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Ça change partout sauf au Québec: fin de règne en Guinée

clara bow, Samedi, Janvier 27, 2007 - 10:57

Ce fut d'abord la stupeur, et, juste après, des cris de joie, des chants et des danses. Vendredi soir 26 janvier, après dix-sept jours de grève générale, de marches et d'une répression qui a fait officiellement 59 morts, le président Lansana Conté a dit oui. Il a accepté un texte de loi élaboré par les syndicats et les grévistes qui lui fait renoncer à une grande partie de ses prérogatives au profit d'un chef de gouvernement. Qui ? Son identité n'est pas encore connue, mais sa fonction, créée sur mesure, devrait enfin favoriser le développement d'un pays aussi misérable en surface qu'il est riche en sous-sol.

Au Palais du peuple, que les négociateurs ont quitté en fin de journée après trois jours de pourparlers intenses pour aller soumettre leurs revendications au chef de l'Etat, les syndicalistes n'en croyaient pas leurs oreilles. "Conté est un militaire, rigide et toujours prêt à se battre. Il dira non", martelait un observateur péremptoire.

Que s'est-il passé dans la tête du président-général, 72 ans, arrivé au pouvoir en 1984 à la suite d'un coup d'Etat ? Une intervention salutaire de sa première épouse, Henriette, alors que la deuxième et la troisième l'exhortaient à ne rien lâcher ? La lucidité soudaine de reconnaître que son diabète aigu et la leucémie ne lui permettent plus de commander le pays ? Un accès de sympathie pour les souffrances de son peuple, l'un des plus pauvres d'Afrique ? Personne ne pourra jamais le dire.

Mais tout le monde sait ce qu'il serait advenu s'il avait dit non : une nouvelle marche, lundi 29 janvier, qui aurait fait plus de morts encore que celle du 22, une insurrection généralisée donnant aux bérets rouges (forces spéciales et féroces) un prétexte pour instaurer la terreur, voire un coup d'Etat militaire pour reprendre le contrôle de la situation.

Plus tôt dans la journée, les trois leaders syndicaux étaient allés consulter leur base. Spectacle saisissant que celui de ces deux femmes, Rabiatou Sérah Diallo et Mariana Penda Diallo, et de cet homme, Ibrahima Fofana, épuisés et malades de s'être fait tabasser et emprisonner par les Bérets rouges, obligés de repartir au combat sous la pression furieuse des militants. "Camarades, salut !", rugissait la salle. "Vive la liberté ! Vive le changement ! Vive la jeunesse ! Et mort aux traîtres !"

La négociation, à ce moment, butait sur le titre du poste à créer. Les émissaires de l'Etat ne voulaient que d'un premier ministre, alors que les syndicats exigeaient qu'il soit également chef de gouvernement, afin de ne pas tomber sous la coupe du président, de ses griots ou de ses femmes. "Si nous avons bien défini les fonctions du poste, est-il important de se battre pour son titre ?", a demandé Ibrahima Fofana. Levée d'un bond, la salle a hurlé de rage. Fofana s'est incliné : "Camarades, salut ! J'ai compris, on reste ferme."

Cette réunion d'une heure au siège de l'union syndicale ravagé quelques jours plus tôt par Ousmane Conté, le propre fils du président, à la tête d'un peloton de Bérets rouges, mérite sa place dans l'histoire du syndicalisme africain. Alors que l'Etat ne voulait négocier avec les syndicats que ce qui touchait au bien-être des travailleurs (hausses des salaires, baisses des prix du riz), ceux-ci ont formulé des exigences politiques, comme la mise à l'écart du président et le retour en prison de son protégé, l'oligarque Mamadou Sylla.

L'union nationale qu'ils ont soulevée éclaire cruellement l'indigence des 14 partis d'opposition, discrédités par leurs luttes intestines et la base ethnique de leur recrutement. "Nous avons pour mission de lutter contre la misère des Guinéens, résume une enseignante syndiquée. Cette misère est le résultat d'une gouvernance de bandits. Nous avons donc le droit d'exiger un changement de gouvernance !"

Au même moment, dans les quartiers de grande banlieue, les habitants rentraient chez eux après avoir manifesté le matin et s'être heurtés aux forces de l'"ogre" (l'expression est du Lynx, journal satyrique de Conakry). "On n'a plus rien à manger après une grève si longue, mais on ira jusqu'au bout, inch Allah", a lancé un jeune étudiant du quartier d'Hamdallaye, où le bilan du 22 janvier fut particulièrement lourd. "Le vieux (le président) est malade, on va le déguerpir (sic), renchérit un peu plus loin, à Bambeto, un conducteur d'engins du port de Conakry. Ou alors, qu'ils nous tuent tous !" Jeunes, vieux, femmes, marchands, chômeurs, étudiants ; leur détermination est impressionnante. "Nous sommes prêts à verser le sang !, crie un jeune homme bruyamment applaudi. Qu'il y ait 150 morts lundi prochain, cela vaut mieux que nos souffrances depuis vingt ans." L'idée de reprendre le travail ne les a pas effleurés. "Quel travail ? Il n'y en a pas. Et ceux qui ont un salaire ne peuvent même pas acheter un sac de riz."

Tout se passe comme si les Guinéens, que l'on disait marqués à tout jamais par la terreur stalinienne des années Sekou Touré (1958-1984), avaient soudain cessé d'avoir peur. Mais de cela le président n'a pas pu se rendre compte, pour prendre sa décision de vendredi soir, parce qu'il n'a avec la réalité qu'une relation soigneusement modelée par son entourage. Au soir du massacre du 22 janvier, son chef du protocole lui a ainsi affirmé qu'il ne s'était rien passé de grave en ville, juste trois morts et six blessés. C'était un seizième de la vérité.

L'entourage, bien sûr, est divisé en deux camps qui se livrent une guerre sans merci. Dans les moments critiques, le premier qui arrive au chevet du "patron" a toutes les chances d'obtenir qu'il signe un décret destituant la partie adverse.
C'est ce qu'il est arrivé à Fodé Bangoura, ministre d'Etat aux affaires présidentielles jusqu'au vendredi 19 janvier à 17 h 30. Ses ennemis ont convaincu le président que Bangoura était le grand instigateur des grèves. Trois minutes plus tard, les Bérets rouges étaient dans son bureau, dont il a dû s'enfuir, sans rien emporter, pour échapper aux coups.

La nomination d'un homme fort devrait changer les règles du jeu. Si tout se passe bien jusqu'en 2010, cela assurera aussi une fin de mandat honorable au président Conté, relégué au rôle d'autorité morale. Mais les obstacles sont encore nombreux, à commencer par l'identité du "chef de gouvernement". Une demi-douzaine de noms circulent à Conakry, dont certains sont scandés dans les quartiers par des partisans grassement payés. Les syndicats, eux, ont simplement exigé qu'il s'agisse d'un civil, "compétent, intègre et patriote".

Serge Michel (article paru dans Le monde du 27 janvier)



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