|
Répression au Mexique : violence d’Etat vs résistance populaireBelle Z?ɬ, Samedi, Mai 13, 2006 - 01:04
Belle Zébuth
Il y a une semaine, le 3 mai dernier exactement, le Mexique s’est encore distingué par sa capacité a réprimer les mouvements sociaux contestant l’ordre social existant. La violence d’Etat qui s’exerce systématiquement sur les organisations sociales produisant un autre discours que celui produit à la fois par l’Etat et les médias affiliés, s’est incarnée le 3 mai dernier lors de la répression dont ont fait l’objet les vendeurs de fleurs de la municipalité de Texcoco, dans l’état de Mexico, à une trentaine de kilomètres de la capitale. Alors qu’ils s’étaient regroupés afin de dénoncer le projet d’installation d’un centre commercial Wal Mart sur le site du marché où ils exercent traditionnellement leurs activités, les forces policières, sur ordre du maire de la ville, ont violemment réprimé le mouvement de contestation. « Que ferais-tu si, parce que tu veux travailler pour nourrir ta famille, ils te frappent, ils te tirent dessus, ils violent ta sœur et ta mère, et emprisonnent tes fils? » Extrait du communiqué du Front des Peuples en Défense de la Terre de San Salvador Atenco, paru le 7 mai 2006. Les habitants de la ville voisine d’Atenco –une ville qui s’est fortement mobilisée en 2002 contre le projet de construction d’un nouvel aéroport pour la ville de Mexico- se sont joints aux vendeurs de fleurs : le Front des Peuples en Défense de la Terre de San Salvador Atenco, crée lors de cette mobilisation, a soutenu les vendeurs de fleurs de Texcoco, première zone de production florale au Mexique. La répression dont ont fait l’objet les militants témoigne de la disproportion totale entre les forces militantes en présence et la police surarmée : jeudi 4 mai, la ville d’Atenco a été envahie par 3000 officiers de police. Le dernier bilan fait état de deux morts, dont un adolescent de 14 ans atteint d’une balle de calibre 38. Non seulement plus de 200 personnes ont été arrêtées et placées en détention, mais des dizaines de manifestants sont toujours portés disparus. Comme l’indique le communiqué du Front des Peuples en Défense de la Terre de San Salvador Atenco, paru le 7 mai : « il y a des dizaines de disparus, qui ont été emmenés par la police, mais qui ne se trouvent dans aucune prison, dans aucun hôpital. L’Etat et son appareil, les médias de communication, qui leur baisent les pieds, ont les mains tachées par le sang du peuple. » A ces arrestations et disparitions arbitraires s’ajoutent des cas de viol pratiqués par les forces de police sur des manifestantes. Samantha Dietmar, une jeune photographe allemande, qui couvre l’Autre Campagne depuis le mois de janvier, a été arrêtée à son hôtel, puis placée en détention dans une prison pour femmes en périphérie de Mexico. Un avocat spécialiste des droits de l’homme, qui a pu la rencontrer alors, a rapporté qu’elle avait été battue par les forces de police. A l’image de nombreux ressortissants étrangers présents lors des manifestations et disposant d’un visa en règle, la jeune photographe va probablement être expulsée du territoire mexicain. L’avocat qui a pu s’entretenir avec Samantha Dietmar a également mentionné qu’au moins cinq femmes avaient été violées par les forces de police lors de leur transfert vers les centres de détention. Cette vague d’arrestations brutales a entraîné dans l’après midi du 3 mai l’émission par l’Armée Zapatiste de Libération Nationale d’une Alerte Rouge, ce qui signifie la fermeture des « Caracoles » et des municipalités autonomes. Les étudiants se sont joints à des manifestations pour dénoncer la violence pratiquée par le pouvoir politique mexicain à l’encontre des manifestants d’Atenco. On peut penser par exemple aux blocages qui ont lieu à Mexico organisés par des étudiants de l’Unam (Université Autonome de Mexico, cette même université qui a organisé en 1999 la plus longue grève qu’ait connu une université en Amérique Latine). Le vendredi 5 mai, l’EZLN et des associations de travailleurs et d’étudiants ont organisé une manifestation allant de l’Université de Chapingo jusqu'à la ville de Texcoco. Alors