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Affaire Mohamed Anas Bennis, 11 mois plus tard...COBP, Lundi, Novembre 13, 2006 - 19:42
Le Collectif Opposé à la Brutalité Policière (COBP) Tél: 514-859-9065
Aucune accusation contre les policiers assassins Bernier et Roy, toujours aucune réponse à toutes les questions... « Le COBP dénonce la décision du procureur James Rondeau qui est l'aboutissement de onze mois de ce à quoi on s'attendait: un "cover-up" pur et simple d'une bavure policière imprégnée de profilage racial. Tous les gens vivant à Montréal devraient avoir le droit de savoir si les agents Bernier et Roy sont réellement encore en fonction, si oui dans quelles fonctions (en bureau ou dans la rue) et s'ils sont dans la rue, dans quel quartier se promènent-ils avec leurs armes à feu? Il nous est impossible de faire confiance au SPVM qui assassine impunément, au SPVQ qui nous cachent la vérité et au Ministère de la Justice du Québec qui protege les policiers assassins. (...) Il est plus que temps d’ouvrir une enquête publique et indépendante sur la mort de Mohamed Anas Bennis, avant que le SPVM ne fasse d’autres victimes. (...) Le COBP aussi trouve que ce serait une excellente idée que le SPVM montre l’exemple en arrêtant d’utiliser des armes à feu et en condamnant les policiers assassins. Ce qui est certain, c'est que la lutte pour arrêter la brutalité policière est loin d'être terminée! D'ailleurs, cette lutte n'a pas de frontières, car partout oè la police existe elle tue des gens: à Oaxaca au Mexique, en Colombie, partout... Comme ils disent en Colombie : Pour toutes les victimes de violence de l’État, pas une minute de silence, toute une vie de lutte! »
Montréal, 13 novembre 2006. Le 4 novembre 2006, un bref communiqué émanant du gouvernement du Québec annonçait: "aucune accusation criminelle ne sera déposée à la suite du décès de monsieur Mohamed Annas Bennis" car "une étude exhaustive de la preuve n'a pas permis de conclure à la commission d'une infraction criminelle".(1) Plus de onze mois après l'incident au cours duquel un agent du Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) a abattu Mohamed Anas Bennis de deux balles, dont une en plein coeur, un petit retour en arrière s'impose.
La bavure et la version policière
Le 1er décembre 2005, vers 7h20 du matin, le jeune Mohamed Anas Bennis, 25 ans, a été atteint mortellement par deux balles tirées par un agent du SPVM rattaché au Poste de Quartier 25, au coin des rues Kent et Côte-Des-Neiges. Mohamed a été abattu en plein milieu d'une opération impliquant le SPVM, la SQ, la GRC et même possiblement le FBI. L'opération "Glory", finalement peu glorieuse, visait un supposé réseau de fraudeurs algériens qui étaient soupçonnés par les autorités policières d'être liés au "terrorisme international". Mais à part le fait qu'il était un jeune d'origine marocaine qui sortait d'une mosquée, portant une barbe, un turban et une djellabah, Mohamed n'était aucunement lié à cette opération policière.(2)
Le lendemain, la version policière de l'incident était publiée telle quelle dans le Journal de Montréal: Mohamed, présenté comme un "déséquilibré", aurait sauté sur un policier avec un couteau de cuisine, sans aucune raison, et l'aurait poignardé au cou et à la jambe. Le policier aurait ensuite tiré les deux balles mortelles en "légitime défense".(3) Cette version est contestée par la famille de Mohamed et ses proches qui le décrivent comme un jeune homme paisible et précisent qu'il n'avais jamais eu de problèmes avec la police ni de problèmes de santé mentale. De plus, sa soeur a déclaré: "Que Mohamed Anas se promène avec un couteau de cuisine à sa sortie de la mosquée ce matin du 1er décembre, personne ne nous fera avaler une couleuvre de cette taille. Mieux vaut croire au père noël."(4)
L'enquête sur cette affaire a été confiée au Service de Police de la Ville de Québec (SPVQ), conformément à la "politique ministérielle (du Ministère de la Sécurité Publique du Québec) sur le décès ou blessures graves laissant craindre pour la vie à l'occasion d'une intervention policière ou durant sa détention" qui veut qu'un service de police ne peut pas enquêter lui-même sur des événements au cours desquels ses agents ont causé la mort d'un homme.
