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Quelques-uns des milliers de prisonniers politiques de la ColombiePASC, Samedi, Mars 31, 2007 - 16:34
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Visite à la prison (d’hommes) Modelo de Bucaramanga, département de Santander Je vous partage ici les souvenirs d’une visite à une prison colombienne, plus particulièrement à l’unité des prisonniers politiques, où sont retenus des guérilleros, des accusés de rébellion ou de terrorisme, ainsi que certains délinquants sociaux. Y arrivant avec le Comité de solidarité avec les prisonniers politiques (CSPP, d’envergure nationale), j’ai eu la chance que les prisonniers me partagent leur histoire, leurs aspirations, leurs conditions de vie et leur organisation interne. Également, dans le but de faire une dénonciation internationale, j’ai rencontré des hommes arrêtés il y a moins de 15 jours pour rébellion, terrorisme et autres, dans des captures massives dénuées de fondement réels. Le patio 4 Des dizaines de contrôles d’identité, de fouilles, le chien qui nous sent les pieds et le derrière, des files interminables pour la tournée de samedi des visites masculines. Les murs de ciment écaillé, la centaine de gardes à peine assez vieux pour travailler, la manipulation de la nourriture pour s’assurer qu’on n’y ajoute rien (et pour en couper une partie, surtout aux prisonniers du patio 4, celui des prisonniers politiques – PP) et surtout, près de l’entrée, les « cages à chien » comme ils le disent, des grillages où sont entassés les nouveaux arrivants, sans couverture, matelas ni toit, en ces jours de pluie passagère où la température descend à 20 degrés (froid pour les gens d’ici habitués à des 30 degrés), en attendant d’être placés dans leur patio, leur« communauté » déjà surpeuplée par trois fois. Dans le corridor des patios, il y a diverses peintures enfantines sur les murs, comme Winnie l’ourson chassant des papillons, même image que celle de l’étampe qui est appliquée sur nos bras de visiteurs. Partout, « Ta dignité humaine et la mienne sont inviolables »; comme si le fait de l’écrire le garantissait. Cet environnement doit être la norme des prisons, puisque celle-ci est considérée une des meilleures du pays, où le patio 4 surtout est reconnu pour ses mobilisations et son organisation. Avec l’entente carcérale nationale entre ennemis (paramilitaires, guérilleros et leur influence sur les délinquants sociaux), ne conservant du conflit que l’aspect idéologique, laissant la guerre militaire à l’extérieur des murs, ils ont réussis à s’occuper de leurs conditions de vie. Ils ont réclamé des améliorations au menu et essaient d’assurer un respect de la qualité des soins de santé et du nombre de prisonniers, deux aspects bafoués, surtout pour les PP, sans ressources financières donc sans pouvoir de négociation avec les gardes. En plus, ceux-ci les traitent de la manière qu’on peut s’attendre de l’État envers des hommes ayant pris les armes pour gagner un changement social, dans un pays où le Président nie le conflit armé interne et argumente plutôt la présence de terroristes. Les PP racontent effectivement souffrir de discrimination de la part de l’Institut national pénitencier (INPEC) à différents niveaux : tout d’abord, au niveau économique, en leur niant l’accès aux ateliers de formation du travail comme aux lieux de travail, internes comme externes, seul moyen de recevoir un salaire, pour la seule raison d’être du no 4. Également, les soins de santé et odontologiques sont négligés en comparaison avec les autres communautés; même les urgences demandent une bataille. Les conditions de vie sont également différentes : par exemple, les autres communautés ont ouvertement accès à 2 ou 3 cuisines électriques, quand une seule est présente au no4 et conservée cachée. Finalement, le traitement et l’envoi des documents sont compliqués, avec des « erreurs » allongeant le temps de traitement ou demandant une rerédaction et de nombreuses « pertes », compliquant des défenses déjà difficiles, où$ peu d’avocat-es veulent se compromettent. À l’intérieur