La pizza comme outil de mobilisation politique ? C'est l'idée incroyable de Dirce Morelli. Cette activiste élevée au biberon de la gauche italienne a conjugué sa passion pour la gastronomie et sa quête de justice sociale pour créer Tibet Libre, une pizzeria bio, équitable et végétarienne à saveur de solidarité dans La Petite-Italie.

Carole le Hirez
Journal de Rosemont / Petite-Patrie
Crédit Photo:Éric Carrière

Arrivé au 57, rue Beaubien Est, on hésite. Sommes-nous devant un restaurant ou devant le Q.G. d'un groupe militant ? Le nom sur la vitrine, Tibet Libre, coopérative de solidarité, laisse songeur. Cependant, une fois la porte d'entrée poussée, aucun doute n'est plus permis. Les effluves de cuisine italienne nous enveloppent et nous incitent à prendre place à l'une des petites tables de ce local improbable, qui tient à la fois de la pizzeria, du bistro, du traiteur, de la salle de réunion et du lieu de diffusion culturelle.

Le choc des images
Mais que vient faire le Tibet dans ce sympathique patchwork? Dirce Morelli, la créatrice et âme de ces lieux, part d'un grand éclat de rire. «L'idée est née sur un coup de tête. Nous étions un petit groupe à voir vu le film Ce qui reste de nous, d'Hugo Latulippe et François Prévost, sur le peuple tibétain. Nous n'avions pas le goût que cela reste lettre morte. Ce n'était pas assez de continuer à en parler dans les salons entre amis.»

Encore sous le choc des images, la peintre-sculptrice décide de créer avec un ami en recherche d'emploi un restaurant engagé où l'on pourrait déguster de la bonne bouffe à base de produits naturels, biologiques et équitables, mais qui serait aussi un lieu d'information sur les enjeux d'actualité, un lieu de sensibilisation au sort du peuple tibétain et d'autres peuples sur la planète.

De Boston à New York
Côté gastronomie, cette immigrante débarquée à l'âge de 28 ans au Québec a retenu le meilleur de la cuisine italienne : simplicité, goût et qualité des produits. «Je n'étais pas capable de manger les pizzas du commerce. J'avais le goût de retrouver les saveurs de la cuisine de ma grand-mère», raconte-t-elle.

La coopérative s'approvisionne le plus possible en produits bios et privilégie des producteurs locaux. Les légumes sont achetés en grande quantité au Marché central. La farine qui entre dans la composition de la pâte à pizza provient de Moulin Abénakis, une entreprise qui privilégie les méthodes traditionnelles. Actuellement, Dirce est à la recherche d'un fromager qui pourrait lui fournir de la mozzarella biologique.

Née il y a trois ans, la coopérative s'est déjà taillé une réputation hors des frontières. On vient jusque de Boston et New York pour y déguster une des 19 pizzas au menu. L'adresse fait partie du réseau restreint des restaurants végétaliens. Elle circule, notamment grâce à Internet, au sein du cercle des adeptes de ce style d'alimentation qui rejette tout produit d'origine animale.

Changer le monde autour d'une table
Côté engagement social, la coopérative s'active aussi à tisser des liens à l'intérieur du quartier, notamment en offrant des emplois de qualité pour des personnes en difficulté, comme cette immigrante tchadienne, devenue experte dans la préparation de la pizza.

Le restaurant s'est inspiré du concept de l'agriculture soutenue par la communauté - les célèbres paniers bios - pour proposer des paniers-repas contenant divers produits préparés : plat traditionnel italien, sauce, de la pâte à pizza, du pesto, etc. Une formule qui permet à la coopérative de stabiliser ses revenus.

Avec Tibet Libre, l'idée folle de changer le monde autour d'une table devient possible. Françoise David, célèbre mondialiste à la tête de Québec Solidaire, est venue récemment animer un souper débat. En avril, on attend Hugo Latulippe. Le cinéaste auteur de Bacon, le film présentera bientôt sur Canal D Manifestes en série, une série documentaire qui dresse un bilan du Québec actuel autour d'une dizaine de grands enjeux comme l'environnement, la santé, l’éducation, l’alimentation.

«L'idée, c'est de montrer que l'on peut mettre en pratique les valeurs auxquelles on adhère», déclare Dirce Morelli. Une démarche qui fait son chemin. Bientôt un deuxième Tibet Libre verra le jour dans St-Michel, au coin de Jarry et de la 2e Avenue. Comme quoi la pizza comme arme politico-sociale, ça marche !