La communauté se mobilise
De leur côté, Mohamed Bennis, le père de Mohamed Anas Bennis, et le Groupe Atlas Média ont crée l'Association pour la vérité sur la mort d'Anas, qui obtient rapidement le soutien de plusieurs personnes et organismes de défense des droits. Dès le 2 décembre, on apprenait que le policier en question aurait été «soigné pour des blessures superficielles qui n’ont pas nécessité d’hospitalisation». Le 5 décembre, l'officier du SPVQ chargé de l'enquête confirme au père qu'il existe un enregistrement vidéo de l'événement. Le 6 décembre, le père engage l'avocat Luc Trempe pour faire la lumière sur ce qu'il qualifie de "bavure policière". Le père se rend à Québec et rencontre le Lieutenant-Détective Jocelyn Bélanger qui lui dit que l'enquête est maintenant entre les mains d'un coroner. Le 8 décembre, une source affirme qu'on a entendu sur les ondes radio de la police qu'on crait "Montre tes mains!" à Mohamed. La police affirme aussi à un journaliste que les images vidéo seraient mauvaises et "non-exploitables". (5)
Le 11 décembre 2005, le Groupe Atlas Média a consacré une émission de radio à l'affaire Anas, invitant un membre du COBP pour parler de brutalité policière. Le 15 décembre, un dossier spécial est aussi consacré à l'affaire Anas dans le journal Atlas Média, tiré à 10 000 exemplaires, et d'autres articles seront aussi publiés dans les journaux de janvier et novembre 2006. Le père de Mohamed dénonce la bavure policière, soupçonne que son fils a été victime de profilage racial à cause de son apparence et de l'amalgame entre musulman et terroriste. Le fait que le policier assassin n'était âgé que de 25 ans et qu'il n'avait que 4 années de service vient renforcer les soupçons que Mohamed Anas Bennis a bel et bien été victime d'un "délit de faciès".(6) La famille dénonce aussi le manque de transparence de l'enquête et l'absence de communication avec les autorités policières. En entrevue à La Presse, le frère de Mohamed, Mohamed-Larbi Bennis, dit: "on refuse de nous dire pourquoi" Mohamed Anas est mort et admettant que la version policière soie possible, il demande "est-ce que deux policiers armés n'ont pas d'autres moyens d'immobiliser un homme avec un couteau?"(7)
Le 7 janvier 2006, l'Association pour la vérité sur la mort d'Anas a organisé une manifestation à laquelle environ 2000 personnes ont participé par moins 17 degrés, en grande majorité des gens des communautés marocaine, arabe et musulmane. Les Imams avaient en effet lancé un appel dans les mosquées pour participer à la marche. Aux cris de "Justice et Dignité, on veut la vérité!", les manifestants ont dénoncé la lenteur de l'enquête policière et demandé la tenue d'une enquête publique pour éclaircir l'affaire. Les discours de la famille et des organisateurs soulignaient qu'il fallait faire confiance à la police et au système et être patients en attendant les résultats de l'enquête. On a même remercié le SPVM d'encadrer la marche et quand quelqu'un a crié "policiers assassins!", il s'est vite fait taire par le service d'ordre... Certains ont aussi demandé "une formation sur l'Islam et sur la communauté musulmane pour la police de Montréal, car un grand nombre de cette police est mal informé sur la façon dont les musulmans s'habillent et sur leurs pratiques religieuses", sans quoi "les membres de la police resteront influencés par les propagandes médiatiques islamophobes et stéréotypes sur les musulmans."(8)
Des représentants du Conseil Musulman de Montréal et de la Ligue des Noirs du Québec participent entre autres à l'événement, de même que l'ancien ministre de l'Immigration du Parti Libéral du Canada, Denis Coderre. Le fait d'inviter cet homme, surnommé "monsieur certificat de sécurité", à la manifestation pour Mohamed Anas Bennis en a choqué plusieurs, et avec raison. En effet, une campagne venait à peine d'être lancée appelant à "Voter contre Coderre" et à le "déporter du parlement". On reprochait entre autres à Coderre d'avoir: signé trois certificats de sécurité, dont celui contre le marocain Adil Charkaoui (qui était aussi présent à la marche), permis environ 18 000 déportations, levé le moratoire sur les déportations vers l'Algérie, fait brutaliser par la police des sans-statut algériens dans son bureau d'Ottawa, et fait bien d'autres choses peu reluisantes.(9) En pleine période électorale et dans la crise du scandale des commandites, la présence de Coderre à la marche n'était rien de moins qu'une tentative répugnante de se faire du capital politique sur la mort d'un homme en prétendant dénoncer la brutalité policière et en se disant un "ami" de la communauté... "M. certificat de sécurité" a d'ailleurs aussi été invité à l'émission de radio d'Atlas Media le dimanche suivant la manifestation.