que les manifestants étaient environ 2000 au départ de la manifestation, leur nombre a été multiplié par 5 à leur arrivée à Texcoco, comme en témoignent certains journalistes présents sur place. Aussi, le mouvement de résistance amorcé depuis le 3 mai concerne non seulement le Mexique, mais il tend à s’internationaliser. En effet, de nombreux comités de soutien au mouvement zapatiste ont organisé des piquetages et des manifestations devant les représentations diplomatiques du Mexique, exigeant la libération des prisonniers politiques et le départ des forces de police et de l’armée de la ville d’Atenco. On peut citer notamment les villes de Buenos Aires, New York, Los Angeles, San Antonio, Paris, Berlin, Londres et Montréal, entre autres. Il s’agit en effet pour ces mouvements de solidarité de dénoncer à la fois la répression dont font l’objet les organisations proches de l’Autre Campagne, mais également la politique de désinformation entretenue – dans leur quasi majorité- par les médias mexicains et internationaux. A l’exception des médias alternatifs, tels Indymedia ou le journal La Jornada (à Mexico), les médias n’ont absolument pas fait mention de la vague de répression que subissent directement les membres de l’Autre Campagne. * La volonté d’effacement et de disqualification des mouvements sociaux participe d’une entreprise de démobilisation opérée par un trio fonctionnant sur le mode de l’échange de bons procédés, à savoir l’Etat, les entreprises et les médias privés. Il convient de rappeler que cette violence d’Etat intervient à la croisée de deux campagnes : la campagne présidentielle d’une part, et le voyage itinérant entrepris à travers les états mexicains par l’EZLN dans le cadre de l’ « Autre Campagne », d’autre part. Actuellement au Mexique, ce sont deux projets de société diamétralement opposés qui s’affrontent, dans des conditions de lutte parfaitement inégales (en termes de capital financier et médiatique en particulier). On a d’une part, une entreprise de séduction destinée à reproduire un ordre social caractérisé par la répression et la criminalisation des luttes autochtones, en particulier, et de tous les mouvements alternatifs en général, et d’autre part un mouvement horizontal visant à la réappropriation des espaces de production, de parole et de débat politique, dans le droit fil de la Sixième Déclaration de la Foret Lacandone de juillet 2005. Un mouvement qui a refusé la voie formelle de participation politique, c’est-à-dire le système des partis et qui s’est engagé dans une logique de dissociation avec le pouvoir politique traditionnel. C’est pourquoi, la répression qui s’exerce aujourd’hui sur les mouvements proches, ou appartenant à l’Autre Campagne initiée par l’EZLN, peut être comprise comme une volonté de réaffirmation de la toute puissance de l’État, par la voix de son président actuel issu du Parti d’Action Nationale, Vicente Fox, sur les mouvements contestant l’ordre social existant. En ce sens, l’Etat mexicain est une entreprise (fonctionnant sur le mode du « partenariat public-privé ») qui facilite l’installation d’autres entreprises –bien privées- sur des territoires appartenant originellement aux communautés autochtones (entre autres). La tentative de mise au pas des mouvements sociaux mexicains par le pouvoir politique en place est d’autant moins surprenante que la ville de San Salvador Atenco a reçu, quelques jours avant l’intervention des forces policières, le sous commandant Marcos, dans le cadre de la caravane entreprise par l’Autre Campagne à travers le pays. L’Etat mexicain, se sentant ainsi concurrencé par des mouvements proposant une autre définition de la politique et de l’existence en général (une existence qui ne soit pas l’accomplissement en règle du supposé paradis sur terre capitaliste), s’inscrit dans une posture répressive nette, faisant ainsi fonctionner à plein son pouvoir de coercition. Comme l’explique le Front des Peuples en Défense de la Terre : « La brutalité policière, les agressions, les coups, le lynchage médiatique des médias lèche-bottes des puissants, l’emprisonnement, et l’assassinat dont nous avons été victimes, nous, habitants