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Christine Ockrent, les institutions françaises et l’apparence d’impartialité et d’indépendanceLuis GM, Samedi, Février 23, 2008 - 17:56 (Analyses | Democratie | Droits / Rights / Derecho | Globalisation | Media | Media: Liberte/Freedom | Varia) Nicolas Sarkozy a nommé, d’après les médias français, la journaliste Christine Ockrent à la direction générale d’un projet gouvernemental très controversé. Il s’agit de France Monde, holding devant former un grand pôle de l’audiovisuel francophone international. Théoriquement, il s’agirait d’un grand média public. Mais, outre les menaces évidentes sur l’emploi de nombreux personnels, son indépendance et son impartialité sont d’ores et déjà mises en cause. L’affaire en question est certainement importante. Mais peut-on raisonnablement ne pas voir dans cet incident le reflet d’une évolution institutionnelle plus globale et profonde, au détriment de l’ensemble des droits de la grande majorité des citoyens ? Dès mai 2007, les vacances post-électorales de Nicolas Sarkozy, qui venait d’être élu président de la République Française, avaient fait le tour des médias. Interrogé sur le coût de ce voyage et l’origine de son financement, Nicolas Sarkozy avait répondu : « Je n'ai pas l'intention de me cacher, je n'ai pas l'intention de mentir, je n'ai pas l'intention de m'excuser. Je ne vois pas où il y a de la polémique ». Pendant que l’alors ministre Jean-François Copé déclarait : « On peut quand même comprendre que Nicolas Sarkozy, après six mois de campagne hyper intense, ait pris deux jours de vacances. Il n'est pas encore en fonction. Deuxièmement, ce ne sont évidemment pas des vacances aux frais de la République ». De son côté, l’homme d’affaires Vincent Bolloré ajoutait : « Ce n'est bien sûr ni la République, ni le groupe Bolloré, mais Vincent Bolloré à titre personnel qui a invité M. Sarkozy et sa famille ». A propos de Bolloré, Sarkozy déclarait à son tour : « Cela fait vingt ans qu'il m'invite et vingt ans que je refuse. Vincent Bolloré est un des grands industriels français », ou encore : « Il m'a invité sur son bateau, il aurait pu m'inviter dans une maison, je ne vois pas où est la polémique". Tel est le tableau qui, à en juger par la suite, semble avoir inauguré un véritable style de vacances présidentielles. Un « style » par rapport auquel il paraît inévitable de se poser la question de l’apparence d’impartialité et d’indépendance de la Présidence de la République. Mais s’agit-il d’une pratique isolée ? A présent, un autre « débat isolé » vient d’éclater autour des nominations à la tête de France Monde. Par exemple, non seulement le conjoint de Christine Ockrent est le ministre des Affaires Etrangères en exercice Bernard Kouchner, mais la Société des Journalistes (SDJ) de la chaîne de télévision France 3 reproche à Ockrent d’utiliser sa notoriété pour collaborer avec des organismes privés, pratique jugée incompatible avec la charte professionnelle de France Télévisions. D’après la SDJ de France 3, Christine Ockrent a notamment animé la soirée de lancement de Microsoft Windows Vista, présidé un jury des "Trophées de l'intégration paysagère" des antennes relais SFR, animé à Bordeaux un Forum organisé par la Caisse des dépôts, ou animé, au mois d'août, l'université d'été du MEDEF. Ce qui lui aurait déjà valu un rappel à l'ordre de la direction de l'information de France 3 . Comme dans le cas des vacances de Nicolas Sarkozy, le débat se rattache clairement à la question de l'apparence d'impartialité et d'indépendance, qui avait été jusqu’à présent un ingrédient important de la façade du tissu institutionnel dans le système économique, politique et social en place. En tout cas, devant ce que l’on appelle pudiquement le « grand public ». On dirait qu’à présent ces précautions externes destinées à rassurer les citoyens ne sont plus jugées nécessaires. Même au sommet et dans les alentours de la sphère gouvernementale. Signe, sans doute, d’une certaine perception de l’évolution des rapports des forces dans la société. Devant la polémique déclenchée par sa nomination, Christine Ockrent a notamment déclaré : "Le fait d'être périodiquement ramenée à ce statut de 'femme de' en niant son identité, ses compétences, son parcours professionnel, franchement, je trouve ça injuste et humiliant..." (fin de citation) Mais s'agit-il vraiment, en l'espèce, d'une question de sexisme ? La mise en cause de la nomination de Christine Ockrent à la tête de France Monde repose sur une simple considération : il s’agit d'un grand média public censé être indépendant des instances de gouvernement et impartial par rapport à des affaires comportant d'éventuelles mises en cause de la politique de ce gouvernement. On peut difficilement nier qu’elle relève de la question de l'apparence d'impartialité. Or, ce principe est reconnu en théorie par les institutions françaises, puisque, dans le cas des juges de l'ordre judiciaire, le Code de l'Organisation Judiciaire prévoit des dispositions explicites en la matière. Vu la vocation de sa nouvelle fonction, et même si le journalisme et la justice sont deux professions différentes, la situation de Christine Ockrent peut apparaître analogue à celle visée pour les juges par l'article L. 111-6 du Code de l'Organisation Judiciaire français : « Sous réserve de dispositions particulières à certaines juridictions, la récusation d'un juge peut être demandée : 1º Si lui-même ou son conjoint a un intérêt personnel à la contestation ; Les magistrats du ministère public, partie jointe, peuvent être récusés dans les mêmes cas » (fin de citation) C'est sans doute dans le domaine de la justice, que la question de l'apparence d'impartialité et d'indépendance des institutions a été le plus souvent évoquée. Les décisions publiques des plus hautes juridictions contiennent des exposés de principe très clairs. Dans l'arrêt SACILOR-LORMINES de novembre 2006 brièvement commenté dans ma note du 30 décembre, la Cour Européenne des Droits de l'Homme ( CEDH ) écrit notamment : « La condition d'impartialité revêt deux aspects. Il faut d'abord que le tribunal ne manifeste subjectivement aucun parti pris ni préjugé personnel. Ensuite, il doit être objectivement impartial, c'est-à-dire offrir des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime. Dans le cadre de la démarche objective, il s'agit de se demander si, indépendamment de la conduite personnelle des juges, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l'impartialité de ces derniers. