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"Sicko": le capitalisme, un système malade et indécentEric Smith, Lundi, Juillet 9, 2007 - 10:21
Arsenal-express
Le nouveau film de Michael Moore, Sicko ("Malade" en version sous-titrée), vient de prendre l'affiche le 29 juin dernier, après des semaines pendant lesquelles le fameux réalisateur a su faire monter les attentes. Pendant que la présentation de son long métrage au Festival de Cannes le plaçait d'emblée sous les projecteurs, l'administration Bush et la droite conservatrice faisaient des pieds et des mains pour retarder, voire empêcher la sortie du film sous prétexte qu'en tournant certaines scènes à Cuba, Moore aurait contrevenu aux lois qui restreignent les voyages dans cet "État voyou" (selon les normes décrétées par l'impérialisme US). Après avoir traité du phénomène de la violence (avec Bowling for Columbine) et des attentats du 11 septembre 2001 (Farenheit 9/11), le controversé réalisateur s'attaque maintenant à la question des soins de santé aux États-Unis, qu'il aborde toutefois de manière assez universelle en évoquant la contradiction, évidente et révoltante tout à la fois, entre le droit du peuple à la santé et le caractère privé de la propriété et de la gestion des services de santé dans ce pays qui se targue pourtant d'être le plus avancé au monde. Michael Moore aurait pu s'attarder au problème des quelque 50 millions de citoyennes et citoyens qui ne bénéficient d'aucune couverture médicale, mais ce phénomène est assez connu; il a donc choisi de concentrer le tir sur les problèmes que rencontrent les autres, qui "bénéficient" (sic) d'une assurance privée. Il trouve quand même le moyen d'évoquer, au passage, la dure réalité de ceux et celles qui se trouvent au bas de l'échelle aux États-Unis, en montrant des images particulièrement révoltantes, tournées par une caméra de surveillance, d'une femme assez gravement blessée et visiblement fort mal en point et qui est littéralement jetée à la rue par un chauffeur de taxi, à qui les responsables d'un grand hôpital universitaire privé ont offert quelques dollars pour qu'il les "débarrasse" de cette patiente non désirée, parce que non assurée... Le film présente des témoignages tout aussi choquants de victimes du système de santé privé aux États-Unis -- des citoyenNEs qui jouissent en principe d'une couverture médicale adéquate de la part de l'une ou l'autre des grandes compagnies d'assurance qui dominent ce lucratif marché, mais à qui l'accès aux soins de santé a été refusé en raison justement de la rapacité de ces mêmes compagnies. Lorsqu'il a décidé de consacrer son prochain film à ce problème, Michael Moore a utilisé son immense notoriété pour lancer un appel, sur son site Web personnel, pour que les gens lui envoient le récit de leurs "histoires d'horreur" avec les compagnies d'assurance. En moins de 24 heures, il a ainsi reçu pas moins de 3 700 courriels... Une semaine plus tard, ce sont 25 000 personnes qui l'avaient contacté pour lui raconter leurs histoires. C'est à partir de ces "matériaux vivants" (dont certains sont toutefois décédés, entre-temps...) qu'il a constitué la trame de son film. C'est ainsi que le cinéaste nous présente le témoignage d'un homme ayant perdu deux doigts suite à un accident, qui a dû choisir lequel des deux il allait se faire greffer... L'assureur ne couvrant pas tous les frais, la victime fut contrainte de payer de sa poche pour "récupérer" ses doigts: 60 000$ pour le majeur, 12 000$ pour l'annulaire! Tout bien considéré, l'homme a dû se résigner à choisir l'annulaire... Michael Moore nous présente aussi le cas d'un père de famille dans la jeune trentaine qui souffrait d'un cancer du rein et qui est décédé après que son assureur eut refusé d'autoriser les traitements pourtant recommandés par les médecins spécialistes qui jugeaient ses chances de survie élevées. Les assureurs semblent d'ailleurs particulièrement hostiles aux cas de jeunes malades qui souffrent du cancer, comme en témoigne celui d'une