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Qu’est-ce qui se passe ? Intervention du réseau mayday Paris lors du 1er mai des précaires 2006

Anonyme, Jeudi, Mai 11, 2006 - 09:05

Texte lu à plusieurs voix à Paris, Place de la République, le 1er mai 2006 vers 20h30

Qu’est-ce qui se passe ? [1]
En novembre 2005, des révoltes se propagent dans la plupart des villes de France suite à la mort de deux adolescents poursuivis par la police. Des milliers de voitures sont brûlées, et avec elles des dizaines de bâtiments publics, des concessionnaires automobiles, des entrepôts. Des supermarchés sont pillés...L’état d’urgence est décrété 50 ans après l’avoir été pendant la guerre d’Algérie. Il y a plusieurs milliers d’interpellations, plus de 700 insurgés sont condamnéEs à des peines de prison ferme.

Qu’est-ce qui se passe ?

Des rafles de sans papiErEs se systématisent dans les rues et dans des foyers de travailleurs migrants. Après plusieurs incendies provoquant des dizaines de mortEs, une vague d’expulsions de mal logéEs est mise en œuvre. Des policiers rentrent dans des établissements scolaires pour rechercher des mineurEs sans papiers. Les expulsions par charters se multiplient, des familles sont séparées. Le maire d’une ville d’Alsace fait détruire par le feu un campement de gens du voyage.

Qu’est-ce qui se passe ?

En septembre des stagiaires se regroupent et luttent pour faire connaître leur situation et conquérir des droits. L’exploitation dont ils et elles font l’objet est largement répandue. Ils et elles constituent, avec la complicité des universités, des écoles et des organismes de formation, une armée de réserve pour les entreprises, les associations et le secteur public : plusieurs centaines de milliers de travailleurs sans droits, pas même le droit à un salaire. Ils et elles envahissent les rues, organisent des actions publiques, portant un masque blanc qui rappelle les dangers de s’exposer à une lutte quand votre vie, vos études, votre avenir est soumis à l’arbitraire d’un employeur.

Qu’est-ce qui se passe ?

En décembre une nouvelle convention UNEDIC d’assurance chômage est imposée par le MEDEF et la CFDT. Le gouvernement agrée cette convention qui aggrave encore la situation de touTEs les salariéEs confrontéEs au chômage et les rend responsables de leur situation. Les occupations menées par des intermittentEs, des précaires, des chômeurSEs, se multiplient : des Assedic, des ANPE, des CAF, des DDTE, le ministère de la Culture, celui des Finances, l’Opéra Comique, des locaux CFDT etc. Des actions collectives contre des radiations, des suspensions de paiement d’allocations ont lieu de plus en plus régulièrement.

Qu’est-ce qui se passe ?

En réponse aux révoltes de novembre, le gouvernement décide de monter un projet de loi dit de « l’égalité des chances » qui prévoit entre autres l’apprentissage à quatorze ans, le travail de nuit dès quinze ans, la suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire et un contrat de travail spécifique pour les jeunes de moins de 26 ans : le CPE. Comme le contrat nouvelle embauche - CNE -, il offre aux entreprises la possibilité d’embaucher à l’essai pour deux ans des salariéEs dont elles peuvent se débarrasser à tout instant sans verser de relicat de salaire, ce que le CDD ne permet pas. Le projet de loi est adopté selon une procédure d’urgence qui évacue tout débat parlementaire.

Qu’est-ce qui se passe ?

En mars, des travailleuses et travailleurs du sexe manifestent dans la rue et organisent plusieurs actions d’interpellation des dirigeantEs. Elles et ils luttent notamment pour conquérir le droit d’exercer leur métier et se battent contre la loi sur la sécurité intérieure, dont une des dispositions pénalise le « racolage passif ». Ce nouveau délit expose d’avantage les prostituéEs à l’arbitraire policier : arrestations sans fondement, confiscation de préservatifs et des camions où elles et ils travaillent, viols ; elles les obligent à se déplacer dans des lieux plus éloignés, les rendant plus vulnérables aux violences des clients. Les étrangErEs sans papiers sont tenuEs de dénoncer leur proxénète éventuel si elles veulent éviter une expulsion. Alors même que ce nouveau mouvement de visibilité prend de l’ampleur, la seule réponse du gouvernement est d’accroître la répression ; celle de l’opposition, de proposer « d’en finir » avec la prostitution, sans se soucier de la parole des premiErEs concernéEs.

Qu’est-ce qui se passe ?

La politique de contrôle et de radiation des chômeurs s’intensifie. En une semaine, six ANPE et une ASSEDIC brûlent, d’autres font l’objet de tentatives d’incendie. Depuis novembre les ANPE ont été ainsi la cible de tentatives de destruction. Sur les mûrs d’une Assedic en ruine on pouvait lire un tag : « Tiens, t’es radié ! ».
Après avoir expédié sur un forum internet un message de colère contre les radiations, un agent de l’ANPE est interpellé. Son appartement est perquisitionné et il est mis en examen par le procureur de la République.