Le « cover-up » et le blanchissement des policiers
Trois jours après la marche, la journaliste de la Gazette Katherine Wilton raportait que la police "a promis hier que tous les faits dans cette affaire bizarre seront rendus publics dès que leur travail sera terminé." Son article cite l'agent Hugues Lavoie du SPVQ qui dit: "Nous sommes des professionnels et nous n'avons aucun intérêt à cacher quoi que ce soit."(10)
D'après l'agent Jean-Sébastien Roy du SPVQ (un parent de l'agent Roy du SPVM impliqué dans l'incident du 1er décembre 2005?), "notre rapport a été fini fin mars et nous l'avons transmis au procureur de la Couronne de Rimouski". À la fin du mois de septembre 2006, la soeur de Mohamed Anas Bennis, Najlaa, déclarait au Journal de Montréal: "On essaye de nous cacher quelque chose. Nous voulons connaître la vérité, peu importe que mon frère ait été victime ou fautif. Or, nous n'avons aucune nouvelle, c'est pas normal." Le procureur Me James Rondeau, qui n'a hérité du dossier que le 13 avril, a prétendu qu'il "comprend les inquiétudes" de la famille Bennis, mais il a prétexté une "surcharge de travail avant l'été" et un "congé de maladie à la suite d'une opération au bras" pour expliquer la lenteur de l'enquête. Il a affirmé: "je ne suis pas du genre à faire mon travail à moitié. J'ai passé du temps sur ce dossier. Je suis même allé à Montréal pour voir la scène. (...)" Il a dit qu'on saurait avant le 1er décembre si des accusations seraient déposées ou non.(11)
C'est donc plus de 11 mois après la mort de Mohamed Anas Bennis, soit le 4 novembre 2006, que la décision du "substitut en chef adjoint du Procureur général du Bureau de Rimouski", James Rondeau, a été rendue publique par voie de communiqué: aucune accusation criminelle ne sera déposée contre le policier ayant tué Mohamed Anas Bennis. D'après ce communiqué, "une étude exhaustive de la preuve n'a pas permis de conclure à la commission d'une infraction criminelle."(12) Pourtant, le rapport du coroner Rafaël Ayllon, signé le 31 janvier 2006 à Montréal, est catégorique: il conclut à une "mort violente" causée par "un choc hémorragique et cardiologique secondaire au passage d'un projectile d'arme à feu dans le thorax et l'abdomen avec atteinte de plusieurs viscères dont le coeur." L'autopsie pratiquée par le docteur André Bourgault le 2 décembre 2005 précise que "le décès de monsieur Bennis est attribuable à un choc hémorragique et cardiogénique résultant de deux plaies de balle au niveau du thorax et de l'abdomen. Ces lésions ont perforé plusieurs viscères dont le poumon droit, l'estomac, la rate, le rein gauche et le coeur, provoquant des hémorragies importantes." Le rapport décrit: "il avait deux plaies à la région thoraco-abdominale occasionnées par l'entrée de deux balles provenant d'une arme à feu. La première plaie était située dans le deuxième espace intercostal et la ligne claviculaire gauche mesurant 0.9 cm de diamètre et la deuxième à la face postérieure du bras gauche au tiers proximal mesurant 0.7 cm de diamètre. L'examen externe confirme que Mohamed avait aussi des "écorchures naso-labiales et frontales" (sur le nez, la bouche et le front) et "une troisième plaie superficielle (...) située à la main gauche à la base du pouce et de l'éminence thénar mesurant 3,5 cm de longueur".(13)
Le rapport du coroner nous apprend aussi les noms des deux agents du SPVM impliqués dans l'incident, sans préciser lequel a été blessé et tiré sur Mohamed: il s'agit des agents Bernier et Roy du PdQ 25. Voici comment le coroner explique les circonstances du décès: "Dans le rapport policier du poste 25 du SPVM, les agents Bernier et Roy se sont dirigés vers (...) rue Kent afin de relever le personnel intervenant dans une opération dirigée par la SQ le 01 décembre 2005 vers 06h30. Les deux agents marchaient sur le trottoir vers le domicile lorsque monsieur Bennis s'est dirigé dans leur direction soit sud-ouest et en arrivant à cette hauteur un des policiers a été poignardé par le monsieur dans le cou et la jambe droite sans aucun motif connu. L'agent a tiré sur lui avec son revolver et l'individu est tombé par terre." Urgence santé ont ensuite emmené Mohamed à l'Hôpital général juif en "procédant à la réanimation", mais sa condition "à son arrivée était très précaire" et "vers 08h04 son décès fut constaté par le médecin de garde." Le policier a quant à lui été emmené à l'Hôpital général.(14)
