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L'Être profond de la mystification marxiste (1983)

Anarkhia Webmaster, Samedi, Mars 10, 2007 - 16:58

Jean-Marc RAYNAUD

A l’occasion de ce premier centenaire de la mort de Marx (mars 1883), tout un chacun ne va pas manquer d’y aller de son petit couplet à propos du célèbre barbu londonien, de sa doctrine et de sa nombreuse progéniture spirituelle. C’est ainsi que certains, les officiels du marxisme, et d’une manière générale tous ceux qui blanchissent et engraissent sous le harnais de l’ânonnement servile, vont faire dans la grand-messe traditionaliste avec cantiques, grandes orgues, sermons alambiqués en latin, psaumes patinés par l’allégeance, flons flons et confettis. C’est ainsi également que d’autres, les déçus du stalinisme voire même du léninisme, officieront dans un style plus dépouillé. Les calvinistes et les curés-pataugas du marxisme, en effet, ne prisent pas outre mesure le tralala et la démagogie dont s’entoure si volontiers le papisme dans les petites et les grandes occasions. Ils préfèrent la rigueur et la raideur. Puritanisme oblige ! Et c’est ainsi, enfin, que d’autres, adversaires de classe de toujours du mouvement ouvrier ou adversaires irréductibles d’un impérialisme marxiste à l’odeur forte de totalitarisme et d’intolérable, cracheront à qui mieux mieux sur la tombe du Herr Doktor et de ses suppôts pour tenter une fois encore de transpercer une bonne fois pour toutes le cœur du monstre avec l’épieu de la haine, du dégoût, de la révolte ou de l’espoir. Bref, qu’il se déroule sous le signe de l’amour-passion, du mariage de raison ou de l’incompatibilité d’humeur, ce premier centenaire de la mort de Karl Heinrich Marx aura dans tous les cas de figure des allures de cérémonie, et rares seront finalement ceux qui, comme nous nous proposons de le faire, chercheront à dépasser le stade étroit de l’anecdote pour élever le débat jusqu’à l’essentiel.

Bien évidemment, malgré notre volonté claire et nette de prendre prétexte d’un événement comme le premier centenaire de la mort de Marx pour mettre à nu l’être profond du marxisme, certains ne manqueront pas cependant de contester le bien-fondé et l’intérêt de notre démarche, et peut-être même nous accuseront-ils carrément de participer au grand cirque de la commémoration. A quoi bon, en effet, s’interroger sur Marx et le marxisme, ne manqueront-ils pas de nous dire ? Les faits, la réalité sur laquelle débouche toute mise en œuvre du marxisme à Moscou, à Varsovie, à Kaboul, à Prague, à Budapest, à La Havane, à Pékin... ne sont-ils pas là, patents et flagrants ? A quoi bon par conséquent perdre du temps pour chercher à savoir si l’ancêtre portait ou non l’infamie actuelle en lui ? A quoi bon remuer la poussière du passé et autopsier les cadavres ? L’échec n’est-il pas évident ? L’heure n’est-elle pas à la lutte contre l’intolérable, de préférence à une réflexion sur la nature du sexe du diable ? Et puis d’ailleurs réfléchir aujourd’hui sur Marx et le marxisme a-t-il encore un sens ? La galaxie Marx n’est-elle pas désormais à l’heure de la désintégration, de l’éclatement, de la division et du tohu-bohu des antagonismes et des divergences de toutes sortes ? Le marxisme comme idéologie dotée de cohérence est-il encore vivant ? La bête n’est-elle pas morte depuis un certain temps, cancérisée par la réalité qu’elle a engendrée ? Et donc, à quoi bon disséquer une prétendue agonie quand les effluves nauséabonds de la décomposition de son cadavre témoignent de l’urgence de se débarrasser de la charogne ?

CADAVRES EXQUIS.

