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Récit au « je » d’une répression policière ordinaireAnonyme, Vendredi, Mai 2, 2008 - 17:05
Bruno Dubuc
Voici comment j’ai vécu ma manifestation du 1er mai dernier. Il s’agit ici d’un récit éminemment subjectif. Pour un vrai regard objectif sur ce qui s’est passé, il faudra consulter la grosse Presse à Desmarais ou l’un des nombreux médias concentrés de PKP qui, eux, c’est bien connu, ont l’apanage de l’objectivité journalistique désintéressée. À moins, bien sûr, que l’événement n’y soit malencontreusement passé sous silence… Cette année, une vaste coalition de groupes sociaux avait décidé d’organiser sa propre manifestation et de ne pas se joindre à la grosse manifestation syndicale appelée deux jours plus tard, le samedi 3 mai. Avec un slogan comme « Le capitalisme est notre misère ! Manifestons notre colère ! », c’est à cet événement que j’avais plutôt décidé d’accorder mon appui. Je trouvais son message plus clair et radical que celui des syndicats. Car c’est bien beau de défendre le système de santé public (thème de la marche syndicale de cette année), mais ne pas mettre de l’avant que c’est le capitalisme sauvage dans lequel on baigne qui le gruge constamment pour le donner au privé, c’est se mettre la tête dans le sable. Aux autruches, je préférais donc les taupes. Elles peuvent manquer à l’occasion de perspective dans leur tunnel étroit censé mener à la révolution, mais au moins, elles ont le mérite de vouloir creuser jusqu’à la racine du problème. C’est d’ailleurs aussi le sens étymologique du mot « radical », la racine. « Protège les feuilles tant que tu voudras, si la racine est pourrie, t’auras pas de bons fruits », aurait pu dire Bakounine s’il avait été moins nomade et plus jardinier… Bref, j’arrive un peu en retard sur la rue Ontario et la manif, qui vient vers moi, est déjà en route. Il y a beaucoup de noir et de rouge, certes, mais on est loin de la manif annuelle contre la brutalité policière : pas de rage ciblée contre les flics omniprésents, plutôt une atmosphère de chaude solidarité contre un système qui, justement, tend toujours à nous isoler pour mieux nous acheter à bas prix. Plus j’avance avec eux, plus je remarque la diversité des marcheurs de tous âges, y compris plusieurs enfants en poussette ou à pied avec leur maman. L’atmosphère bon enfant incite les commerçants de la rue Ontario à sortir sur leur porche et à accepter avec plaisir les dépliants qu’on leur tend pour expliquer le but de la marche. Je me laisse tranquillement glisser vers l’arrière de la manif ou une petite fanfare joue des airs militants que fredonnent les marcheurs. À un moment donné, la section percussion de la fanfare devient de plus en plus présente, tout en marquant le rythme d’une manière quelque peu désordonnée… Curieux, je me retourne vers eux pour voir qui sont ces nouveaux musiciens pas encore tout à fait capables de marcher et de tenir le rythme en même temps. C’est alors que je m’aperçois que mes percussionnistes amateurs sont en fait une ligne de policiers anti-émeute qui s’approchent en ligne derrière la manif en frappant leur matraque contre leur bouclier. Mon premier réflexe a été de me dire : « Mais qu’est-ce qu’ils font là ces clowns ? Ils se sont trompés de manif ou quoi ? Les émeutes du Canadien, c’est dans l’ouest que ça se passe, pas dans l’est… ». Je me suis alors rappelé que, comme par hasard, quand du grabuge a lieu par pure délinquance, la police est capable de faire des arrestations ciblées. Capacité qu’elle perd comme par magie dès que la manifestation a un message politique, pour se rabattre vers les bonnes vieilles arrestations de masse. N’en étant pas à ma première manif, j’aurais dû comme à mon habitude prendre alors la première rue perpendiculaire pour me soustraire à cette tactique policière malheureusement écrite dans le ciel. Mais la manif était si calme, et les gens tellement plus perplexes qu’apeurés ou agressifs, que j’ai continué à marcher avec eux. Mais ce qui devait arriver arriva. Juste avant la rue De Lorimier, alors que, « comme par hasard », nous longions la longue clôture d’une école d’un côté de la rue et les grilles de commerces de l’autre, la manif se met à refouler. Traînant mon vélo d’une main avec moi et ne voulant pas le pousser sur les jambes de ceux qui venaient de s’immobiliser devant moi, je m’arrête donc à mon tour. Sauf que derrière moi, les flics s’étaient pompés et criaient de plus en plus fort : « Move, move ! ». Même pas capables de nous réprimer en français… « Je veux bien, mais où est-ce que tu veux que j’aille ? » lançais-je au flic qui était devant moi et qui me regardait avec un mauvais œil. En guise de réponse, je reçus un coup de matraque dans le ventre. Sympathique. C’est là que j’ai compris la pleine utilité du petit bout de matraque de cinq ou six pouces qui dépasse de l’autre côté du long bout de la matraque : ça rentre plutôt bien dans les abdos quand tu ne t’y attends pas. Encore heureux qu’il ne m’ait pas frappé juste un peu plus haut, ce con. Avec le peu de graisse qui protège mon squelette, il aurait facilement pu me péter le sternum. Avec le cœur juste derrière, ce n’aurait pas été une bonne