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Des boucliers humains et plus d’effets collatéraux par Jorge MajfudAnonyme, Lundi, Juillet 31, 2006 - 12:07 (Analyses | Culture | Democratie | Droits / Rights / Derecho | Globalisation | Guerre / War | Racism | Repression | Solidarite internationale)
Jorge Majfud
Lundi passé le 17 (juillet 2006), à une élégante table, le président Bush se croyant dans l’intimité, dit à Tony Blair lequel arborait une cravate rosée, émoussée, propre et anglaise : « What they need to do is get Syria to get Hezbollah to stop doing this sh…, and it’s over » (Ce qu’ils ont à faire c’est d’obliger la Syrie pour qu’elle dise au Hezbollah d’arrêter cette merde, et ça se termine). On se référait au nouveau conflit, bombardement, massacre, absurde entre Israël et le Liban, ou entre Israël et le Hezbollah – ce point n’est pas clair. Le journal anglais Daily Mirror, se scandalisant, titula : ‘’ Bush, commence par respecter notre ministre ‘’. Au contraire, de l’autre côté de l’Atlantique, dans un pays où l’on prohibe l’utilisation de mauvais mots, le réputé leader religieux Pat Robertson, qu’il n’y a pas si longtemps recommandait de tuer ou de séquestrer un président Sud-Américain, dit à CBN (Christian Broadcasting Network) : ‘’ All this time we have been wasting money, shooting guns et getting our soldiers killed when we really need was to look them squarely in the eye and say : ‘’ Your mamma can kiss my ass! ‘’ or something like that ‘’. ( Tout ce temps nous avons dépensé de l’argent, tirant des obus et voyant nos soldats mourir, lorsque ce que nous avions réellement besoin de faire était de les regarder directement dans les yeux et leurs dire : ‘’ Ta mère peut me baiser le cul ‘’, ou quelque chose comme ça ). En 1941, Erich Fromm psychanalysait ( dans La peur de la liberté ) que l’or équivalait à la merde, et la rétention de cette dernière chez l’enfant préfigurait le caractère du capitalisme. A partir de ce point de vue de la critique historique, le président des États-unis, en quelque chose a raison : cela est une merde. Oh, nous ne somme pas aussi fins; quoique les toilettes aient des robinets d’or, la civilisation encore se languit sur ses cloaques. Mais allons au but. J’ai toujours défendu le droit d’Israël à se défendre. Je n’ai jamais hésité à publier un essai, ou quoique ce soit, signalant les contradictions et la maladie morale de l’anti-sémitisme. Et je continuerai à le faire parce que, de quelque façon, je ne peux transiger, en quelque chose je suis intolérant : au-dessus de quelconque secte, au-dessus de quelconque arbitraire division, au-dessus de quelconque médiocre et arrogant fanatisme, racisme, sexisme, classicisme, au-dessus de quelconque sentiment de supériorité de noblesse héréditaire, l’humanité est une seule, une seule race. Une race toujours malade, mais c’est la seule que nous avons et à laquelle nous ne pouvons cesser d’appartenir, quoique souvent nous enviions la vie plus franche des chiens. Malgré tout cela, je ne pourrai jamais justifier le massacre d’un seul innocent et encore moins de centaines, sous l’argument qu’à travers eux se trouve quelque terroriste. Cette dialectique maintenant est un disque rayé, pendant que les victimes, prises au hasard, sont presque en totalité les innocents, la masse, les anonymes, qu’ils soient arabes ou juifs, irakiens ou américains, macuas ou macondes. Chaque fois que meure un chef rival, bien sûr, on s’en sert afin de justifier le succès de toute cette horreur. Celui qui met une bombe et tue dix, cent personnes est un monstre, un terroriste. Mais tuer cent innocents avec des bombes plus « intelligentes », au loin et à partir d’en haut : peut-être en résulte-t-il une prouesse du Droit International et du Progrès pour la Paix ? Les terroristes sont des criminels parce qu’ils utilisent des boucliers humains; et les autres leaders ( que je ne sais comment les nommer ) : ne sont-ils pas également des criminels à bombarder ces ‘’ boucliers ‘’ comme s’ils étaient des murailles de pierres et non de chair innocente d’un peuple ? Parce que si nous disons que ces enfants, ces jeunes, ces personnes âgées et ces femmes, qu’ils ne sont même pas « innocents », nous sommes alors aussi malades que les