A toutes ces questions, il est, on s’en doute, aisé de répondre par la seule énumération des faits. Car le marxisme en effet est un cadavre qui se porte, hélas ! encore fort bien ! Certes les maladies qui le rongent sont légions. Les rides de l’échec comme le rictus de la division lui déforment les traits. Mais, n’empêche, directement ou indirectement, le marxisme domine encore aujourd’hui plus de la moitié de la planète et réussit à contenir comme en Pologne la poussée contestatrice de populations entières. Et puis, par-delà les divergences, les différences d’appréciations, le patchwork d’une théologie éclatée à l’infini de l’interprétation des textes sacrés, et la lutte au couteau entre fractions rivales, tout ce petit monde en délire serre toujours les rangs autour des tables de la loi. Les différentes parties prenantes du fascisme rouge, celles qui managent aujourd’hui directement le capitalisme d’État comme celles qui postulent à son management se réclament, il faut quand même le savoir, toutes de Marx et du marxisme.

Pour un cadavre, le marxisme a donc encore une belle santé. Aussi, confondre la maladie avec les stigmates de l’agonie et prétendre à l’inutilité d’un chek-up et d’un diagnostique n’est nullement le meilleur moyen d’envoyer au plus vite l’intolérable ad patrem. Qu’on le veuille ou non, le communisme autoritaire, même s’il a de plus en plus des allures de bateau ivre, continue à tenir la route de l’histoire, et une réflexion à son encontre n’est pas du luxe.

Mais, étudier le communisme autoritaire est une chose et réfléchir sur Marx en est une autre, objecteront ceux qui volontairement ou involontairement portent avec ostentation des
lunettes noires sur l’intelligence. Quel rapport y-a-t-il entre un individu mort il y a cent ans, une méthode d’analyse et les hordes barbares du communisme autoritaire ? Ne peut-on pas être marxiste tout en étant aux antipodes de la caricature du socialisme qui sévit chez les nouveaux maîtres de l’empire des tsars, chez leurs vassaux ou chez leurs élèves ?

SOUS LE GOULAG, MARX.

Au premier abord, en effet, il peut sembler outrancier de faire porter le chapeau des goulags à la mode grand-russienne, européenne de l’Est, chinoise, castriste, vietnamienne... à tous ceux qui se réclament de Marx et du marxisme. Les trotskistes par exemple sont des gens qui dénoncent avec vigueur le stalinisme et sa logique concentrationnaire et totalitaire. De même, les communistes de conseil à la mode de Pannekoek ou de Rosa Luxembourg et un certain nombre de marxistes uniquement marxistes n’hésitent pas à tirer à boulets rouges et sur le stalinisme, et sur le léninisme. Aussi, il peut sembler quelque peu abusif de rendre responsables d’une réalité donnée ceux qui se montrent critiques par rapport à cette réalité. En d’autres termes les staliniens, les trotskistes, les conseillistes... et à plus forte raison Marx lui-même, est-ce vraiment bonnet blanc et blanc bonnet ? Se pencher sur Marx et sa méthode d’analyse pour les passer au tamis de notre critique constitue-t-il une étape vraiment nécessaire pour comprendre la logique profonde du capitalisme d’État et y mettre le plus rapidement un terme définitif ? Ne conviendrait-il pas mieux de dissocier l’idéologie et les faits ? N’est-ce pas perdre son temps que de tenter de démontrer qu’entre Marx et le Goulag il y a un rapport de cause à effet ?

Perdre son temps, perdre son temps, mon cul ! Certes, les staliniens, les trotskistes, les conseillistes... Marx et sa méthode d’analyse ce n’est pas bonnet blanc et blanc bonnet. Entre les uns et les autres, il y a des différences évidentes, mais, et c’est là le sens profond de notre réflexion, n’y-a-t-il pas également des convergences toutes aussi évidentes ? En d’autres termes ces différences entre les innombrables chapelles du marxisme sont-elles de l’ordre du FOND ou de la FORME ? Et dans l’hypothèse où tous ces braves gens ne seraient que des aspects différents d’une même logique, pourquoi, oui pourquoi, serait-il inconvenant de poser, comme Jacques Chancel à la belle époque de « Radioscopie », la question : « Et Dieu dans tout ça ? »