Les questions qui demeurent sans réponse
Le 7 novembre 2006, Me Pierre Pâquet, l'avocat de la famille Bennis, a rencontré le procureur James Rondeau à son bureau. Rondeau lui a lu tout haut une opinion légale concluant: "il n'y a aucun motif de déposer des accusations contre le policier impliqué", mais il a refusé d'en donner une copie à l'avocat! Rondeau lui a aussi dit qu'il devrait remplir une demande en vertu de la loi sur l'accès à l'information s'il voulait obtenir une copie du rapport du SPVQ. Le père de la victime a déclaré: "Nous avons attendu presque un an pour de l'information et nous n'avons rien reçu d'officiel." Il a ajouté: "Tout est verbal, il n'y a rien de concret" et "ce qui nous a été dit contient d'énormes contradictions."(15)
Dans leur journal du 9 novembre 2006, les gens de Atlas.Mtl dénoncent "un communiqué quasiment vide, laconique et lapidaire, et presque anonyme puisqu'il émane d'une agence d'information et non du bureau d'une quelconque autorité." Constatant que le rapport du coroner "ne disait rien d'autre que ce que les communiqués de la police de décembre 2005 annonçaient déjà il y a un an", ils demandent: "à quoi bon aura-t-il servi de charger 15 enquêteurs de travailler douze mois si ce n'était que pour de si maigres résultats?" Ils remarquent aussi que "toutes les questions qui s'imposaient déjà le 2 décembre écoulé restent donc posées; d'autres viennent se greffer dessus, en particulier quand on apprend que même l'avocat de la famille Bennis n'a pas pu avoir accès aux pièces contenues dans le dossier, qu'il a dû en conséquence entreprendre les démarches et procédures prévues dans la loi sur l'accès à l'information pour passer outre ce 'secret' imposé (et incompréhensible), qu'il faudra attendre au moins huit mois pour savoir si sa démarche va aboutir." Ils concluent: "Alors appelons un chat un chat: qu'y a-t-il à cacher dans l'affaire Anas Bennis? qui a intérêt à cacher ces choses et pourquoi?"(16)
Un porte-parole du Ministère de la Justice a dit à la Gazette qu'il n'y aurait aucun commentaire de plus que le communiqué. Le procureur Rondeau de Rimouski n'a pas pu être rejoint pour commenter, peut-être par "surcharge de travail" ou encore en "congé de maladie"? Quant au SPVQ, ils n'ont pas répondu aux demandes d'entrevues... Me Pierre Pâquet, l'avocat de la famille Bennis, a déclaré "on n'a rien dit à la famille depuis un an maintenant. (...) Jusqu'ici, tout ce que je reçois ce sont des portes fermées. Je me suis fait refuser tout ce qui a à voir avec l'enquête, comme si tout cela était secret. C'est très bizarre, parce que si c'est si simple qu'ils le disent, je ne vois pas pourquoi la famille ne peut pas savoir ce qui s'est passé." Même des sources au sein du SPVM se disent frustrés du manque de transparence dans l'enquête, mais pas pour la même raison: ils se disent certains que le policier a tiré pour se défendre face à une attaque non-provoquée...(17)
Dans La Presse du 8 novembre 2006, le président de la Fraternité des Policiers de Montréal, Yves Francoeur, dénonce lui-même la "procédure anormalement trop longue", disant que la durée de l'enquête pour un incident "clair comme de l'eau de roche" est "aberrant et ça envoie un mauvais message aux policiers." Tout en se disant "compatissant à la douleur du père du jeune Anas Bennis", Francoeur pense plutôt que "pendant ce temps-là, le jeune policier (...) qui a été poignardé et se voit obligé de faire feu prend ça difficilement. Le doute s'est installé dans son esprit." De son côté, le père "remet en question toute l'enquête" et affirme que "lorsqu'un citoyen entre en conflit avec un policier, c'est une loi occulte qui s'applique. Cette décision risque d'être mal interprétée par la communauté arabo-musulmane".(18)
