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À qui profite l'hystérie raciste?

Anonyme, Lundi, Mars 6, 2006 - 19:53

Arsenal-express

Depuis jeudi dernier, le discours public au Québec est marqué par une quasi-unanimité plutôt suspecte, en réaction au jugement prononcé par la Cour suprême du Canada qui a autorisé le port du kirpan par les adeptes de la religion sikh qui fréquentent les écoles publiques.

Comme tout le monde le sait maintenant, le kirpan est un couteau cérémonial, qu'une certaine catégorie de pratiquants de la religion sikh sont tenus de porter en permanence. La Cour suprême a été saisie de l'affaire suite à la décision rendue par la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys il y a quatre ans, qui avait interdit au jeune Gurbaj Singh Multani de porter cet objet religieux alors qu'il fréquentait l'école Sainte-Catherine-Labouré, en invoquant des raisons de "sécurité". Après avoir été renversée dans un premier temps en Cour supérieure, cette décision avait été rétablie par la Cour d'appel du Québec. À la lumière de la Charte canadienne des droits et libertés (qui reprend pour l'essentiel, en cette matière, les dispositions de la Charte québécoise), la Cour suprême a finalement statué que le fait d'interdire le port du kirpan de manière absolue constituait une entrave à la liberté de religion et que les autorités scolaires devaient trouver une façon d'accommoder les adeptes de la religion sikh, tout en respectant évidemment leur obligation d'assurer la sécurité dans les écoles.

Il n'est pas superflu de rappeler que la direction de l'école Sainte-Catherine-Labouré avait initialement convenu, avec le jeune Singh et ses parents, d'une telle sorte d'accommodement : le jeune devait tout simplement porter le kirpan dans un fourreau lui-même cousu à l'intérieur de ses vêtements. Cela ne posait donc aucun problème jusqu'à ce qu'un groupe de parents mal avisés, alimentés par quelques enseignantEs racistes, porte plainte à la commission scolaire.

Depuis jeudi, donc, les médias québécois se font l'écho des réactions racistes et souvent hystériques de plusieurs, allant de l'ineffable "chroniqueuse" (potineuse serait plus exact) Denise Bombardier jusqu'à l'écrivain français de sinistre réputation, Maurice Dantec, qui voient dans ce jugement une menace à "nos valeurs" -- catholiques ou "laïques", selon le cas -- et à notre "droit collectif à la sécurité".

Romancier et grande gueule bien connue, Dantec -- à côté de qui Jean-Marie Le Pen a l'air d'un démocrate modéré -- a été reçu par l'animateur Benoît Dutrizac sur les ondes de TQS, à titre de "spécialiste des rapports avec les minorités" (sic) : ce trou du cul n'a alors pas hésité à évoquer l'organisation de pogroms contre les sikhs, et plus généralement contre les immigrantes et les immigrants, en disant qu'il est temps que "la majorité" de la population canadienne fasse une "révolution" contre les immigrantes et immigrants incapables d'adopter "nos valeurs". La direction de TQS l'a trouvé tellement brillant qu'elle a décidé de rediffuser ses propos à une heure de grande écoute, lors de l'édition de fin de soirée du Grand Journal, dont le présentateur nous a dit qu'ils étaient "éclairants" (sic).

Il faut d'abord rappeler que dans toute cette affaire, ceux et celles qui ont contesté la décision initiale de la direction de l'école Sainte-Catherine-Labouré n'ont jamais pu apporter ne serait-ce que le début d'un commencement de preuve sur le danger que pose le port du kirpan. De fait, une simple enquête menée auprès de l'ensemble des corps policiers du Canada et des États-Unis a établi qu'aucun incident violent lié au port du kirpan n'a jamais été rapporté dans quelque école que ce soit dans toute l'Amérique du Nord! En outre, et comme l'ont mentionné eux-mêmes les juges de la Cour suprême, on trouve déjà dans les écoles bon nombre d'instruments susceptibles d'être utilisés pour commettre un acte violent -- qu'il s'agisse de ciseaux, de couteaux, de compas, etc. En soi, un bon coup de crucifix asséné sur une tempe est d'ailleurs susceptible de faire autant de dommages, sinon plus, qu'un kirpan...

Il est tout à fait consternant d'entendre les propos de certaines personnes, qui devraient normalement faire preuve d'un peu plus de discernement -- comme cet enseignant de l'école Sainte-Catherine-Labouré qui a déclaré, sur les ondes de la SRC, qu'il allait lui aussi "fonder [sa] propre religion, puis apporter un kalachnikov et tuer tout le monde à l'école" -- qui interprètent le jugement de la Cour suprême comme si celle-ci avait accordé un "permis de tuer" aux membres de la communauté sikh! Il est pourtant évident que le Code criminel reste en vigueur et que le meurtre demeure toujours un crime dans la législation canadienne.