Car il ne faudrait quand même pas charrier ! Les convergences entre les innombrables planètes de la galaxie Marx existent et elles ne sont pas mineures. C’est ainsi par exemple que les trotskistes, ces stakhanovistes de l’antistalinisme, n’ont commencé à dénoncer la dynamique concentrationnaire et totalitaire du stalinisme que quand ils en devinrent les victimes. Trotski, il faut le savoir, fut l’un des fusilleurs de Kronstadt ; le bourreau de l’Ukraine maknoviste ; l’un des fondateurs de la Tchéka ; l’un des museleurs de l’Opposition ouvrière au sein du parti bolchevique ; et il s’illustra, bien avant Jaruzelski, comme compositeur, chef d’orchestre et premier
violon de la militarisation du travail. Sa critique du stalinisme, on le voit, ne date donc que de l’instant où il a été évincé du pouvoir et où il a été broyé par la machine qu’il avait mise en place avec son compère Lénine. Et pire, elle ne porte que sur la forme et pas sur le fond même du stalinisme. Car là encore, il faut quand même le savoir, le concept trotskiste « d’État ouvrier dégénéré » signifie que le stalinisme n’est pas pourri jusqu’à la moelle et qu’il peut être « redressé ». Un pt’it changement d’équipe dirigeante, Lambert à la place d’Andropov, et hop ! en U.R.S.S. cela suffirait pour remettre le train du stalinisme sur les rails du léninisme et du socialisme à
visage humain. Certes je caricature, mais pas autant que ça. Les trotskistes n’affirment-ils pas, sans rire, que le stalinisme est une « déformation » du léninisme, alors que tout le monde sait maintenant que le parti unique, la dictature sur le prolétariat, l’élimination physique des composantes non bolcheviques du mouvement ouvrier, le capitalisme d’État, la bourgeoisie rouge, les camps... et d’une manière générale tout ce qui forme l’ossature du système sociétaire stalinien datent de l’époque où Lénine et Trotski étaient au pouvoir ?

Bref, entre le trotskisme et le stalinisme, si différence il y a elle ne porte nullement sur le fond. Et c’est du même tabac pour les conseillistes dont à propos desquels il paraîtrait qu’ils seraient et antistaliniens, et antiléninistes. Antistaliniens et antiléninistes, tu parles. Il suffit de lire le bouquin d’Herman Gorter « Réponse à Lénine » (édité chez Spartacus) pour voir (c’est écrit noir sur blanc) que la différence entre le conseillisme et le léninisme porte essentiellement sur des questions de tactique. Sur le fond l’accord est réel. Ce n’est pas moi qui le dit.

Dans ces conditions, s’il convient de ne pas se laisser aller à faire de l’amalgame à la petite semaine et de reconnaître à chacun des épigones de Marx sa spécificité propre, il convient
également de bien préciser que la différence n’exclut pas la ressemblance et même l’identité de vue sur le fond. Le trotskiste d’un jour, c’est ainsi, est souvent le stalinien du lendemain ; et kif kif pour le marxiste antistalinien et antiléniniste. D’ailleurs si les uns et les autres se réclament de la même doctrine ce n’est pas par hasard. C’est parce que cette doctrine leur permet par-delà les différences de formulation de se retrouver sur l’essentiel.

Alors, finalement, le marxisme serait donc une grande famille ? Eh oui ! Et comme toutes les grandes familles, celle du marxisme a un père : Marx et l’idéologie qu’il a forgée. Et donc, on peut dire que Marx, Lénine, Staline, Trotski, Mao, Tito, Castro, Rosa Luxembourg, Pannekoek... si ce n’est pas du pareil au même, ça y ressemble étrangement. Et au cœur, à l’origine, à la base de cette similitude et de cet accord sur le fond, il y a un homme, Marx - cela ne nous intéresse pas fondamentalement car le bougre n’est plus de ce monde - et surtout une doctrine et une méthode d’analyse, et là ça nous intéresse déjà plus car le matérialisme dialectique et le matérialisme historique, malheureusement, ont survécu à celui qui les a conçus. Et ils constituent le fumier sur lequel continuent d’éclore les roses rouges, bleues, blanches, jaunes... du marxisme avec leurs épines en forme de totalitarisme, d’impérialisme et de capitalisme d’État. Sous le Goulag, au bout du compte, quand on creuse un peu on finit toujours par retrouver Marx.

LE POIDS DES MOTS, LE CHOC DES IMAGES.