En entrevue avec Atlas.Mtl, Me Pâquet dit que si Mohamed avait survécu, il aurait été accusé d'agression armée sur un agent de police, il aurait eu accès aux preuves et aurait eu la possibilité de contre-interroger les témoins. Il demande: "pourquoi, alors qu'il est mort, ces droits reconnus à tout citoyen ne prévalent-ils pas? Pourquoi sa famille ne peut-elle pas avoir accès au dossier?" Il explique: "j'ai quelques hypothèses en tête, j'ai entendu 27 versions différentes de l'affaire, j'ai beaucoup de questions sans réponse dans la tête; mais tout cela ne vaut pas im document, un écrit noir sur blanc, or on nous dit qu'on ne peut pas avoir accès aux écrits et cela est difficile à accepter parce que j'ai le pénible sentiment que les droits élémentaires de la victime et ceux de sa famille (...) ne sont pas respectés."(19)
Atlas.Mtl posent encore les questions suivantes: "L'opinion publique aurait aimé savoir pourquoi la copie du rapport, transmise au père de la victime et non pas au procureur de la famille comme indiqué dans le communiqué ('je n'ai jamais été contacté' affirme Maître Pâquet), est datée de janvier 2006 et n'a été communiquée aux concernés que plusieurs mois plus tard ('erreur de frappe' a-t-il été répondu officiellement à M. Bennis père). On aurait également aimé savoir pourquoi il n'est fait nulle part mention de l'existence d'un enregistrement vidéo; pourquoi aussi malgré la demande expresse de Maître Pâquet, cet enregistrement n'a pas été protégé..." Ils concluent que "en fin de compte, on a surtout le sentiment que quelqu'un, quelque part, est profondément embarrassé par cette affaire, pour des raisons qui restent à clarifier et qu'"on" ne veut absolument pas clarifier..."(20)
Le journal marocain Le Reporter pose aussi des questions pertinentes: "Comment un jeune québécois, connu pour son tempérament très calme, a-t-il pu attaquer un policier sans aucune raison? (...) Comment un jeune qui pèse 66 kilos, avec un casier judiciaire vierge, a-t-il pu constituer une menace sérieuse pour toute une équipe policière? Pour immobiliser l'agresseur, le policier n'avait-il pas la possibilité de tirer ses balles ailleurs que droit dans le coeur? Le refus de montrer le soi-disant couteau et l'enregistrement vidéo de l'incident ne laisse-t-il pas croire qu'il s'agit d'une tentative de camoufler une bavure policière à l'image de ce qui s'est passé dans le métro de Londres?"(21)
Enfin, une des principales questions sans réponse (sinon la plus importante) est celle posée par le père dès le mois de décembre 2005: «Anas est sorti de la mosquée à 6h30, il a été tué à 7h20. Mais personne n’a pu me donné de réponse sur ce qui ce passer durant ces 50 mn. Le reste est à l’avenant. La vérité reste donc à établir.»(22)
La complicité des médias de masse
Sur son blogue, "Kersplebedeb" critique aussi le rôle des médias dans toute cette affaire: "si les rôles étaient inversés (si un flic finissait abattu sous les balles de quelqu'un plaidant l'autodéfense, que le policier avait un couteau et voulait le poignarder) vous pouvez parier que le tireur aurait déjà été jugé et reconnu coupable par les médias et ne seraient certainement pas en train de marcher dans les rues. Mais dans ce cas, non seulement l'identité du tireur n'a jamais été révélée dans les médias (il nous reste donc à deviner s'ils ont un dossier connu de comportements violents ou racistes) et la version de la police de l'événement étant répétée sans critique, mais la Gazette de Montréal (pour donner un exemple) essaie essentiellement d'enterrer l'histoire (en pages A7 et A10).(23)
Il ajoute que "Encore: dans ce cas où la version policière des événements était initialement la seule version publiée dans les médias et est encore la principale version. C'est un cas où les protestations de la communauté ont été minimisées et les réassurances par les autorités n'ont pas été mises en question. C'est aussi un cas où aucun reporter n'a fait de vraie enquête de leur côté". Il note en effet que "La Gazette a tenté de minimiser cela aussi, (la reporter Ann Caroll, qui a plus tard reconnu qu'elle n'a même pas assisté à la marche, a simplement écrit que "environ 200 personnes ont manifesté") alors que d'autres