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Mai 68 : le mouvement des étudiants en France et dans le monde (2ème partie)

Anonyme, Jeudi, Avril 3, 2008 - 09:51

Un sympathisant du CCI

Dans la précédente partie de cet article consacré au mouvement de mai 68, nous avons retracé sa première étape : la mobilisation des étudiants. Nous avons mis en évidence que l'agitation des étudiants en France, à partir du 22 mars 1968 jusqu'au milieu du mois de mai, n'était que l'expression dans ce pays d'un mouvement international touchant la presque totalité des pays occidentaux, à commencer par le premier d'entre eux, les États-Unis, où il avait débuté en 1964, à l'Université de Berkeley en Californie. Nous terminions cette partie ainsi : "Ce qui caractérise l'ensemble de ces mouvements, c'est évidemment, avant tout, le rejet de la guerre du Vietnam. Mais, alors que les partis staliniens, alliés au régime de Hanoi et de Moscou, auraient dû logiquement se trouver à leur tête, comme ce fut le cas dans les mouvements anti-guerre lors de la guerre de Corée au début des années 1950, ce n'est nullement le cas ici. Au contraire, ces partis n'ont pratiquement aucune influence et, bien souvent, ils sont en complète opposition contre ces mouvements. C'est une des caractéristiques des mouvements étudiants de la fin des années 1960 qui révèle la signification profonde qu'ils recouvrent..." C'est cette signification que nous allons tenter de dégager maintenant. Et pour ce faire, il est évidemment nécessaire de rappeler quels furent les principaux thèmes de mobilisation des étudiants à cette période.

"Les thèmes des révoltes étudiantes des années 60 aux États-Unis..."

Comme nous l'avons déjà signalé, l'opposition à la guerre menée par les États-Unis au Vietnam fut le thème le plus répandu et mobilisateur dans tous les pays occidentaux. Ce n'est certainement pas un hasard, évidemment, si c'est d'abord dans le premier d'entre eux qu'ont commencé à se développer les révoltes étudiantes. La jeunesse américaine était confrontée de façon directe et immédiate à la question de la guerre puisque c'est elle qui était envoyée sur place défendre le "monde libre". Des dizaines de milliers de jeunes américains ont payé de leur vie la politique de leur gouvernement, des centaines de milliers d'entre eux sont revenus du Vietnam avec des blessures et des handicaps, des millions ont été marqués à vie par ce qu'ils ont vécu dans ce pays. Outre l'horreur qu'ils ont connue sur place, et qui est propre à toutes les guerres, beaucoup d'entre eux ont été confrontés à la question : que faisions-nous au Vietnam ? Le discours officiel était qu'ils étaient partis défendre la "démocratie", le "monde libre" et la "civilisation". Mais la réalité qu'ils avaient vécue contredisait de façon flagrante ces discours : le régime qu'ils étaient chargés de protéger, celui de Saïgon, n'avait rien de "démocratique" ni de civilisé : c'était un régime militaire, dictatorial et particulièrement corrompu. Sur le terrain, les soldats américains avaient beaucoup de mal à comprendre qu'ils défendaient la "civilisation" lorsqu'on leur demandait de se conduire eux-mêmes comme des barbares, terrorisant et massacrant de pauvres paysans désarmés, femmes, enfant, vieillards compris. Mais ce n'était pas uniquement les soldats sur place qui étaient révulsés par les horreurs de la guerre, c'était aussi le cas d'une partie croissante de la jeunesse américaine. Non seulement les garçons craignaient de devoir partir à la guerre et les filles d'y perdre leurs compagnons, mais tous étaient de plus en plus informés par les "vétérans" qui en revenaient, ou tout simplement par les chaînes de télévision (1), de la barbarie qu'elle représentait. La contradiction criante entre les discours du gouvernement américain sur la "défense de la civilisation et de la démocratie" dont se réclamait le gouvernement américain et ses agissements au Vietnam fut un des premiers aliments d'une révolte contre les autorités et les valeurs traditionnelles de la bourgeoisie américain (2). Cette révolte avait alimenté, dans un premier temps le mouvement Hippie, un mouvement pacifiste et non violent qui revendiquait le "Flower Power" (Pouvoir des fleurs) et dont un des slogans était "Make Love, not War" ("Faites l'amour, pas la guerre"). Ce n'est probablement pas un hasard si la première mobilisation étudiante d'envergure eut lieu à l'Université de Berkeley, dans la banlieue de San Francisco qui était justement la Mecque des hippies. Les thèmes et surtout les moyens de cette mobilisation avaient encore des ressemblances avec ce mouvement : emploi de "sit in" non violents pour revendiquer le "Free Speach" (la liberté de parole) pour la propagande politique au sein de l'Université, notamment pour soutenir les "droits civiques" des noirs et dénoncer les campagnes d'enrôlement pour l'armée qui se tenaient dans le campus. Cependant, comme dans beaucoup d'autres pays par la suite, et notamment en France en 1968, la répression qui s'est déchaînée à Berkeley (800 arrestations) a constitué un facteur important de "radicalisation" du mouvement. À partir de 1967, avec la fondation du Youth International Party (Parti international de la jeunesse), par Abbie Hoffman et Jerry Rubin qui avaient fait un passage dans la mouvance de la non-violence, le mouvement de révolte s'est donné une perspective "révolutionnaire" contre le capitalisme. Les nouveaux "héros" du mouvement n'étaient plus Bob Dylan ou Joan Baez, mais des figures comme Che Guevara (que Rubin avait rencontré en 1964 à La Havane). L'idéologie de ce mouvement était des plus confuses. Elle comportait des ingrédients anarchistes (comme le culte de la liberté, notamment de la liberté sexuelle ou de la consommation des drogues) mais aussi des ingrédients staliniens (Cuba et l'Albanie étaient considérées comme des exemples). Les moyens d'action empruntaient grandement à ceux des anarchistes, comme la dérision et la provocation. Ainsi, un des premiers faits d'armes du tandem Hoffman-Rubin fut de balancer des paquets de faux billets de banque à la Bourse de New York provoquant une ruée des occupants pour s'en emparer. De même, lors de la Convention démocrate de l'été 68, il présenta la candidature du cochon Pigasus à la présidence des États-Unis (3) en même temps qu'il préparait un affrontement violent avec la police.