Marx, comme économiste et comme politique, fut finalement un homme très ordinaire et sans grande originalité. Il fut un homme de son siècle, dominé et écrasé par les idées dominantes de son époque et à un poil près il fut semblable à bien d’autres. Son originalité profonde, en fait, ce qui a permis hier et permet encore aujourd’hui à de nombreux militants du mouvement ouvrier de se réclamer de lui se situe ailleurs ; à un autre niveau. Au niveau de sa philosophie, bien sûr, mais aussi et surtout au niveau de la méthode d’analyse qu’il a élaborée et que l’on connaît sous le terme de matérialisme dialectique.

Le matérialisme dialectique, comme son nom l’indique, est un matérialisme. C’est-à-dire qu’il pose comme postulat que c’est la manière d’être sociale (la réalité sociale) qui détermine la conscience et non l’inverse comme l’affirme l’idéalisme. Pour le M.D. l’homme est donc le produit de son milieu d’origine et de son environnement. Sur cette base, le M.D. distingue ensuite entre l’infrastructure économique, le cœur de l’environnement social, et les superstructures idéologiques, politiques... qu’il analyse comme étant des conséquences de l’infrastructure. Mais le M.D. n’est pas seulement un matérialisme, même sophistiqué. Il se veut de plus un matérialisme dialectique. Et c’est ainsi qu’il explique que si l’infrastructure détermine la superstructure, la superstructure en retour va elle aussi déterminer l’infrastructure. C’est le fameux triptyque : thèse, antithèse, synthèse.

Mais la thèse, l’origine de toute explication, l’étalon-or de toute analyse reste malgré tout l’infrastructure économique. Et de ce fait, le caractère prétendument dialectique du matérialisme dialectique est loin d’être évident... Mieux, quand on y réfléchit un peu, on peut même dire que les habits de lumière dont se pare si volontiers le matérialisme dialectique ne sont en fait que le cache-sexe d’un mécanisme tout ce qu’il y a de plus ringard. Car qu’est-ce que cela veut dire de parler d’une relation dialectique en mettant toujours en avant un aspect particulier de cette relation et en en faisant un élément d’explication CENTRAL et PREMIER ? C’est du mécanisme déguisé. Ou une dialectique qui boite d’un côté. Car la réalité humaine, celle des hommes et des sociétés qu’ils ont créées, si on veut l’analyser en terme de dialectique est un TOUT, une TOTALITÉ
dont tous les éléments constitutifs réagissent les uns sur les autres sans qu’il y en ait un qui soit CENTRAL et les autres PERIPHERIQUES. Ça c’est de la dialectique. Mais passons !

Le matérialisme dialectique, on le voit, est une méthode d’analyse qui se discute mais qui est dotée d’une cohérence certaine. Et Marx l’a utilisé pour analyser la société de son époque c’est-à-dire le capitalisme. Et c’est ainsi notamment qu’il a expliqué d’abondance en quoi il y avait contradiction entre l’état des forces productives (l’état de la technique des moyens de production...) et les rapports de production (les rapports de propriété et de distribution) et en quoi les rapports de production constituaient un frein à l’évolution « naturelle » des forces productives. Pour lui en effet l’infrastructure économique, l’état des forces productives étaient en avance sur des rapports de production qui avaient pourtant été sécrétés un siècle au préalable par ces mêmes forces productives. Grosso modo il disait qu’en 1791 l’état des forces productives étaient à l’heure de la bourgeoisie alors que les rapports de production étaient à l’heure du féodalisme et que c’est cette contradiction qui avait débouché sur la révolution. Et il poursuivait le raisonnement jusqu’à son époque en expliquant que les forces productives étaient à l’heure de la mondialisation alors que les rapports de production étaient à l’heure d’une bourgeoisie âpre au profit et recroquevillée dans le carcan de frontières nationales.

A première vue le matérialisme dialectique avait donc tout pour séduire un mouvement ouvrier naissant, nourri au mythe d’une technique censée résoudre tous les problèmes pour peu qu’on lui laisse les coudées franches et qu’on la débarrasse du corset de fer du profit et du nationalisme tissé par la bourgeoisie. Aussi emporté par son élan Marx n’hésita pas un instant à projeter une méthode d’analyse censée à l’origine expliquer son époque, le XIXe siècle, dans le champ de l’histoire. Et c’est cette projection du matérialisme dialectique dans l’histoire qui a donné le matérialisme historique.