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l'importance. Il y va de la confiance que les tribunaux d'une société démocratique se doivent d'inspirer aux justiciables, à commencer par les parties à la procédure » (fin de citation) Ce principe formel est également reconnu ailleurs que sur le continent européen. C'est ainsi que la Cour Suprême du Canada avait déjà écrit en 1992 dans l'arrêt Newfoundland Telephone and Co : « L'obligation d'agir équitablement comprend celle d'assurer aux parties l'équité procédurale, qui ne peut tout simplement pas exister s'il y a partialité de la part d'un décideur. Il est évidemment impossible de déterminer exactement l'état d'esprit d'une personne qui a rendu une décision d'une commission administrative. C'est pourquoi les cours de justice ont adopté le point de vue que l’apparence d’impartialité constitue en soi un élément essentiel de l'équité procédurale » (fin de citation) Précisément, l'arrêt SACILOR-LORMINES de la CEDH a comporté une condamnation de l'Etat français, au motif suivant : « ... la requérante fait valoir que la nomination de l'un des conseillers d'Etat, qui avait siégé lors de la séance du 26 avril 2000 , au poste de secrétaire général du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (...) était de nature à jeter un doute sérieux sur l'indépendance du Conseil d'Etat ayant prononcé l'arrêt du 19 mai 2000 (...). La Cour observe que la nomination du conseiller d'Etat en question est postérieure à la délibération du Conseil d'Etat du 26 avril 2000 au cours de laquelle celui-ci a siégé. Toutefois, elle note que le Gouvernement indique que les pourparlers concernant cette nomination à un poste nouvellement créé auraient commencé au mois d'avril 2000, soit probablement au moins un certain temps avant la délibération précitée compte tenu de l'importance de la fonction à pourvoir. Elle juge vraisemblable que ces pourparlers se sont poursuivis jusqu'aux quelques jours précédant la signature du décret de nomination du 26 mai 2000. Elle est d'avis que la nomination litigieuse est de nature à faire douter de l'impartialité du Conseil d'Etat. En effet, au cours du délibéré, voire peut-être bien avant, un des membres de la formation de jugement était pressenti pour exercer des fonctions importantes au sein du ministère opposé à la requérante, ledit ministère étant son adversaire dans de nombreux et importants litiges (...). La Cour estime ainsi que ce membre ne peut apparaître comme quelqu'un de neutre vis-à-vis de la requérante, compte tenu de l'absence de garanties contre une éventuelle influence extérieure du fait de sa nomination envisagée au moment de l'accomplissement de la fonction de juger en avril 2000. La requérante pouvait, selon la Cour, nourrir a posteriori des doutes objectivement fondés quant à l'indépendance et l'impartialité de la formation de jugement à laquelle appartenait l'intéressé. Elle considère dès lors qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention» (fin de citation) Un argumentaire conforme à ce que l’on appelle en droit la « théorie des apparences », soulignée notamment avec un arrêt britannique (Rex v. Sussex Justices, Ex parte McCarthy) qui fut l’occasion de cette affirmation de principe : « une longue suite d'affaires montre qu'il n'est pas seulement important, mais qu'il est essentiel que non seulement justice soit rendue, mais que justice paraisse manifestement et indubitablement être rendue ». Sauf que cette déclaration fut faite en 1923, dans une période de forts mouvements sociaux où le système en place avait des raisons de s’efforcer de paraître équitable. Mais en novembre 2006, le juge français ad hoc de la CEDH, l’ancien secrétaire général du Gouvernement, puis vice-président du Conseil d’Etat, Marceau Long, a signé une opinion dissidente contre l’arrêt SACILOR-LORMINES, dont pourtant les conclusions à propos du fonctionnement du Conseil d’Etat français ont été très modérées par rapport à la plaidoirie de l’avocat de la partie requérante. Signe d’une réticence, déjà exprimée auparavant au cours des années récentes, de la part de la magistrature française envers un certain nombre de conséquences du principe de l’apparence d’impartialité. On remarquera également cet autre extrait de l’arrêt Newfounland : « Le critère à appliquer pour assurer l'équité consiste à se demander si un observateur relativement bien renseigné percevrait de la partialité chez un décideur ». Mais, précisément, qui a les moyens d’être « bien renseigné » ? En général, pas le « citoyen lambda » qui, de surcroît, ne disposera pas de moyens financiers pour faire face à un long litige avec des avocats spécialisés. Comme par hasard, les arrêts SACILOR-LORMINES et Newfoundland correspondent à des recours introduits par des sociétés. Les droits théoriques de la personne et du citoyen deviendront-ils de fait les droits des industriels, des financiers, de leurs exécutants haut placés et des lobbistes divers ? On peut donc raisonnablement craindre que l'affaire de la nomination de Christine Ockrent à la direction générale de France Monde ne constitue en réalité un symptôme médiatisé de quelque chose de plus profond, et de plus grave. Lorsque le système commence à se passer ouvertement des apparences, c’est que la situation risque d’empirer encore très rapidement. « Christine Ockrent, l’audiovisuel public et l’apparence d’impartialité », (I) et (II). et d’autres articles en préparation. Luis Gonzalez-Mestres
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