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Le nucléaire pacifique ou de l'importance de la contestation

pythagore, Dimanche, Octobre 29, 2006 - 14:46

André Pelchat

Il vaut mieux se servir de la liberté d'expression pendant qu'elle xiste, si on en juge par les récentes attaques dont elle fait l'objet, de Kelly-Gagnon aux SLAPP. On peut parfois en oublier l'importance. Un petit rappel historique n'est pas inutile : si vous croyez que les critiques coûtent cher, voyez ce qui arrive en leur absence.

L’inquiétude gagne depuis peu certains groupes environnementaux et communautaires devant la multiplication des SLAPP (Strategic Lawsuits against Public Participation), poursuites engagées généralement par les promoteurs de projets controversés pour empêcher qu’on critique publiquement les projets en question. La stratégie repose sur la précarité financière des organismes visés qui n’ont tout simplement pas les moyens d’avoir recours aux tribunaux : leurs budgets ne leur permettent pas de payer des avocats et un organisme n’a pas droit à l’aide juridique.

La multiplication de cette pratique par les entrepreneurs prend une couleur particulière lorsqu’on la regarde à la lumière des déclarations récentes du président du Conseil du Patronat, M. Kelly-Gagnon, réclamant qu’on cesse de subventionner les organismes qui critiquent les « grands projets » et de la revendication de la Fédération des Chambres de commerce, qui voudrait que le gouvernement crée un processus d’évaluation des projets qui ne permette aucune critique qui vienne d’ailleurs que des milieux financiers et entrepreneuriaux. Et, finalement, s’ajoute à cette suite d’attaques, l’abolition par le gouvernement fédéral du Programme de Contestation judiciaire qui permettait à des citoyens-nes de faire valoir leurs droits malgré les coûts prohibitifs du système judiciaire.

De plus en plus, se dessine une offensive générale visant à étouffer toute possibilité de contestation des grandes orientations voulues par les cercles dominants de nos sociétés (État, transnationales et institutions financières). Le prétexte de cette grogne calculée a été l’abandon de quelques gros projets « Suroît, déménagement du casino), contestables au demeurant. Les groupes communautaires sont devenus des « professionnels de la contestation » et des tenants de « l’immobilisme ».

On comprend nos « décideurs » d’envier un peu Kim Jong-il qui, il est vrai, n’a pas eu à affronter un barrage de critiques de la société nord-coréenne, avant de procéder à son récent essai nucléaire.

Il faut, à tout prix, encourager les citoyen-nes à résister à de telles orientations et inciter les partis politiques à prendre position sur le sujet, car il ne manque pas d’exemples historiques pour démontrer les coûts, même pas toujours cachés, d’un pouvoir qu’il est impossible de critiquer.
Un des meilleurs exemples nous vient des très contestatrices années 1960 : les projets « Plowshare » et « Chagan ».
Dans les décennies qui suivirent la Seconde Guerre Mondiale, les agences responsables de l’énergie nucléaire (à l’époque on disait « atomique ») dépensèrent des trésors d’imagination pour donner une image « pacifique » à leur nouveau jouet. Outre la production d’électricité, ola Commission américaine de l’Énergie Atomique (AEC) créa le programme « Plowshare ». Il s’agissait d’utiliser le pouvoir explosif de la bombe atomique à des fins de génie civil, soit de remplacer la dynamite par des bombes nucléaires pour, par exemple, creuser en quelques jours un nouveau canal de Panama… On parlait de « planetary engineering » (génie planétaire).
Le premier projet spécifique était moins ambitieux : il s’agissait de creuser un nouveau port sur la côte occidentale de l’Alaska en y faisant exploser cinq bombes, chacune représentant plusieurs fois la puissance de celle qui avait anéanti Hiroshima. Cela s’appelait le projet « Chariot ».
Le programme fut à peine connu que les Soviétiques en produisaient un calque, le programme « Explosions nucléaires pacifiques pour l’Économie nationale ». Le premier projet s’appelait Chagan et consistait à utiliser des bombes atomiques pour creuser un vaste réservoir dans le Kazakhstan.
Évidemment, lorsque le projet « Chariot » fut annoncé en Alaska, la population locale, à commencer par le peuple Inupiat, ne fut pas enchantée. Elle le fut encore moins lorsque des biologistes arrivèrent sur les lieux, expliquant les dangers de la radioactivité. Les citoyen-nes de l’Alaska ameutèrent leurs représentants et sénateurs à la Législature de l’État et au Congrès. Le mouvement environnementaliste, encore embryonnaire, fit campagne contre le projet. Finalement, celui-ci fut abandonné.
On se doute que les homologues soviétiques de l’AEC ne rencontrèrent pas les mêmes problèmes. Pas de « professionnels de la contestation » en URSS ! Le projet Chagan fut donc réalisé.
Le résultat existe encore aujourd’hui : un vaste lac peu profond, encombré de limon et d’algues, toxique et complètement inutile.
Qu’est-ce qui a fait la différence entre les deux situations ? Certainement pas le projet gouvernemental, puisque c’était exactement le même.
Par contre, il n’y avait personne en URSS pour oser favoriser « l’immobilisme » en tenant un discours critique sur le projet !
Ici nous n’avons rien vécu d’aussi tragique, si ce n’est que quelques « immobilistes » de plus dans les années 60-70 nous auraient peut-être épargnés quelques éléphants blancs tels que le Stade Olympique et l’aéroport de Mirabel.
Réflexion pour les Bouchard, Kelly-Gagnon et autres…

André Pelchat

Voir:Nuclear Dynamite, Face to Face Media/National film board of Canada. Vancouver/Montreal 2000. 52 min.

André Pelchat


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