médias rapportaient que "des centaines" (CTV) ou même "un millier" (Journal de Montréal) de gens se sont présentés. Aucun n'a donné la couverture qu'elle méritait", étant "la plus grosse manifestation contre une bavure policière depuis des années (...) et ce par la journée la plus froide de l'hiver". Il se demande donc: "après les protestations de masse qui ont entouré les bavures policières de jeunes Noirs comme Anthony Griffin et Marcellus François vers la fin des années 1980/le début des années 1990, et après que le COBP et d'autres groupes aient réussi plusieurs fois à attirer l'attention sur des bavures policières tout au long des années 1990... pourquoi les journalistes sont si peu enclins à défier la police et à ne pas vraiment rapporter les faits? Pourquoi est-ce que les journaux enterrent ces histoires bien plus encore qu'ils ne le faisaient il y a 20 ans? Pourquoi est-ce qu'on ne nous dit plus les noms des policiers qui tuent des gens -quand je regarde les archives de la Gazette je note que dans plusieurs cas on ne nous dit même pas les noms de leurs victimes mortes! Y a-t-il un nouveau protocole médiatique sur comment gérer les bavures policières? Voilà quelque chose sur laquelle quelqu'un devrait faire un reportage..."(24)
Autre fait intéressant, un porte-parole non-officiel ou du moins "en civil" du SPVM, "Freezbee", a publié dès le 5 novembre 2006 sur le Centre des Médias Alternatifs du Québec (CMAQ) un texte dans lequel il cite (mais sans préciser sa source): "La direction du SPVM considère que la divulgation du résultat de cette enquête est nécessaire au maintient du lien de confiance qui unit les citoyens aux policiers. Bien que nous demeurions empathique à la famille du défunt le SPVM est satisfait de la conclusion rendue par le substitut du procureur. Le service tient également à souligner que les policiers impliqués sont depuis revenus au travail et se portent bien." Il faut souligner qu'aucun communiqué officiel n'apparaît sur le site internet du SPVM, si bien que ce "communiqué" non-officiel du SPVM en exclusivité au CMAQ semble être une autre tentative de la part du SPVM ou d'un de ses agents pour convaincre les gens qui dénoncent la bavure policière que "la police a bien agi dans ce cas", d'après un commentaire de "Freezbee".(25) Il est intéressant de noter qu'un autre "Anonymous" a aussi fait le même genre de commentaires sur le blogue de "Kersplebedeb": "La raison pourquoi la Gazette ignore cette mort reliée à la police est qu'elle était 100% justifiée"...(26)
Comme le soulignent les gens d'Atlas.Mtl, l'enjeu ici est la confiance que les gens peuvent avoir (ou non) dans la police et le gouvernement. En effet, "grande est la déception d'une opinion publique communautaire fragile et vulnérable qui pourrait même perdre la confiance qu'elle accorde à ceux qui nous gouvernent et qui ont la charge de protéger notre citoyenneté et de garantir nos droits et libertés. Ceci sans parler du cynisme de l'administration qui n'a pas manqué de facturer 10 dollars à M. Bennis père pour l'envoi d'une copie du rapport du coroner et 200 dollars pour le transport du corps de Anas entre le lieu de l'incident et l'hôpital où il a rendu l'âme!"(27)
Déjà en décembre dernier, ils affirmaient que si l'hypothèse du profilage racial s'avérait vraie, "cela serait grave, très grave. (...) Cela voudrait dire aussi que, comme dans certains pays que nous ne nommerons pas, la xénophobie prend ses quartier et que la mort violente du jeune Bennis n’est que le premier, pas le dernier, «délit de faciès» que nous aurons à vivre et qui endeuillera notre vie. S’il s’avérait que cette hypothèse est la bonne et que le drame de la rue Kent trouve en partie son origine dans des éléments relevant des différences culturelles, alors ce ne serait plus les sanctions – administratives ou pénales - qui pourraient être infligées au policier impliqué qui serait importantes, mais ce que la collectivité fera pour que plus jamais une arme à feu destinée à faire prévaloir la paix, puisse servir à semer la mort et troubler la quiétude des citoyens."(28)
Arrêter la brutalité et le racisme policiers!