du Front des Peuples en Défense de la Terre, les 3 et 4 mai, font partie de cette guerre que le gouvernement a renforcé sans pitié contre le peuple et les organisations sociales qui résistent. » La répression entreprise par l’Etat mexicain est d’autant plus forte que l’Autre Campagne peut être comprise comme la volonté de dépasser le cadre de la simple lutte autochtone circonscrite à un territoire donné, c’est-à-dire une lutte localisée. Ainsi, la volonté d’unir au mouvement zapatiste les travailleurs et les étudiants mexicains, confère à l’organisation une stature nationale, voire internationale, dans le cadre d’une lutte à la fois locale et globale, d’où la volonté du pouvoir politique en place d’anéantir les mouvements naissants. « Nous avons défini une ligne très claire : une ligne de gauche et anticapitaliste. Pas du centre, pas de droite modérée, pas de gauche rationnelle et institutionnelle. » Le sous-commandant Marcos, lors d’un discours à San Cristobal de Las Casas, première étape du voyage itinérant entrepris par l’EZLN dans le cadre de l’ « Autre Campagne ». En effet, les problématiques abordées par l’EZLN, telles la question de l’appropriation des ressources (une thématique majeure, en particulier en Amérique Latine), les modalités de la mobilisation politique, les luttes sociales (etc.) trouvent des prolongements certains à l’échelle des Etats, qu’ils soient situés en Amérique du Nord ou en Europe. La domination traditionnellement exercée sur les populations conjointement par l’Etat, les entreprises privées et l’armée, qui assurent leur reproduction par des mécanismes de contrôle social coordonnés, se voit remise en cause par des groupes dénonçant les phénomènes de violence structurelle qui caractérisent l’Etat mexicain. Des groupes qui remettent ainsi en question le primat des intérêts financiers sur les droits humains et la confiscation de la décision politique par des instances supposément représentatives. Aussi, malgré les paravents subtils dont l’Etat mexicain se dote (et instrumentalise) lors de rencontres internationales afin de se présenter comme un garant des droits humains, et plus spécifiquement des droits autochtones , il n’en reste pas moins qu’il demeure encore aujourd’hui un Etat répressif qui assure les conditions de possibilité pour l’installation d’entreprises étrangères qui dépossède les locaux. Car ce qui se joue en ce moment, c’est la définition même de l’Etat mexicain. La violence physique qu’il exerce par le biais de sa police et de son armée sur les mouvements contestataires n’étant pas perçue et vécue comme légitime, c’est son statut même d’Etat qui est remis en cause . Ainsi, la répression dont ont fait l’objet les vendeurs de fleurs associés aux habitants d’ Atenco, cristallise bien la volonté de l’Etat mexicain d’écrasement des mouvements sociaux. Mais que l’on se rassure! Comme l’a si bien dit Vicente Fox –interrogé par un journaliste au sujet de la répression à Atenco- lors de la Conférence de presse du 12 mai 2006 donnée à l’occasion de la Quatrième Rencontre entre l’Amérique Latine et l’Europe à Vienne: « mon gouvernement a profondément respecté les droits humains (…) nous disposons aujourd’hui au Mexique d’une liberté d’expression totale (…) La démocratie et la liberté sont les deux piliers fondamentaux de la nouvelle société mexicaine, dans le respect total des droits de l’homme, dont nous disposons aujourd’hui au Mexique. » C’est exactement la réflexion qu’ont du se faire dans leur cellule les 250 détenus et les femmes violées froidement dans les fourgons de police. « La lucha sigue » |
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Ceci est un média alternatif de publication ouverte. Le collectif CMAQ, qui gère la validation des contributions sur le Indymedia-Québec, n'endosse aucunement les propos et ne juge pas de la véracité des informations. Ce sont les commentaires des Internautes, comme vous, qui servent à évaluer la qualité de l'information. Nous avons néanmoins une
Politique éditoriale
, qui essentiellement demande que les contributions portent sur une question d'émancipation et ne proviennent pas de médias commerciaux.
|