Pour résumer les caractéristiques principales des mouvements de révolte qui ont agité les États-Unis au cours des années 1960, on peut dire qu'il se présentait comme une protestation à la fois contre la guerre du Vietnam, contre la discrimination raciale, contre l'inégalité entre les sexes et contre la morale et les valeurs traditionnelles de l'Amérique. Comme la plupart de ses protagonistes le constataient (en s'affichant comme des enfants de bourgeois révoltés), ce mouvement n'avait aucunement un caractère de classe prolétarien. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard, si un de ses "théoriciens", le professeur de philosophie Herbert Marcuse, considérait que la classe ouvrière avait été "intégrée" et que les forces de la révolution contre le capitalisme étaient à trouver parmi d'autres secteurs comme les Noirs victimes de la discrimination, les paysans du Tiers-monde ou les intellectuels révoltés.

"... et dans les autre pays"

Dans la plupart des autres pays occidentaux, les mouvements qui ont agité le monde étudiant pendant les années 1960 présentent de fortes ressemblances avec celui des États-Unis : rejet de l'intervention américaine au Vietnam, révolte contre les autorités, notamment universitaires, contre l'autorité en général, contre la morale traditionnelle, notamment sexuelle. C'est une des raisons pour lesquelles les partis staliniens, symboles d'autoritarisme, n'ont eu aucun écho au sein de ces révoltes alors qu'elles étaient parties de la dénonciation de l'intervention américaine au Vietnam contre des forces militaires portées à bout de bras par le bloc soviétique et qu'elles se réclamaient de "l'anti-capitalisme". Il est vrai que l'image de l'URSS avait été grandement ternie par la répression de l'insurrection hongroise de 1956 et que le portrait du vieil apparatchik Brejnev ne faisait pas rêver. Les révoltés des années 1960 préféraient afficher dans leur chambre des posters de Ho Chi Minh (un autre vieil apparatchik, mais plus présentable et "héroïque") et plus encore le visage romantique de Che Guevara (un autre membre d'un parti stalinien mais "exotique") ou de Angela Davis (elle aussi membre du parti stalinien américain, mais qui avait le double avantage d'être noire et femme, avec de plus un beau "look" comme Che Guevara).