du patio 4, tous les prisonniers sont organisés en comités, où sont coordonnés les appuis juridiques, les ateliers de formation, la discipline et où sont élus les délégués au Comité politique, faisant les liens avec l’INPEC et la Table de négociation, de même qu’avec l’extérieur et le CSPP et coordonnant aussi les formations politiques et la vie interne. L’organisation en comité, sans chef pour diriger, est nécessaire pour permettre la voix des différents groupes présents dans la prison et, d’un point de vue sécuritaire, pour éviter que la « tête » ne soit tuée ou transférée et qu’ensuite tombe le processus organisationnel. L’appui juridique est suprêmement important, surtout pour ceux incarcérés pour la première fois ou victime d’arrestation de masse (voir plus loin). La formation est centrale dans le patio 4 : les prisonniers voient ce temps de réclusion comme un moment où ils peuvent prendre le temps d’approfondir leur formation politique et académique pour certains (niveaux primaire, secondaire ou universitaire). La discipline consiste en des règles de vie pour éviter les conflits, les bagarres et l’extorsion : aucune drogue ni alcool n’est toléré dans la communauté et aucun impôt n’est chargé, alors que dans les autres patios les chefs chargent 300 000 pesos ou plus (150$, une somme immense dans le contexte national) pour avoir accès aux lits surchargés et où ceux ne payant pas souffrent de répression ou deviennent les bonnes à tout faire. En plus, au no4, on s’assure que tous dorment dans un lit, en faisant des rotations périodiques des cellules où doivent dormir 3 détenus dans 2 lits. La conjoncture actuelle en est une d’augmentation de la tension pour les gens du no4, et cela pour deux raisons principales. Tout d’abord, le gouvernement veut ouvertement en finir avec le regroupement des PP dans de mêmes lieux, les patios 4 de nombreuses prisons étant constitués de PP, s’organisant et réclamant depuis l’intérieur des murs. De plus, il est de connaissance notoire que les chefs paramilitaires en état d’arrestation (les quelques rares) ont envoyés leurs sbires (avec ou sans l’appui des gardes) dans les différentes prisons et particulièrement à la Modelo de Bucaramanga, reconnue pour son impact, afin d’en finir militairement avec le patio 4. Peut-être verrons-nous dans les prochains mois le retour, dix ans en arrière, à des confrontations armées à l’intérieur des murs, au détriment de tous et compliquant les visites des ami-es et de la famille. Des arrestations de masse Une trentaine d’hommes, entre 18 et 68 ans sont approchés de moi et invités à partager leur situation avec cet étranger venant connaître leur réalité. La confiance s’installe suite à la présentation des compagnons du CSPP et de mon travail de solidarité politique. Tout au long des témoignages, durs, souvent émotifs, leurs yeux se tournent beaucoup vers ceux du CSPP, résultat évident de la confiance née d’années de travail de solidarité. Les arrestations massives par la Police nationale et les militaires est une pratique courante dans le contexte actuel du pays. En effet, les soldats de la Force publique sont pressionnés par le gouvernement national et états-unien, afin de prouver les bons résultats de la politique de Sécurité démocratique d’Uribe. Ceci signifie que les forces armées doivent présenter des résultats positifs de captures (certains disent « empaqueter des poitrines ») et de morts au combat; ces résultats servent pour la bonne image du gouvernement, mais aussi pour les militaires, qui reçoivent des primes pour les « prises ». Il est déjà habituel pour les gens qu’un des membres de leur famille soit assassiné par l’armé, puis habillé de camouflage et présenté comme guérillero mort au combat. Les faux avis d’arrestation sont également communs, aujourd’hui plus que jamais, et se présente comme suit : une cinquantaine d’ordres de capture sont émis; sur ce nombre, 30 sont capturés et dans les médias, on apprend que l’Armée a mis tout un tas de guérilleros en prison. Voyons ce qui en est en vérité, en prenant pour exemple les arrestations du début