Le matérialisme historique, en effet, n’est que (façon de parler) l’application à l’histoire de l’humanité tout entière d’une méthode d’analyse : le matérialisme dialectique. Mais ce faisant, une mutation s’opère. Le matérialisme dialectique comme méthode d’analyse d’une société donnée peut se discuter. Il est possible d’en intégrer certains pans tout en exprimant des désaccords sur les autres. Cela ne mange pas de pain car c’est une méthode datée. Ponctuelle. Par contre, pour ce qui concerne le matérialisme historique les choses changent du tout au tout. Le matérialisme historique ne pense pas seulement une époque donnée, il pense la totalité de l’histoire. Et donc, ou on l’accepte en bloc, ou on le rejette en bloc.

Mais avant d’en arriver là, quelques mots sur le raisonnement central qui articule le matérialisme historique. Le M.H. comme analyse totale de l’histoire d’hier, d’aujourd’hui et de demain
constitue un édifice où tout se tient. Le présent y est expliqué par le passé et l’avenir, sans être prédit, est suggéré sur la base des potentialités du présent. Bref, le M.H. est un tout où tout se tient. C’est ainsi que l’histoire des hommes se trouve divisée en étapes avec un début et une fin et que l’évolution est expliquée jusque dans ses moindres détails. Le début, c’est le communisme primitif, un système sociétaire sans classes ni État. L’étape présente (à l’époque de Marx) c’est la bourgeoisie avec l’existence de classes sociales, de l’État... Et la fin, c’est le communisme avec de nouveau l’absence de classes et le dépérissement de l’État. Et le mouvement de l’une à l’autre se fait au rythme de la résolution des contradictions entre l’état des forces productives et les rapport de production, c’est-à-dire au rythme des révolutions. Et Marx nous explique comment on passe d’une étape à l’autre, comment on passe du communisme primitif à une société de classes. Pour lui en effet les sociétés primitives si elles sont des sociétés épargnées par la division sociale et l’État sont également des sociétés de pénurie qui ne satisfont nullement les besoins des hommes. De là l’apparition de techniques de plus en plus performantes. De là, le décalage entre l’état des techniques et les rapports de production. Et ce, jusqu’à la révolution finale. Jusqu’à ce que la technique soit en situation de satisfaire tous les besoins des hommes et que les rapports de production s’adaptent à cette situation.

Comme on le voit les trois axes principaux du M.H sont 1° l’équation société primitive = société de pénurie ; 2° le postulat du développement permanent (naturel) des forces de production ; 3° la permanence de l’économique comme élément explicatif central d’une réalité donnée.

Pas de problème, donc, le M.H présente bien. Il tient debout. Il explique le passé, le présent et l’avenir. Et comme de plus il se targue d’être scientifique on ne peut que tomber à ses pieds béats d’admiration. Et c’est ce que nombre d’hémiplégiques de l’intelligence font depuis un siècle. Car les images simples ça a toujours impressionné les esprits simples.

Hélas ! trois fois hélas ! il ne suffit pas de se proclamer scientifique pour l’être.

TIRE LA BOBINETTE, LA CHEVILLETTE CHERRA.

Le matérialisme historique n’a, en effet, de scientifique que le nom. Pire, ce joyau de la théorie marxiste est carrément du toc. Car tous les postulats sur lesquels il repose sont faux.

L’anthropologie, avec notamment Pierre Clastres et Marshall Sahlins, a réduit à néant les élucubrations de Marx et d’Engels. Clastres a démontré avec brio que le fait économique, l’état des forces productives n’étaient nullement fondamentaux dans les sociétés primitives. D’une part parce qu’à un stade technique identique pouvaient correspondre des modes d’organisation politique différents et d’autre part parce qu’en dernière analyse dans les sociétés primitives c’est toujours le politique qui prime l’économique. C’est ainsi par exemple que dans la plupart des sociétés primitives il y a un contrôle de l’évolution des techniques par l’ensemble du corps social qui n’hésite pas à bloquer ou à refuser cette évolution si elle risque d’être un facteur de division sociale. Et c’est pourquoi Clastres a pu parler à propos de la société primitive de société « contre
l’économie ».