Qu’est-ce qui se passe ?

Le 8 mars, a lieu la plus importante journée de grève dans le spectacle vivant depuis 1968, dans une indifférence absolue des médias. En avril, les négociations concernant les annexes 8 et 10 engagées depuis novembre aboutissent à un nouveau texte qui ne modifie en rien la logique du protocole combattu depuis déjà trois ans par les intermittentEs du spectacle, aggravant certaines de ses dispositions et ignorant superbement toutes les analyses et propositions élaborées par le mouvement pendant ces trois années. Ce nouveau protocole est mis en suspens pour une signature avant le 18 mai, date d’ouverture du Festival de Cannes. Pendant ce temps, le gouvernement et les parlementaires se gardent bien de déposer au parlement la proposition de loi qui reprend la principale revendication des premiers concernés : la date anniversaire fixe avec indemnisation de chaque jour non employé.

Qu’est-ce qui se passe ?

Les règles d’attribution de l’Allocation Adulte Handicapée sont revues dans le sens d’un plus grand contrôle des vies et des personnes avec pour objectif de les envoyer à la première occasion dans un monde du travail qui ne veut pas d’elles. Les malades et les handicapéEs, n’échappent plus à la logique qui transforme les droits en aumônes qu’il faut quémander et pour lesquels il faut constamment rendre des comptes. Une personne gravement malade doit payer davantage pour ses soins qu’une personne en bonne santé. Des sans-papiErEs atteintEs du VIH / sida, de cancer ou d’autres maladies se voient refuser un titre de séjour pour soins sous prétexte que les traitements seraient disponibles dans leur pays d’origine et qu’ils abuseraient du système de soins français.

Qu’est-ce qui se passe ?

Le projet de loi sur « l’égalité des chances » révolte les étudiantEs puis les lycéenNEs et les salariéEs qui manifestent, font grève et mènent quantité d’actions de blocage partout en France sous le mot d’ordre « (G)Rève générale ». De nombreuses universités sont occupées. Parmi elles, la Sorbonne, trop symbolique pour le pouvoir, est évacuée et le quartier mis sous cloche policière ; partout le déploiement des forces de l’ordre est impressionnant, les arrestations pleuvent et les condamnations ne se font pas attendre. Deux mois de luttes font reculer le gouvernement qui finit par concéder le retrait du seul article 8 de la loi, le CPE sur lequel s’est focalisé l’attention médiatique.

Qu’est-ce qui se passe ?

Le ministre de l’Intérieur, habitué des propos ouvertement racistes et xénophobes, propose une nouvelle loi sur l’immigration, qui durcit encore un peu plus les règles de séjour en France des étrangErEs, abroge le dispositif de régularisation après 10 années passées sur le territoire, réévalue à la hausse les critères d’autorisation au regroupement familial et à l’obtention de la carte de résident. Elle institue une immigration utilitaire : d’un côté, sélection pour le rayonnement de la France d’étudiants et de cadres qualifiés et de l’autre, main d’œuvre dont le droit au séjour serait retiré s’il y a rupture du contrat de travail.

Qu’est-ce qui se passe ?

Aux Etats-Unis, des millions de manifestants occupent la rue pour exiger la régularisation globale des migrants sans papiers. En ce 1er mai, une grève générale des clandestins est organisée. Pendant vingt-quatre heures, par centaines de milliers, les sans-papiers ne sont pas au travail, n’amènent pas leurs enfants à l’école, ne consomment pas pour mettre en évidence leur rôle central dans l’économie.

Qu’est-ce qui se passe ? En France, à la suite du mouvement initié par les étudiants, les manifestations syndicales du 1er mai sont placées sous le signe de la précarité. Des prises de parole syndicales au déclarations présidentielles, on entend parler de « sécurisation des parcours professionnels ».
Mais bien peu de ces discours dépassent les incantations au CDI pour tous et à un plein emploi dont nous savons qu’il ne reviendra pas.

C’est une autre point de vue qui amène cette année xx 000 précaires à parader pour le Mayday dans une vingtaine de villes en Europe. A Paris, la parade Mayday est la parade de ceux qui pensent que bien au-delà du recul du gouvernement sur le CPE, de nouveaux droits sont à construire. Des étudiants italiens et espagnols nous ont rejoints et nous sommes des milliers ce soir Place de la République.

Tous, ici, parce que c’est notre réalité, nous savons que les formes d’emploi flexibles et mobiles, de plus en plus répandues, sont aujourd’hui privées de véritable protection sociale. Premiers concernés, nous savons que nous n’aurons voix au chapitre qu’à condition de continuer à sortir de l’ombre, prendre la parole et agir, fabriquer du possible et nous organiser collectivement pour conquérir des droits pour tous, avec ou sans emploi, avec ou sans papiers.

[1] Texte lu à plusieurs voix à Paris, Place de la République, le 1er mai 2006 vers 20h30



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