terroristes. Avec une touche d’hypocrisie, bien sûr. Maintenant que pouvons-nous espérer d’un peuple bombardé ? L’amour du prochain ? De la Compréhension ? Bien plus : pourrons-nous espérer un minimum de rationalité de quelqu’un qui a perdu sa famille éclatée sous une bombe, même si c’est une bombe chargée du Droit, de la Justice et de la Morale ? Nous ne pouvons espérer ce miracle d’aucune des deux parties. La différence est – nous le supposons – que pour un terroriste aucun type de rationalité et de compréhension de l’autre partie ne l’intéresse, pendant qu’il nous faudrait supposer que l’autre partie fasse appel à cette faculté humaine, sinon comme valeur éthique au moins comme stratégie de survie, ou de convivialité, ou de certaines de ces choses nobles que nous entendons toujours dans les discours. Cette carence de la rationalité face à la haine humaine est un triomphe de la terreur. Ceux qui la créent ou l’alimentent sont responsables, peu importe qui a commencé. Afin que notre pessimisme soit complet, chaque escalade de violence sans discrimination dans le monde est la meilleure mise en garde et la plus parfaite excuse pour que d’autre noctambules comprennent le message : mieux vaut un suspect bien armé qu’un innocent sans arme. Comme ces politiciens « démocratiques » qui obtiennent l’obéissance aveugle de leurs partisans sur la base de la peur de l’adversaire, les terroristes au pouvoir aussi obtiennent de leurs partisans cette semence de la haine. La haine est le venin le plus démocratique dans lequel agonise l’humanité; nous nous doutons qu’il sera impossible de l’extirper de notre espèce mais aussi nous savons que, malgré son discrédit post-moderne, seule la rationalité est capable de la contrôler à l’intérieur des réduits infernaux du subconscient individuel et collectif. Le président des États-unis s’est plaint que Kofi Annan, le secrétaire général des Nations Unies, était partisan d’un cessez-le-feu immédiat. ‘’ Je crois que cela est suffisant afin de régler le problème ‘’. Non, bien sûr. Quand une mesure fut-elle suffisante pour résoudre les tueries dans le monde ? Mais cesser de tuer est quelque chose, non ? Ou considériez-vous que deux cent personnes tuées en une semaine soit à peine un détail ? Serait-ce seulement un détail si la moitié de ceux-ci parlaient anglais ? En 1896, Angel Gavinet, dans son livre Idearium espagnol, observa avec scepticisme et amertume : ‘’ Une armée qui lutte avec des armes de grande portée, avec des mitrailleuses à tirs rapides et des canons de gros calibres, quoiqu’elle laisse le champ parsemé de cadavres, est une armée glorieuse; et si les cadavres sont de race noire, alors on dit qu’il n’y en a pas tant. Un soldat qui lutte au corps à corps et qui tue son ennemi d’un coup de baïonnette, commence à nous paraître brutal; un homme vêtu en civil, qui se bat et tue, nous apparaît un assassin. Nous ne nous arrêtons pas sur le fait. Nous nous arrêtons sur l’apparence. Ma thèse a toujours été la suivante : ce n’est pas vrai que l’histoire toujours se répète; elle se répète toujours. Ce qui ne se répète pas ce sont les apparences. Ma première observation non plus n’a pas changée : la violence sans discrimination non seulement sème la mort mais, ce qui est encore pire, la haine. Jorge Majfud, juillet 2006 · Jorge Majfud. Écrivain uruguayen (1969). Il étudia l’architecture à l’Université de la République où il gradua. A l’heure actuelle, il se dédie intégralement à la littérature et à ses articles dans différents médias. Il enseigne la littérature latino-américaine à l’Université de Géorgie, aux États-Unis. Il a publié « Hacia qué patrias del silencio » (roman, 1996), « Crìtica de la pasiòn pura » (essai, 1998), « La reina de America » (roman, 2001), « El tiempo que me tòco vivir (essai, 2004). Il est collaborateur à La Repùblica, à La Venguardia, à Rebellion, à Resource Center of The Americas, à Revista Iberoamericana, à Eco Latino, au Centre des Médias Alternatifs du Québec, etc. Il est membre du Comité Scientifique de la revue Araucaria de Espana. Ses essais et articles ont été traduits en anglais, français, portugais et en allemand. Traduit de l’espagnol par : Pierre Trottier, juillet 2006 |
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