jeune femme dans la vingtaine à qui les traitements furent également refusés parce que selon son assureur, "il n'est pas normal qu'une personne aussi jeune et apparemment en bonne santé souffre du cancer; alors vraisemblablement, l'assurée souffrait déjà d'une condition médicale préalable, qu'elle a cachée à l'assureur". Ces témoignages de victimes du système de santé privé aux États-Unis sont ensuite corroborés par une femme médecin et un enquêteur ayant été à l'emploi de compagnies d'assurance et qui ont pu constater, de l'intérieur, à quel point les impératifs de rentabilité l'emportent sur le bien-être des assuréEs, qui paient pourtant le gros prix en pensant obtenir une protection adéquate. La première raconte qu'en appliquant à la lettre les politiques de l'entreprise pour laquelle elle œuvrait, elle a refusé les demandes d'indemnisation de plusieurs milliers de clients pour des traitements qui, de sa propre opinion, étaient pourtant justifiés d'un point de vue médical. Celle qui dit avoir des centaines de morts sur la conscience explique que les médecins chargéEs d'analyser (et de rejeter, autant que possible) les demandes des assuréEs reçoivent des bonis de performance, selon les "économies" dont ils et elles réussissent à faire bénéficier leur employeur. Dans son cas, son "excellent rendement" lui a valu de gravir rapidement les échelons et d'obtenir un poste cadre "avec un salaire dans les six chiffres" -- sans compter les bonis. L'ex-enquêteur d'une autre compagnie d'assurance raconte quant à lui avoir été chargé de débusquer les soi-disant "fausses déclarations" faites par les assuréEs au moment où ils et elles ont souscrit leur police. C'est que les assureurs dressent en effet une liste de maladies -- voire de simples symptômes -- dont les porteurs se voient automatiquement excluEs de toute couverture. Dans son cas, la liste remplissait un document de 37 pages... L'idée, c'est que les compagnies d'assurance ne font jamais enquête lorsque quelqu'un souhaite acheter une couverture: elles sont alors bien trop contentes d'encaisser les primes que versent ces nouveaux clients. Ce n'est que lorsqu'unE assuréE tombe malade (ou subit un accident) et présente une demande d'indemnisation que l'enquêteur entre en scène, en utilisant des méthodes qui, selon l'ex-enquêteur qui témoigne dans le film de Moore, s'apparentent aux méthodes d'investigation en matière criminelle. En gros, il s'agit de tout mettre en œuvre pour dénicher un motif qui justifiera de ne pas indemniser la victime (ex.: celle-ci souffre d'un cancer du poumon mais elle n'a pas déclaré, quand elle s'est assuré, qu'elle avait déjà subi une fracture du tibia étant adolescente; or, selon les termes du contrat -- évidemment écrits en caractères si petits qu'ils sont pratiquement illisibles -- l'omission de déclarer quelque passé médical donne le droit à l'assureur de résilier unilatéralement le contrat; ainsi, l'assureur refusera de payer les traitements requis pour soigner l'assuréE!). Le pire, c'est qu'une fois que l'assuréE aura réussi à passer à travers les mailles du filet, il lui restera encore à obtenir l'approbation du médecin de l'assureur, qui jugera de la pertinence du traitement selon les "critères" (i.e. les économies à réaliser) évoqués plus haut... Non seulement Sicko illustre-t-il les profondes injustices causées par ce système, mais il pointe également la responsabilité du gouvernement des États-Unis, ainsi que les liens étroits qui unissent la "classe politique" de ce pays aux grands bonzes des compagnies d'assurance, aux propriétaires des hôpitaux et cliniques privéEs, de même qu'aux puissantes compagnies pharmaceutiques. Il présente ainsi le cas d'un membre du Congrès, Billy Tauzin, devenu P.D.G. de la firme PhRMA (pour un salaire annuel de deux millions de dollars!) après qu'il eut fait adopter un projet de loi favorisant les pharmaceutiques... Contrairement à l'habitude, Michael Moore ne fait pas que cibler les républicains et les membres de l'administration Bush: il "ramasse" également la démocrate Hilary Clinton, dont les velléités de réforme du système de santé états-unien, qu'elle affichait haut et fort lorsqu'elle est devenue première dame des États-Unis, se sont rapidement estompées au fur et à mesure où ses propres ambitions politiques ont pris le dessus (et où ses coffres électoraux se sont vus garnis par les généreuses contributions des compagnies d'assurance...). Moore plaide donc pour la mise en place d'un système de santé public, incluant une couverture universelle pour chaque citoyenNE des États-Unis. Son film présente dans l'ensemble un plaidoyer assez vibrant contre un système proprement inhumain, basé essentiellement sur la recherche du profit maximum. Le cinéaste s'appuie toutefois lourdement sur les systèmes de santé canadien, français, britannique et cubain, qu'il présente indistinctement comme ayant un caractère public et qu'il compare avantageusement au système américain. Selon sa méthode habituelle, que deux documentaristes canadienNEs ont récemment feint de "découvrir" mais qui a marqué de tout temps l'œuvre de Moore, le cinéaste fait preuve de raccourcis parfois grossiers pour convaincre de la justesse de son propos. Ses dénigreurs, de ce côté-ci de la frontière, n'ont d'ailleurs pas manqué de souligner le léger travestissement de la réalité auquel il se livre (sic) lorsqu'il laisse entendre "qu'on n'attend jamais plus de 45 minutes dans les urgences des hôpitaux canadiens"... Ceux et celles qui défendent la "méthode Moore" soutiennent que le cinéaste n'a pas le choix d'utiliser ces armes que sont la démagogie, le sensationnalisme et la provocation pour rejoindre un public habitué à ne réagir qu'à cela... On voudrait bien leur donner raison, mais le problème est plus profond. Malgré toutes ses bonnes intentions et l'impact souvent positif de son œuvre, Michael Moore reste englué dans ses illusions, qu'il charrie d'ailleurs abondamment, sur le "patriotisme" et les "valeurs américaines", et sur la possibilité d'en arriver à un "capitalisme bon et soucieux du bien commun". Il s'appuie, dans Sicko, sur les propos lénifiants de l'ex-député travailliste britannique Tony Benn, selon qui les problèmes causés par les "excès" du capitalisme seront résolus par "l'élargissement de la démocratie" ("si tous les pauvres se donnaient la peine d'aller voter, les riches ne pourraient plus gouverner comme bon leur semble"). Michael Moore a certes raison d'affirmer qu'un système de santé basé sur les intérêts privés ne pourra jamais assurer le droit à la santé pour l'ensemble de la population: il le démontre d'ailleurs avec éloquence. Mais il n'est pas dit, pour autant, que le caractère public du système de santé en soit garant lui non plus. Dans le cadre du capitalisme, la propriété publique reste soumise aux contraintes du marché et de la rentabilité du capital. Ce n'est donc pas tant le caractère public ou privé du système de santé qui sera, à cet égard, le plus déterminant, mais de savoir à quel type d'État on a affaire: un État bourgeois, qui vise à pérenniser la dictature du capital, ou un État prolétarien qui s'appuie en tout premier lieu sur le principe de "servir le peuple", comme ce fut le cas en Chine à l'époque de Mao (nous reviendrons d'ailleurs sur la question de la santé en Chine dans notre prochain numéro). Néanmoins, on peut croire que Sicko fera œuvre utile, ne serait-ce que parce qu'il contribuera à éveiller le sentiment de révolte qui anime bien des gens, mais qui demeure trop souvent endormi. Car à moins d'être totalement blasé ou gagné aux "vertus" du capitalisme, quiconque verra ce film ne pourra faire autrement qu'en sortir en ayant le goût de se battre encore plus contre le capitalisme, et pour un système dans lequel l'être humain sera désormais considéré pour ce qu'il est, et non plus pour ce qu'il a dans les poches! -- Article paru dans Arsenal-express, nº 146, le 8 juillet 2007.
Site Web du Parti communiste révolutionnaire
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