Cette composante à la fois anti-guerre du Vietnam et "libertaire" s'est notamment retrouvée en Allemagne. Le principal porte-parole du mouvement, Rudi Dutschke, venait de la RDA sous tutelle soviétique où, très jeune, il s'était opposé à la répression de l'insurrection hongroise. Ses références idéologiques étaient le "jeune Marx" de même que l'École de Francfort (dont faisait partie Marcuse), et aussi l'Internationale situationniste (dont se revendique le groupe Subversive Aktion dont il fonde la section berlinoise en 1962). L'"opposition extra-parlementaire" allemande est, à la veille des événements de mai 68 en France, la principale référence en Europe de la révolte étudiante.

Les thèmes et revendications du mouvement étudiant qui s'est développé en France en 1968 sont fondamentalement les mêmes. Cela dit, au cours du mouvement, les références à la guerre du Vietnam sont largement éclipsées par toute une série de slogans d'inspiration situationniste ou anarchiste (voire surréaliste) qui couvrent les murs ("Les murs ont la parole").

Les thèmes anarchistes se retrouvent notamment dans :

- La passion de la destruction est une joie créatrice (Bakounine)

- Il est interdit d'interdire

- La liberté est le crime qui contient tous les crimes

- Élections pièges à cons

- L'insolence est la nouvelle arme révolutionnaire

Ils sont complétés par ceux qui appellent à la "révolution sexuelle" :

- Aimez-vous les uns sur les autres

- Déboutonnez votre cerveau aussi souvent que votre braguette

- Plus je fais l'amour, plus j'ai envie de faire la révolution. Plus je fais la révolution, plus j'ai envie de faire l'amour

La référence situationniste se retrouve dans :

- À bas la société de consommation

- À bas la société spectaculaire marchande

- Abolition de l'aliénation

- Ne travaillez jamais !

- Je prends mes désirs pour la réalité car je crois en la réalité de mes désirs

- Nous ne voulons pas d'un monde où la certitude de ne pas mourir de faim s'échange contre le risque de mourir d'ennui

- L'ennui est contre-révolutionnaire

- Vivre sans temps mort et jouir sans entrave

- Soyons réalistes, demandons l'impossible

Par ailleurs le thème du conflit de générations (qui était très répandu aux États-Unis et en Allemagne) se retrouve (y compris sous des formes assez odieuses) dans :

- Cours camarade, le vieux monde est derrière toi

- Les jeunes font l'amour, les vieux font des gestes obscènes

De même, dans la France de mai 1968 qui se couvre régulièrement de barricades, il ne faut pas s'étonner de trouver :

- La barricade ferme la rue mais ouvre la voie

- L'aboutissement de toute pensée, c'est le pavé dans ta gueule, CRS.

- Sous les pavés, la plage.

Enfin, la grande confusion de la pensée qui accompagne cette période est bien résumée par ces deux slogans :

- Il n'est pas de pensées révolutionnaires. Il n'est que des actes révolutionnaires

- J'ai quelque chose à dire, mais je ne sais pas quoi.

"La signification des mouvements étudiants des années 1960"

Ces slogans, comme la plupart de ceux qui ont été mis en avant dans les autres pays, indiquent clairement que le mouvement étudiant des années 1960 n'avait nulle nature de classe prolétarienne, même si en plusieurs endroits (comme en Italie et évidemment en France) il y eut la volonté d'établir un pont avec les luttes de la classe ouvrière. Cette démarche manifestait d'ailleurs une certaine condescendance envers cette dernière mêlée d'une fascination envers cet être mythique, l'ouvrier en bleu de chauffe, héros des lectures mal digérées des classiques du marxisme.

Fondamentalement, le mouvement des étudiants des années 1960 était de nature petite-bourgeoise, un des aspects les plus clairs en étant, outre son caractère anarchisant, la volonté de "changer la vie tout de suite".