De notre côté, le COBP dénonce la décision du procureur James Rondeau qui est l'aboutissement de onze mois de ce à quoi on s'attendait: un "cover-up" pur et simple d'une bavure policière imprégnée de profilage racial. Tous les gens vivant à Montréal devraient avoir le droit de savoir si les agents Bernier et Roy sont réellement encore en fonction, si oui dans quelles fonctions (en bureau ou dans la rue) et s'ils sont dans la rue, dans quel quartier se promènent-ils avec leurs armes à feu? Il nous est impossible de faire confiance au SPVM qui assassine impunément, au SPVQ qui nous cachent la vérité et au Ministère de la Justice du Québec qui protège les policiers assassins. La mort de Mohamed Anas Bennis est loin d'être le premier incident du genre à Montréal: on se rappellera des cas Anthony Griffin, Martin Suazo, Richard Barnabé, Jean-Pierre Lizotte, Rohan Wilson, et de trop nombreux autres... On se rappelle aussi que le 17 février 2006, le directeur du SPVM, Yvan Delorme, annonçait dans un communiqué qu’il était « satisfait » de la décision de ne porter aucune accusation contre les agents qui ont aussi abattu par balles un homme le 4 juillet 2005.(29)
L’attitude du président de la Fraternité des policiers de Montréal, Yves Francoeur, n’aide certainement pas à faire confiance aux policiers. Il affirmait dans une lettre d’opinion suite à la manifestation du 7 janvier 2006 : « Nous comprenons très mal que l’on essaie de faire passer Montréal, un endroit où les tensions raciales, si on compare aux autres grandes villes d’Amérique du Nord, sont pratiquement inexistantes, pour une république de bananes où les policiers tirent à vue sur des citoyens, pour des raisons de coutumes vestimentaires ou de race. »(30) Il affirmait aussi en août 2006 que « les accusations de racisme (…) sont aussi gratuites que déplacées » et que « Les policiers de Montréal ne sont pas racistes. »(31) Pourtant, même Alain Kashama, joueur de football avec les Alouettes de Montréal, arrêté avec Mark Estelle la semaine dernière dans le quartier Petite Bourgogne, affirmait que « Oui, c’est du racisme » (dont ils ont été victimes) et que « C’est comme ça que ça se passe quand des Noirs conduisent de belles voitures… »(32)
Il est plus que temps d’ouvrir une enquête publique et indépendante sur la mort de Mohamed Anas Bennis, avant que le SPVM ne fasse d’autres victimes. Une semaine après la mort de Mohamed, le président de la Fraternité des policiers de Montréal affirmait que « bannir les armes de poing est une excellente idée » et que « la Fraternité appuie depuis des années les initiatives visant à mieux contrôler les armes à feu et à augmenter la longueur des peines pour les criminels qui utilisent des armes à feu. »(33) Le COBP aussi trouve que ce serait une excellente idée que le SPVM montre l’exemple en arrêtant d’utiliser des armes à feu et en condamnant les policiers assassins.
Ce qui est certain, c'est que la lutte pour arrêter la brutalité policière est loin d'être terminée! D'ailleurs, cette lutte n'a pas de frontières, car partout où la police existe elle tue des gens: à Oaxaca au Mexique, en Colombie, partout... Comme ils disent en Colombie : Pour toutes les victimes de violence de l’État, pas une minute de silence, toute une vie de lutte!
(1) "Aucune accusation criminelle ne sera déposée à la suite du décès de monsieur Mohamed Annas Bennis": http://communiques.gouv.qc.ca/gouvqc/communiques/GPQF/Novembre 2006/04/c8616.html
(2) Pour plus de détails, voir le communiqué du COBP publié le 5 janvier 2006 sur le CMAQ, "Affaire Mohamed Anas: Un policier tue un jeune marocain à Côte-Des-Neiges": http://www.cmaq.net/fr/node/23288
(3) Fabrice de Pierrebourg, "Abattu par la police en pleine avenue Kent, il venait de poignarder le policier", Journal de Montréal, 2 décembre 2005.
(4) "L'affaire Anas: Un marocain tué par la police au Canada": http://www.lereporter.ma/IMG/_article_PDF/article_186.pdf
(5) "Le fil des événements", Atlas.Mtl, No 30, janvier 2005-décembre 2006, p. 4: http://www.atlasmedias.com/Atlas/journal30page4.pdf
(6) "Mais que s'est-il réellement passé rue Kent ce matin-là?", Atlas.Mtl, No 30, janvier 2005-décembre 2006, p. 5: http://www.atlasmedias.com/Atlas/journal30page5.pdf
(7) Hugo Meunier, "Jeune homme abattu par la police à Montréal, La communauté marocaine se mobilise", La Presse, 29 décembre 2005, http://www.cyberpresse.ca/article/20051229/CPACTUALITES/512290416/5155/CPACTUALITES
(8) "Communiqué de presse sur la mort de Mohammed Anass Bennis, abattu par un policier à Montréal", Bel Agir, Montréal, 10 décembre 2005: http://www.belagir.ca/fr/images/stories/Communiques/manifestation_report_e.pdf
(9) "Votons contre Coderre! Déportez Denis Coderre, alias 'monsieur certificat de sécurité', du parlement": http://indaily.net/?p=133
(10) Katherine Wilton, "Details of Shooting by Cops to be Held Till After Probe", Montreal Gazette, 10 janvier 2006: http://www.caircan.ca/mw_more.php?id=P2231_0_7_0_C
(11) Fabrice De Pierrebourg, "Enquête/Des questions, La famille gardée dans l'ignorance", Le Journal de Montréal, 25 septembre 2006: http://www.canoe.qc.ca/infos/societe/archives/2006/09/20060925-093710.html
(12) "Aucune accusation criminelle ne sera déposée à la suite du décès de monsieur Mohamed Annas Bennis": http://communiques.gouv.qc.ca/gouvqc/communiques/GPQF/Novembre 2006/04/c8616.html
(13) "Rapport du coroner", copie conforme, Noël Ayllon, Montréal, 31 janvier 2006, publié dans Atlas.Mtl, No 44, 9 novembre 2006, p. 4: http://www.atlasmedias.com/Atlas/journal44page4.pdf
(14) Ibid.