mars 2007, ayant eu lieu dans le Département de Santander, au nord-est de la Colombie et dont j’ai rencontré plusieurs victimes. Lors de ces arrestations, il est courant que les gens n’aient aucun lien réel avec la guérilla. Ils et elles sont capturés pour diverses raisons : parce qu’ils sont paysan-nes et que leurs terres sont convoitées par le gouvernement et ses dirigeantes, les transnationales, à qui convient un montage judiciaire et une terrorisassion des habitant-es afin de vider le territoire; parce qu’ils vivent à la campagne et que la guérilla emprunte parfois le chemin qui passe devant chez eux et leur demande un verre d’eau ou une assiette de nourriture, qui n’est pas refusée; parce qu’ils sont forcés de faire un travail pour un guérillero, comme de vendre une machine ou transporter un paquet; parce qu’ils et elles sont impliqués socialement, syndicalistes ou président-e de Junte d’action communale (l’organisation traditionnelle des villages). (60% detenu-es accuse-es pour terorisme ne sont pas des combatant-es). Un autre scénario répandu est celui où un-e membre de la famille est tué-e dans un de ces « combats » maquillés; la famille fait ensuite des démarches pour récupérer le corps et dénonce les fausses circonstances de la mort de leur proche n’ayant rien de guériller@s; quelques mois plus tard, l’armée se présente pour arrêter le frère, la sœur, le père. Ce dernier cas est celui de quelques-unes des personnes que j’ai rencontrées; dans trois des cas, le père (de plus de 60 ans) et le fils ont été arrêtés, laissant « la vieille » seule à la ferme ou avec de jeunes enfants à s’occuper. Plusieurs ont laissé leur femme et leurs enfants sans revenu seul-es; certains ont été arrêtés avec leur épouse et les jeunes demeurent abandonnés à la maison. D’autres encore ont été capturés à quelques heures de la ville, puis relâchés dès leur arrivée à la prison, faute de preuve ou par erreur d’identité. Ô joie? Mais, comment ces gens vont-ils retourner chez eux, à quatre heures de bus, sans un sous dans les poches, sans un rond à la maison, sans famille ou amis, proches ou loin? Ces situations sont répandues en Colombie actuellement et montrent une bonne image des politiques guerrières d’Uribe, financées par le Plan Colombie des États-Unis. Sauf que, réellement, aucune de ces gens n’est condamné; un an après l’arrestation, tous sont en liberté, mais avec leur réputation brisée et les problèmes économiques conséquents à une absence tant prolongée de leur source de revenu ou de nourriture. Parmi les 7000 prisonier-eres de la Colombie, seuls 2200 ont été condamné-es. Dans la population, qui sait de cela? Aucun des médias n’en traite, ne montrant que le « bon côté » de cette guerre contre le peuple, considéré comme un obstacle au développement économique et comme « l’eau » où vit le « poisson » qu’est la guérilla, objectif militaire à éliminer sans considérer les problèmes sociaux ayant menés à sa création et son maintient pour plus de 60 ans. Le travail de solidarité revêt une importance capitale pour les PP, tant pour la défense de leur dignité humaine bafouée par les conditions de vie que pour les pressions internationales permettant de dénoncer les actions arbitraires des forces de l’Ordre. La situation colombienne est bien complexe et difficile, la population civile tente de survivre au milieu de la guerre, les opprimé-es luttant pour des changements sont réprimés pour être des « subversifs » et la guérilla survit et recrute, l’équilibre militaire avec l’État paramilitarisé demeurant le même depuis des décennies. Les appuis extérieurs sont source d’espoir et de soutient au moral pour toutes les victimes de la guerre et nous aident, nous les Nordistes, à mieux comprendre les dynamiques de ce système dont nous sommes les bénéficiaires. Supportons les propositions ouvrant d’autres voies! Vous voulez participer au travail de solidarité avec les prisonieres et prisoniers politiques de Colombie ? Contactez-nous au PASC ! pasc@riseup.net
Projet accompagnement et solidarité Colombie
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