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Le démantèlement de la musique contemporaine

Anonyme, Mardi, Janvier 15, 2008 - 00:45

Frans Ben Callado

Au Québec comme à échelle globale, on est en train de passer sous silence un démantèlement très bien organisé des arts en général et de la musique contemporaine en particulier. En effet, les signes de la crise ne sont que rarement visibles dès l’extérieur de ce milieu assez étanche. En ce moment, il est très difficile de dire combien de musicien-ne-s professionnel-le-s ont été affecté-e-s par des coupures de subventions ou par d’autres problèmes liés à cette crise, étant donné que le milieu lui-même ne contribue en rien à bâtir une solidarité apte à faire circuler des informations permettant de déterminer l’ampleur réelle des dommages.

La hiérarchie de la culture aujourd’hui est grandement influencée par son statut pédagogique, étant surtout barricadée à l’intérieur des institutions d’enseignement supérieur, mais est aussi influencée par la non-intervention des secteurs public comme privé à toutes les échelles, et aussi par cette compétitivité malsaine que le sous-financement a réussi à implanter dans notre culture souvent déjà mesquine par nature. Il est important de réévaluer les points stratégiques de la culture aujourd’hui, et d’accepter collectivement que l’extrême institutionnalisation qu’a été requise par la mise en danger de notre milieu, ne fait qu’accélérer les perspectives d’extinction. Aussi, presque toutes nos institutions (avec de notables exceptions) ont des problèmes très sérieux liés au sous-financement ce qui leur empêche de garantir la survie de l’art en dedans de leurs murs.

Même si le budget du C.A.L.Q. a été augmenté en 2007, ce coup de pouce s’avère largement insuffisant, et le problème semble résider plutôt dans la distribution de ces sommes déjà trop courtes. Les professionnel-le-s de la musique contemporaine se divisent généralement en trois groupes, bien que beaucoup pratiquent plusieurs de ces métiers à la fois, souvent par nécessité. Ces groupes sont donc : les compositeurs, les interprètes qui jouent leurs œuvres, et enfin les technicien-ne-s et fonctionnaires qui assurent la solidité des institutions qu’ils et elles gèrent. On remarque une claire préférence en faveur de ces derniers au moment d’octroyer les subventions, au détriment évident des créateurs.

De surcroît, c’est bien la musique populaire qui nous donne aujourd’hui l’exemple : elle se fait subventionner parce qu’elle vend. Elle vend souvent parce qu’elle se fait aider par les média : on prête du temps d’antenne, on assiste aux lancements, on cible le public, en d’autres mots on fait une partie de leur travail pour eux. Ceci n’est pas le cas pour la musique contemporaine. L’argent étant rare à la base, le fait qu’on doive partager le même programme de subventions est en soi injuste : la musique populaire part avec une longueur d’avance. Pourquoi deux univers si différents doivent être concurrentiels?

Malheureusement, l’exemple du marketing n’est pas bon pour la musique contemporaine. On sait que la S.M.C.Q. a eu plusieurs changements d’image récemment, sans doute un effort pour attirer l’attention, mais il est évident que ce n’est pas comparable à la vente d’aspirateurs, par exemple, ou d’autres valeurs matérielles. La musique est différente : la cinquième de Beethoven ne peut pas être quantifiée comme une chaise ou un aspirateur. On réalise qu’on ne peut pas vendre un produit, comme c’est souvent le cas dans le marché populaire.

Ces avantages de la musique populaire en notre société lui en attirent des nouveaux, notamment au niveau de la couverture médiatique, mais aussi en matière d’aide financière, représentation culturelle, division de taches parmi des équipes spécialisés, et en toute sorte de ressources. Le seul problème semble être le manque d’idées nouvelles qui sont promues. De plus en plus souvent, plutôt que de chercher les produits plus originaux et solides de ce panorama populaire, on a recours à la fabrication de talent synthétique, et s’est installée toute une pseudo-culture de remplacement qui asphyxie par son omniprésence non seulement le peu de culture autonome que cette nation a réussi à avoir depuis sa fondation, mais aussi les véritables créateurs et créatrices qui se résignent à exercer leur métier dans l’ombre.