Le radicalisme "révolutionnaire" de l'avant-garde de ce mouvement, y compris le culte de la violence promu par certains de ses secteurs, est aussi une autre illustration de sa nature petite-bourgeoise. En fait, les préoccupations "révolutionnaires" des étudiants de 1968 étaient incontestablement sincères mais elles étaient fortement marquées par le tiers-mondisme (guévarisme ou maoïsme) sinon par l'anti-fascisme. Elles avaient une vision romantique de la révolution sans la moindre idée du processus réel de développement du mouvement de la classe ouvrière qui y conduit. En France, pour les étudiants qui se croyaient "révolutionnaires", le mouvement de Mai 68 était déjà la Révolution, et les barricades qui se dressaient jour après jour étaient présentées comme les héritières de celles de 1848 et de la Commune de 1871.

Une des composantes du mouvement étudiant des années 1960 est le "conflit de générations", le clivage très important entre la nouvelle génération et celle de ses parents à laquelle étaient adressées de multiples critiques. En particulier, du fait que cette génération avait travaillé dur pour se sortir de la situation de misère, voire de famine, résultant de la Seconde Guerre mondiale, il lui était reproché de ne se préoccuper que de bien-être matériel. D'où le succès des fantaisies sur la "société de consommation" et de slogans tels "Ne travaillez jamais !". Fille d'une génération qui avait subi de plein fouet la contre-révolution, la jeunesse des années 1960 lui reprochait son conformisme et sa soumission aux exigences du capitalisme. Réciproquement, beaucoup de parents ne comprenaient pas et avaient du mal à accepter que leurs enfants traitent avec mépris les sacrifices qu'ils avaient consentis pour leur donner une situation économique meilleure que la leur.

Cependant, il existait une réelle détermination économique à la révolte étudiante des années 1960. A l'époque, il n'y avait pas de menace majeure de chômage ou de précarité à la fin des études comme c'est le cas aujourd'hui. L'inquiétude principale qui affectait alors la jeunesse estudiantine était de ne pouvoir désormais accéder au même statut social que celui dont avait bénéficié la génération précédente de diplômés de l'université. En fait, la génération de 1968 était la première à être confrontée avec une certaine brutalité au phénomène de "prolétarisation des cadres" abondamment étudiée par les sociologues de l'époque. Ce phénomène avait débuté quelques années auparavant, avant même que la crise ouverte ne vienne se manifester, à la suite d'une augmentation très sensible du nombre d'étudiants dans les universités. Cette augmentation résultait des besoins de l'économie mais aussi de la volonté et de la possibilité de la génération de leurs parents de pourvoir ses enfants d'une situation économique et sociale supérieure à la sienne. C'est entre autres cette "massification" de la population étudiante qui avait provoqué le malaise grandissant résultant de la permanence au sein de l'Université de structures et de pratiques héritées d'un temps où seule une élite pouvait la fréquenter, notamment un fort autoritarisme.

Cependant, si le mouvement étudiant qui débute en 1964 se développe dans une période de "prospérité" pour le capitalisme", il n'en n'est plus de même à partir de 1967 où la situation économique de celui-ci a commencé à se dégrader sérieusement renforçant le malaise de la jeunesse étudiante. C'est une des raisons qui permet de comprendre pourquoi ce mouvement a connu en 1968 son apogée. C'est ce qui permet d'expliquer pourquoi, en mai 1968, le mouvement de la classe ouvrière a pris le relais.

C'est ce que nous verrons dans le prochain article.

Fabienne - Courant Communiste International

1) Lors de la guerre du Vietnam, les médias américains n'étaient pas assujettis aux autorités militaires. C'est une "erreur" que n'a pas renouvelée le gouvernement américain lors des guerres contre l'Irak en 1991 et à partir de 2003.

2) Un tel phénomène n'eut pas lieu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : les soldats américains avaient également vécu l'enfer, notamment ceux qui ont débarqué en Normandie en 1944, mais leurs sacrifices furent acceptés par la presque totalité d'entre eux et par la population grâce à l'exposition par les autorités et les médias de la barbarie du régime nazi.

3) Au début du xxe siècle, des anarchistes français avaient présenté un âne aux élections législatives.

CCI
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