qui portait sur l’imposition de l’enrôlement obligatoire au service outre-mer, le vote d’une majorité de 63,7% des canadien(ne)s sera favorable au projet de conscription. Le plébiscite eut cependant beaucoup moins d’appui au Québec, où 71,2% de la population et 85% des francophones s’y opposèrent (11). La situation fut similaire au Saguenay, où même les conseillers municipaux incitaient la population à voter négativement. Lorsque le résultat du plébiscite fut annoncé, des étudiant(e)s du Séminaire de Chicoutimi escaladèrent le bureau de poste pour y arracher et déchirer le drapeau « Union Jack » en signe de protestation (12). Un mouvement anti-conscription s’éveilla au Québec. Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, tout comme dans les autres régions de la province, il y eut un grand nombre de déserteurs et une multitude de tactiques furent utilisées pour ne pas aller se faire trouer la peau sous les drapeaux. Les autorités recherchaient activement ces réfractaires. Dans la foulée des événements, un contingent de la Gendarmerie Royale du Canada, en quête de déserteurs, sera attaqué par une foule en colère à Drummondville. On pouvait en compter au-delà d’une dizaine de milliers au Québec (13). Ils furent amnistiés (14) en 1947, le jour suivant la fin de la guerre. Auteur: SagLac - Résiste! Références 1 BROUILLETTE, Benoît. « L’aluminium au Saguenay » (1946) – Les Classiques des sciences sociales |
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