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Critique de révolutionnaires d'extrême gauche - les classes socialesSteve Simard, Lundi, Juillet 2, 2007 - 15:48 (Analyses | Economy | Politiques & classes sociales | Resistance & Activism | Syndicats/Unions - Travail/Labor)
Steve Simard
J’aimerais dans ce texte adresser un certain nombre de critiques à ceux d’entre vous qui aurait tendance à entretenir une vision réductionniste des conflits d’intérêts et de se maintenir dans un cadre d’interprétation dépassé. Je ne désapprouve pas vos intentions de rendre le monde plus juste ou meilleur, au contraire, mais je voudrais m’opposé à un certain dogmatisme qui tend à une simplification à outrance et qui engendre désinformation, gaspillage d’énergie, voire conflits inutiles entre vous. J’aimerais plutôt contribuer à réorienter votre action, lui fournit un cadre plus actuel. Par soucis de longueur – et parce que je ne voudrais pas non plus y mettre trop de temps –, je m’en tiendrai seulement à la question des classes sociales et de leurs luttes d’intérêts. Les classes sociales au temps de Marx Les développements importants sur le plan économique au XXe siècle, nous obligent à repenser la stratification sociale qui, depuis Marx, est devenue un modèle inapproprié. La classe sociale exclusive, qui distingue hiérarchiquement sur un ou plusieurs critères les individus, s’est largement complexifiée et sert difficilement à l’analyse. À l’époque de Marx, la définition de deux classes antagonistes sous le critère de la propriété privée – l’opposition bourgeoisie/prolétariat – permettait de trancher avec assez de précision une classe dominante, utilisant les moyens de production plutôt pour ses propres intérêts, et une classe dominée, n’aillant que sa force de travail nu et plus ou moins contraint à la vendre aux industriels. Ce contexte, dévoilant une lutte de classe simplifiée, – puisqu’elle impliquait de forcer l’union dans une même classe d’intérêts communs des travailleurs de différentes natures, ouvriers et non-ouvriers – fournissait, entre autres, la possibilité d’une révolution prolétaire qui porterait au pouvoir les ouvriers. Au-delà des simplifications et considérant la violence des conditions à l’époque, la visée d’une société sans classe fournissait un modèle suffisant pour légitimé selon moi ce pouvoir, à une époque où le politique était un moteur d’action importante. Les classes sociales aujourd’hui Aujourd’hui, le critère de distinction de la propriété n’est plus valable suite à différentes transformations économiques, dont l’arrivée de la société anonyme (corporation) et d’un capitalisme financier. Si l’on demande à qui appartiennent les moyens de productions aux États-Unis par exemple, on s’aperçoit que ce sont les travailleurs eux-mêmes qui possèdent la majorité des actions par leurs fonds de pension. Ces travailleurs fournissent efforts et profits pour, en dernière instance, les intérêts des actionnaires, qui sont la majeure partie du temps eux-mêmes. Le capitalisme occidental, dans sa résolution de la crise sociale, a intégré les salariés dans son système, qui non seulement profitent eux aussi de la plus-value, mais participe de manière intégrale à la gestion et à l’orientation des entreprises. Des salariés-bourgeois, est-ce possible ? Devraient-ils se renverser eux-mêmes ? Bien entendue, la dissolution des classes bourgeoises/prolétaires ne marque pas la fin des inégalités qui pourraient être longuement discutées, mais tel n’est pas ici l’objet de mon propos. Le savoir comme nouveau pouvoir Si l’on voulait délimiter une classe sociale qui aurait aujourd’hui le plus de pouvoir et d’influence, ce serait davantage les travailleurs du savoir, qui restent très difficilement homogénéisables. L’information est devenue la base des systèmes sociaux, de l’action et de l’ajustement des institutions : les entreprises s’en servent pour scruter leurs secteurs, les gouvernements pour tâter le pouls de la demande sociale, elle guide les investissements du monde financier, etc. Dans un cadre d’analyse marxiste, certains ont parlé d’une technocratie, où le pouvoir et la capacité d’agir appartiennent à une classe de spécialistes de la gestion. Cependant, ces individus sont eux-mêmes guidés par le pouvoir de l’information, par les données recueillies, analysées, traitées par les différents