idée. C’est alors que je me suis réveillé. En avant de la manif, un cordon d’anti-émeute, qui semblait plus dense que celui derrière nous, bloquait complètement le passage. Avec les clôtures de chaque côté, et les cochons qui nous « vargeaient » dessus derrière, on était faite, comme on dit. Pardonnez mon langage un peu émotif ici, mais quand on voit une vieille dame se faire pousser violemment (heureusement quelqu’un l’a soutenu sinon elle tombait par terre), une poussette d’enfant (avec l’enfant dedans) se faire tasser avec sa mère si durement que la poussette en vacille, quand on voit, surtout, la peur dans les yeux de la petite fille de six ans d’une amie qui regarde tout ça, alors on devient quelque peu émotif. Ça s’appelle avoir une réaction humaine devant des actes inhumains. C’est ce que je me suis évertué à crier aux flics en face de moi, me disant qu’au moins si je passais la soirée assis à terre avec des menottes dans le dos, je n’allais pas me retenir en plus pour leur dire ce que je pensais d’eux. Mais au moment où une jeune fille à côté de moi commençait à me dire que ce n’était pas la peine, que je parlais à des robots (ce qui était vrai, le dressage policier étant passé maître dans l’art de faire disparaître toute trace de jugement dans le cerveau de ses fantassins), à ce moment précis donc, un phénomène aussi surprenant qu’étrange survint : les flics commencèrent à reculer, lentement, d’une manière aussi coordonnée qu’ils l’avaient fait pour nous coincer (les ordres leur étant clairement venus de plus haut), jusqu’à nous ouvrir une porte de sortie par une rue perpendiculaire. « Quelle étrange stratégie… », me dis-je alors, tout de même content de retrouver ma liberté. Mais ce qui allait se passer ensuite me montra que, loin d’être étrange, cette manœuvre avait exactement réussi le but qu’elle poursuivait : disperser les manifestants. En effet, les gens peu habitués à ce genre de répression se sont éloignés en en étant quittes pour une bonne frousse. « Je vais y penser deux fois avant de retourner dans une telle manifestation » se disaient-ils sans doute. Les autres, exaspérés par le comportement de la police, avaient maintenant la rage au cœur et haranguaient les « robotcops ». Situation toute à l’avantage de ces derniers qui n’attendaient alors que les gestes de revanches des plus outrés pour cueillir les auteurs comme un fruit mûr, avec toute la délicatesse qu’on leur connaît. C’est arrivé à l’un de mes amis dont je n’ai pas vu l’offense. Mais à voir la façon dont il s’est fait ramasser, ça ressemblait plus à l’arrestation d’un forcené qui venait de tirer dans une école qu’à un militant qui scandait des slogans en distribuant des tracts dix minutes auparavant… Car voilà ce qui agace au plus haut point : des gens qui se tiennent ensemble et diffusent un message cohérent sur les injustices et l’exploitation dont eux et une majorité de leurs semblables font l’objet. Cela, pourtant, s’appelle le droit de manifester, et c’est un des acquis les plus précieux de nos soi-disant démocraties. « Soi-disant » parce que tout, dans les lois, est assez flou pour permettre à n’importe quel constable de police municipal, de décréter qu’il a un doute raisonnable (raisonnable pour qui, selon quels critères ?) que tel ou tel attroupement menace l’ordre public. Or, il faudra bien avant longtemps faire cesser ces abus de pouvoir qui minent à la base, à la racine (on y revient toujours), les fondements de ce que devrait être une démocratie : le pouvoir du peuple par le peuple, une peuple qui doit être informé des enjeux qui le concerne et des voies qui s’offrent à lui pour rendre sa société plus juste. En bout de ligne, c’est le maire de Montréal, Gérald Tremblay, qui aurait la responsabilité de faire cesser les tactiques de bas étages de sa police qui étouffent toute tentative d’amener sur la place publique les problèmes les plus criants. Mais il est sans doute plus occupé à dîner avec un quelconque promoteur immobilier qui va « revitaliser » sa ville qu’il aime tant, surtout quand ses rues sont propres, c’est-à-dire vides de toute revendication sociale. Mais il y a un facteur que le pouvoir en place a peut-être sous-estimé. C’est la clarté scandaleuse d’un coup de force anti-démocratique comme celui de ce 1er mai 2008. Le pouvoir en place dispose de nombreux moyens, de commissions en tables de concertation, pour faire semblant d’écouter nos revendications. Mais les gens qui, comme moi, étaient à cette manifestation et ont vu la répression gratuite et sans raisons autres que celle de nous faire taire, font en quelques heures le cheminement politique qu’ils auraient sans doute fait en plusieurs années. Tout s’accélère alors et des gens plutôt tolérants et modérés de nature en viennent à prendre la plume pour dire que ce qu’ils ont vu est inacceptable. C’est ce que je fais aujourd’hui, comme plusieurs autres par divers moyens. Et je le fais au « je », du fond du cœur, parce que la très grande majorité de mes concitoyens en ont encore un, de cœur. Et que les plus grands changements sociaux que l’on chérit aujourd’hui sont toujours venus de là. [ EDIT (Mic pour le CMAQ)
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