Exit, donc, le matérialisme dialectique. Dans les sociétés primitives l’économique n’est qu’un des aspects de la réalité au même titre que d’autres. Et ce n’est pas tout. Dans la foulée Clastres explique également que dans les sociétés primitives il n’y a nullement un développement « naturel » des forces productives, de la technique et des moyens de production. Il l’explique en long, en large et en travers. Et c’est le deuxième volet de son concept de « société contre l’économie ». Un deuxième volet qui frappe le matérialisme historique au cœur dans la mesure où ce dernier postule exactement le contraire et qu’il en fait l’axe central de l’évolution historique. Et ce n’est encore pas tout.

Dans son livre « Sociétés primitives, sociétés d’abondance », Marshall Sahlins porte le coup de grâce au matérialisme historique en démontrant, preuve à l’appui, que les sociétés primitives n’étaient nullement des sociétés de pénurie et qu’au contraire le temps consacré à la production nécessaire à la satisfaction des besoins fondamentaux était infime. Or si les sociétés primitives n’étaient pas des sociétés de pénurie, l’argumentation matérialiste historique qui postule que c’est de la pénurie que naît le développement des techniques s’écroule complètement. Et donc le fameux sens de l’histoire qui part soi-disant d’une pénurie pour tendre vers la satisfaction des
besoins par le biais du développement des forces productives devient carrément un NON-SENS, un sens interdit ou une impasse. Dur !

Dans ces conditions, si l’économique n’est qu’un élément d’explication parmi d’autres d’une réalité sociétaire donnée, si les forces productives ne croissent pas « naturellement », si le point de départ de l’histoire n’est pas la pénurie et si comme l’explique Clastres c’est l’apparition de l’État (voir les définitions qu’il donne de l’État dans son bouquin « la Société contre l’État ») qui est l’amorce d’une dynamique de lutte de classes et non l’inverse, le matérialisme dialectique et le matérialisme historique s’effondrent littéralement. Leurs prétentions scientifiques s’envolent au vent de l’illusion, voire de l’escroquerie. Le marxisme lui-même perd toute crédibilité dans sa capacité d’analyser l’évolution historique et de définir un prétendu sens de l’histoire. Bref, sur la base de la critique anthropologique de Clastres et de Sahlins le marxisme se trouve réduit à l’état d’une pelote de laine que l’on déroule ou d’un château fort dont on enlève d’un seul coup l’ensemble des fondations. Une fois tombée l’illusion, la prétention de posséder un savoir TOTAL, le roi se retrouve tout nu exhibant ses jambes frêles et un enchevêtrement de varices. Le marxisme apparaît alors tel qu’il est, pitoyablement authentique : un scientifisme mal dégrossi ; une théorie datée ; une doctrine ravagée par les ans.

Après la critique du stalinisme et du léninisme, la critique du marxisme comme méthode d’analyse et comme théorie de l’histoire s’avère donc être la dernière étape de la mise à nu de l’imposture du communisme autoritaire. C’est une étape qui est actuellement à l’ordre du jour grâce à la recherche anthropologique actuelle et qu’il nous faut mener à son terme car c’est à ce niveau que se situe l’être profond du marxisme. C’est là en effet que le fascisme rouge avec ses sanguinaires bouffons staliniens, ses sanguinaires adjudants léninistes et ses clowns tristes du marxisme soi-disant antistalinien et antiléniniste, plonge ses racines. C’est sur ce fumier que pousse l’étatisation de la société, le capitalisme d’État, le totalitarisme... et la dictature sur le prolétariat par une minorité de pseudo-détenteurs de la science.

Qu’on ne s’y trompe donc pas, la réflexion sur Marx et le marxisme et la critique de Marx et du marxisme sont brûlantes d’actualité. Certes le barbu est une charogne qui pourrit depuis un siècle, mais son âme est, hélas ! encore bien vivace et elle hante les derniers carrés de staliniens, les bataillons tristes du léninisme, les régiments pète-sec du marxisme antistalinien et antiléniniste et les cohortes innombrables des insignifiants sous influence. Et c’est cette âme, cette doctrine et cette méthode d’analyse qu’il nous faut envoyer une bonne fois pour toutes rejoindre Dieu et le Diable dans la poubelle de l’histoire pour que le chemin de la révolution sociale et de l’espoir soient enfin libre de toute hypothèque.

J.M.R.

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