rouages cybernétiques des organisations. Le savoir devient le plus important « moyen de production » du monde du travail et est possédé par les travailleurs eux-mêmes, non par une « bourgeoisie ». Il devient de plus en plus accessible à tous par la généralisation de l’éducation, les programmes sociaux, etc. Si la bourgeoisie est un concept dépassé pour situer le pouvoir social, tout comme la propriété privée n’explique plus à elle seule les moyens du pouvoir, que peut-on faire d’une cause révolutionnaire radicale ? Qui sont les coupables à renverser : les porteurs de savoirs ? Mais qui : les techniciens, les ingénieurs, les spécialistes économiques, les analystes politiques… ? Les choses étaient tellement plus simples lorsque l’on pouvait couper la tête du roi. Mais aujourd’hui, le roi (le président ou le premier ministre) n’est qu’un simple pou relativement à tout ce qui se passe en dessous. Il n’est qu’une simple figure portée par les intérêts multiples des institutions, en particulier financières, elles-mêmes portées par des mouvements et demandes sociales complexes. Le pouvoir à l’intérieur des entreprises À l’intérieur des entreprises, le pouvoir devient aussi de plus en plus diffus et ne s’interprète plus aussi facilement en termes de domination supérieur-subordonné. L’entreprise familiale traditionnelle avec la figure autoritaire du parton n’a à peu près plus aucune résonnance aujourd’hui, puisqu’on observe plutôt un emboîtement d’entreprises en réseau dans des sociétés anonymes. L’autorité est de moins en moins l’effet d’un pouvoir pyramidal où les ordres partent d’en haut pour être obéis par les travailleurs d’en bas, comme l’entreprise divisionnaire était conçue au début du XXe siècle, mais s’inverse. En effet, ce sont les spécialistes, les porteurs de savoirs, qui de plus en plus imposent le rythme à leurs supérieurs au moyen d’équipes transdisciplinaires chargées d’un projet ou d’un secteur spécifique de l’entreprise. Au point que la science de la gestion, qui est l’art de réunir des travailleurs pour leur faire accomplir des tâches communes, est en pleine crisse (voir Drucker, Quinn). Les cadres deviennent de simples coordonnateurs au service des spécialistes et ont peine à les évaluer, à déterminer leur augmentation de salaire, etc. --- On voit donc que la visée d’une plus grande justice sociale n’est plus liée à une révolution impliquant un simple renversement de classe. Que les intérêts sont de plus en plus diffus dans la société et difficilement interprétables. Il n’existe aucunement de totalité fermée nommée classe dominante (bourgeoise) qui exploiterait la classe dominée (salariée) UNIQUEMENT pour ses intérêts propres. Tous participent à la vie économique et politique de différentes manières, et profitent de manières plus ou moins inégales de ses retombées. Il n’existe qu’un jeu complexe d’interaction entre des positions de pouvoir, dans de multiples organisations, qui persisterait autrement dans une société communiste au pouvoir hiérarchique et centralisateur. Et ce jeu n’est soutenu que par les individus de la société qui y participent – soit la grande majorité de la société –, qui y luttent pour leurs intérêts individuels et ceux de leurs différentes organisations, pour leur style de vie, pour leurs goûts, leurs préférences, leurs ambitions, etc. Voilà, très brièvement, pourquoi selon moi à peu près personne ne s’identifie à votre ambition d’une « révolution prolétarienne » (encore moins ouvrière) ou que personne ne sait de quoi vous parlez lorsque vous luttez contre « l’État bourgeois ». Certains d’entres vous sont tellement emprunt de leurs vieilles catégories qu’ils vont jusqu’à cracher sur des partis comme Québec solidaire, qui représente une des alternatives de gauche actuellement les plus crédibles (bien que très marginale), sous prétexte que leur discours ne vient pas d’une autre époque (ou planète). Il ne faut pas oublier que la politique ne peut privilégier les intérêts d’un seul groupe, ouvrier ou non. Mais tant que les miettes de l’extrême-gauche dogmatiques préféreront lutter contre leur homologue de gauche plutôt que de s’unir, leurs efforts resteront dans des disques durs. --- Quelques sources ou suggestions : Daniel Bell, Alfred Chandler, Peter Drucker, Michel Freitag, Harbermas. Steve Simard
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