D'autres ont exprimé leur indignation face au jugement de la Cour suprême au nom d'un "progressisme" de pacotille, en invoquant la nécessité de protéger la "laïcité" du système scolaire, voire la séparation de l'Église et de l'État. Tel n'est pourtant pas l'enjeu de cette affaire: la laïcité du système scolaire implique certes l'obligation, pour les écoles et ceux et celles qui les dirigent ou qui y enseignent, d'afficher leur "neutralité" face aux différentes religions -- et de respecter tout autant le fait de ne pas en avoir; de même, pour ce qui est du contenu du programme scolaire. Cela n'implique toutefois aucunement que les étudiantes et les étudiants, individuellement, ne puissent plus jouir de la liberté de religion. L'objectif de la laïcité, c'est de s'assurer que l'État n'impose pas sa religion, ou une religion en particulier (évidemment, on ne parle pas ici de la religion du marché et de la liberté d'entreprise, qui domine le cursus scolaire et qu'il faudrait bien remettre en question elle aussi -- mais il s'agit là évidemment d'un tout autre débat...).

Il y a dans cet argument une bonne dose d'hypocrisie, sachant que les écoles publiques au Québec sont encore bien loin d'avoir rompu avec leur passé confessionnel encore tout récent. Le chroniqueur Pierre Foglia du quotidien La Presse nous apprenait il n'y a pas si longtemps que dans certaines écoles, des élèves sont présentement forcéEs de suivre des ateliers d'astrologie et de "numérologie" (!): alors ceux et celles qui pensent que l'école québécoise est un modèle de transmission de "la science et des Lumières" et qui craignent que le fait que des sikhs puissent porter le kirpan nous ramène des siècles en arrière devraient peut-être commencer par faire le ménage dans leur propre écurie.

Le "débat" autour du jugement de la Cour suprême (nous utilisons les guillemets à dessein, car il est difficile de parler d'un véritable débat quand on n'entend pratiquement qu'un seul point de vue) n'a donc rien à voir avec la laïcité, ni avec ce que certains ont appelé notre "droit collectif à la sécurité" (qui n'est au fond que le droit de l'État -- comme "représentant de la collectivité" -- d'imposer sa loi). Ce qui est en jeu, c'est véritablement le droit à l'égalité, qui prend la forme dans ce cas-ci du droit de pratiquer et d'exprimer ses convictions religieuses. Il est d'ailleurs assez significatif que personne, ou presque, parmi ceux et celles qui monopolisent le discours public ces jours-ci -- les Bombardier et Dantec de ce monde -- n'ait remis en question le droit des étudiantes et étudiants qui adhèrent à l'une ou l'autre des religions actuellement dominantes d'afficher les symboles qu'ils et elles considèrent sacrés (crucifix, kippa, etc.). Nul doute qu'après les sikhs, ce sont les jeunes filles qui osent porter le voile islamique qui seront leur prochaine cible. Et alors on pourra se rendre compte qu'en fait, ce sont les religions adoptées majoritairement par les peuples des pays du tiers monde qui sont dans leur ligne de mire -- voire les peuples eux-mêmes qui les pratiquent.

La question se pose donc à savoir qui a intérêt à susciter cette haine raciste contre la minorité sikh? Et à qui profite l'hystérie actuelle, dont le caractère totalement irrationnel ressort de manière évidente, dès lors où on comprend que "la majorité" dont on nous parle sans arrêt depuis quelques jours, ne s'est fait retirer aucun droit par le jugement de la Cour suprême?

En quoi les travailleurs et les travailleuses du Canada qu'on considère "de souche", trouvent-ils et elles leur compte dans ce raz-de-marée d'opposition aux droits des sikhs? Qu'est-ce que ça nous enlève à nous, prolétaires, si des jeunes sikhs dont la plupart font d'ailleurs partie de notre classe se voient accorder le droit de porter le kirpan? En quoi aurions-nous intérêt à ce que le spectre des droits et libertés soit restreint au lieu d'être élargi? En quoi l'exclusion des écoles publiques de jeunes provenant des minorités (car c'est bien là l'effet qu'a eue la décision de la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys d'interdire le port du kirpan) nous renforcerait-il, comme classe?

Comme prolétaires, nous devons aborder et répondre à toutes ces questions en partant de nos intérêts, et en identifiant clairement qui sont nos amis (les prolétaires d'ici et d'ailleurs) et qui sont nos ennemis (les capitalistes canadiens, peu importe leur langue ou leur religion).

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Article paru dans Arsenal-express, nº 88, le 5 mars 2006.

Arsenal-express est une liste de nouvelles du Parti communiste révolutionnaire (comités d'organisation).

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