(15) "Family not given a copy of report on son's death", Montreal Gazette, 7 novembre 2006: http://www.canada.com/montrealgazette/news/story.html?id=582e28dd-d13a-4718-af48-b2f836fec169&k=89680
(16) "Affaire Anas Bennis, Un an après...", Atlas.Mtl, No 44, 9 novembre 2006, p. 4: http://www.atlasmedias.com/Atlas/journal44page4.pdf
(17) Paul Cherry, "Police officer cleared after bizarre shooting, Investigation cloaked in secrecy. No criminal charges will be laid against cop after he fatally shot man who stabbed him", Montreal Gazette, 7 novembre 2006: http://www.canada.com/montrealgazette/news/montreal/story.html?id=81c23a51-28fe-41f1-b472-ea647e71438b
(18) Fabrice de Pierrebourg, "Mort d'Anas Bennis, La thèse de la bavure policière écartée", La Presse, 8 novembre 2006: http://www2.canoe.com/infos/societe/archives/2006/111108-063107.html
(19) "Affaire Anas Bennis, Les questions qui se posent encore, Entretient avec Maitre Pierre Pâquet, avocat de la famille Bennis", Atlas.Mtl, No 44, 9 novembre 2006, p. 5: http://www.atlasmedias.com/Atlas/journal44page5.pdf
(20) Ibid.
(21) "L'affaire Anas: Un marocain tué par la police au Canada": http://www.lereporter.ma/IMG/_article_PDF/article_186.pdf
(22) "Un appel du père de la victime", Atlas.Mtl, No 30, p. 4: //www.atlasmedias.com/Atlas/journal30page4.pdf
(23)"Kersplebedeb", "Protesting the Police Killing of a Young Mulsem in Montreal", 7 janvier 2006: http://sketchythoughts.blogspot.com/2006/01/protesting-police-killing-of-young.html
(24) "Kersplebedeb", "The Police Insist: "We are Professionals And We Have No interest In Hiding Anything", 10 janvier 2006: http://sketchythoughts.blogspot.com/2006/01/police-insist-we-are-professionals-and.html
(25) "Freezbee", "Montréal: Résultat de l'enquête sur une personne arabe abattue par la police" et "réponse", 5 novembre 2006: http://www.cmaq.net/fr/node/25922
(26) "Anonymous", 6 février 2006, 12h20AM: http://sketchythoughts.blogspot.com/2006/01/lying-with-numbers-at-montreal-gazette.html
(27) "Affaire Anas Bennis, Les questions qui se posent encore", Atlas.Mtl, No 44, 9 novembre 2006, p. 5: http://www.atlasmedias.com/Atlas/journal44page5.pdf
(28) "Mais que s'est-il réellement passé rue Kent ce matin-là?", Atlas.Mtl, No 30, janvier 2005-décembre 2006, p. 5: http://www.atlasmedias.com/Atlas/journal30page5.pdf
(29) « Deux policiers exonérés à la suite de la politique ministérielle du 4 juillet 2005 », SPVM, 17 février 2006 : http://www.spvm.qc.ca/fr/documentation/3_1_2_communiques.asp?noComm=325
(30) Yves Francoeur, « Restons calmes! », Fraternité des policiers de Montréal, 13 janvier 2006 : http://www.fppm.qc.ca/intro/intro.html
(31) « Les accusations de racisme contre les policiers de Montréal : la Fraternité en a ras-le-bol », Fraternité des Policiers de Montréal, 7 août 2006 : http://www.fppm.qc.ca/flute/docs/2006/CommuniquedemissionPhilip.pdf
(32) François Ferland, « Kasnama et Estelle s’en sortent sans accusations », Le Journal de Montréal, 9 novembre 2006.
(33) « Bannir les armes de poing est une excellente idée… », Fraternité des policiers de Montréal, 8 décembre 2005 : http://www.fppm.qc.ca/intro/intro.html
[ EDIT (Mic. pour le CMAQ) * lien-titre ultra long, donc j'ai placé le sous-titre sous le lien-titre. * Mis titre en minuscules * ajout de lignes entre les paragraphes et mis en gras le titres des sections * ajout des thèmes: Droits & Libertés | Racisme ]
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