Le climat général de la profession en est proche du nihilisme, par ces dates, autant dans les aînés (souvent professeurs) que les plus jeunes, et ces derniers font preuve sinon d’un grand courage, du moins d’une énorme abnégation à vouloir encore persévérer lorsque l’humain moyen a toujours peur de la musique contemporaine. Le nombre de migrations d’élèves envers d’autres matières, d’abandons d’études, de problèmes bureaucratiques et de crises psychologiques, est aujourd’hui alarmant dans la plupart des institutions. Un grand nombre de créateurs fait défection vers la pop, notamment à cause de l’irréalisme persistant des programmes d’études. Avec beaucoup d’institutions musicales en dessous du seuil critique d’élèves et de professeurs (et les piètres conditions de ces derniers), cet irréalisme pédagogique est un luxe que beaucoup d’écoles ne peuvent plus se permettre.

Il s’agit donc non seulement que les gouvernements fédéral et provincial veuillent comprendre l’apport indispensable des compositeurs à la culture humaine et au rayonnement local et y contribuer, mais que le milieu lui-même, qui est largement responsable de sa propre organisation, consente à exercer une pression plus unanime et solidaire en vue d’un meilleur financement des arts. Les gouvernements de la planète se lavent largement les mains en matière d’investissements culturels, ayant recours aux populaires partenariats public-privé pour s’assurer qu’un secteur différent couvre leur engagement. Malheureusement, ces mécènes et samaritains se font de plus en plus rares, et le peu d’attention que les média donnent à la musique contemporaine en général n’améliore pas du tout la situation. Ceci est une étape dans la marchandisation absolue de tous les aspects de la vie, tendance qui nous engouffre à présent. Or quand une société laisse que l’art lui-même devienne synonyme de marchandise, et le délaisse sans l’encourager ni le superviser le moindrement, cette société est condamnée à vivre sans art.

Il est très important de rappeler que la plupart des jeunes artistes professionnels restent éternellement aux études uniquement pour pouvoir continuer à payer leur loyer à travers des prêts et bourses qui aussi, ont été sauvagement coupés. Le milieu ne donne aucune garantie d’emploi, et la création devient largement un bénévolat en but d’espérer pouvoir faire avancer son œuvre, et ce, souvent à l’étranger. Il est malheureux que personne ne veuille faire carrière chez nous : ils et elles sont beaucoup trop épuisés par cette lutte vers la reconnaissance sociale et financière, et rencontrent des opportunités ailleurs. Ce ne sont pas de bonnes nouvelles pour le rayonnement culturel à l’étranger, bien au contraire : faudrait-il se rappeler la dernière entrevue accordée par Riopelle?

L’engagement des média envers notre métier est tout à fait indispensable pour notre survie. Le fait qu’ils continuent à nous tourner le dos est symptomatique d’une forme grave de déni culturel qui ne peut avoir que des conséquences néfastes à long terme. Dans un temps où l’enrichissement culturel est crucial, et dans une nation où la diversité culturelle est heureusement perçue comme le bien qu’elle représente, il n’en revient qu’aux média d’exercer leur mandat de façon intelligente. On ne dispose que des journalistes pour s’assurer que le message se rende au grand public, et que l’utilité de l’art en société coure une chance d’être restaurée.

Faudrait-il considérer que le statut d’artiste comme un créateur indispensable à la société disparaît à grands pas, et si oui, pourquoi témoigne-t-on d’une telle indifférence envers le cas? Autrement, faut-il recourir à sa défense? Et par quels moyens? Est-ce que ces moyens sont possibles devant le peu de zèle déployé par le milieu? Est-ce que l’Histoire du Québec devra se répéter, et qu’on devra assister une fois de plus au bannissement social d’une poignée d’artistes honnêtes pour ne pas compromettre le silence général? Si c’est le cas, oubliez nos noms pour en dorer ceux de vos rues et de vos écoles du futur : on ne reviendra jamais.



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