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Retour sur le VIe Forum social mondial et la révolution bolivarienne

Anonyme, Dimanche, Février 19, 2006 - 21:27

Manon Ruel

C’est dans un Venezuela en pleine révolution bolivarienne que s’est tenu le VIe Forum social mondial (FSM) du 24 au 29 janvier 2006. Réparti sur trois continents, le FSM polycentrique 2006 se tenait d’abord à Bamako au Mali , du 19 au 23 janvier, avant celui de Caracas au Venezuela et celui de Karachi au Pakistan qui aura lieu du 24 au 29 mars prochain. Réunissant 80 000 intellectuellEs, déléguéEs d’organisations locales et internationales, syndicalistes, militantEs, féministes, écologistes et membres de la société civile, la rencontre de Caracas a permis aux personnes et aux organisations désireuses de construire des alternatives sociales, culturelles, politiques et économique au néolibéralisme de se rencontrer, de créer des réseaux d’échange et de préparer ensemble des actions communes.

Le VIe Forum social mondial s’est ouvert sur une grande marche contre la guerre et l’impérialisme qui réunissait quelques 50 000 représentantEs d’organisations vénézuéliennes et internationales. Défilèrent conjointement dans les rues de Caracas, les groupes en faveur du droit à l’éducation et à la santé, les groupes de défense des droits des travailleurs et des femmes, les organisations luttant contre l’entrée des multinationales en Amérique Latine et la militarisation, les portes-paroles des communautés autochtones voyant leurs droits bafoués par les traités de libre-échange, les activistes en faveur de la paix et de l’autodétermination des peuples et bien d’autres. Bref, des gens de partout étaient réunis, portant, chacun à bout de bras, une cause qui convergeait dans la même direction, soit la résistance à l’ordre économique mondial actuel, imposé et discuté au même moment à Davos, en Suisse, par les grandes puissances économiques et les dirigeants des multinationales qui se chargent de jeter les règles du commerce international sans consultation publique.

Cette année les délégations les plus nombreuses provenaient du Venezuela, de la Colombie, du Brésil et des États-Unis. Plus nombreux que les années antérieures, ce sont 2000 déléguéEs américainEs, dont Cindy Sheehan , qui étaient présentEs au FSM en vue de rappeler l’existence des organisations sociales américaines et l’opposition grandissante envers les politiques du gouvernement Bush. À noter également, une importante délégation québécoise comprenant environ 400 personnes , dont les déléguéEs d’ATTAC-QC, d’Alternatives, de la CSN, de l’AQOCI et de la FNEEQ, ainsi que Françoise David de Québec Solidaire. Il me faut mentionner la grande participation des Québécois présents au Campement Intercontinental de la Jeunesse (CIJ) dans la diffusion et la promotion des principes d’autogestion, d’écologie et de démocratie participative. Ceux-ci n’ont pas hésité à s’impliquer activant lors des assemblés générales ainsi qu’au sein des différents comités du CIJ (communication, nourriture, infrastructures et déchets). Parmi les groupes les plus remarqués, soulignons une délégation de Colombiens portant une banderole où on pouvait lire, au-dessus d’une bouteille de Coca Cola en forme de revolver « parce que j’aime la vie, je ne bois pas de Coca Cola », faisant référence aux liens entre la consommation, le trafic d’armes et la mort de syndicalistes en Colombie.

Les participantEs au Forum social mondial de Caracas pouvaient assister à quelques 1800 ateliers dispersés sur 9 sites très éloignés les uns des autres. La prédominance des ateliers et des conférences portant sur le pouvoir politique aura caractérisé ce forum qui, en se tenant au Venezuela en pleine révolution bolivarienne, peu de temps après l’élection d’Evo Morales en Bolivie et de Michelle Bachelet au Chili, et face à la crise politique que vit le gouvernement de Lula da Silva au Brésil, ne pouvait éviter la question des rapports entre mouvements populaires, partis de gauche et gouvernements progressistes . Les ateliers concernant l’abolition de la dette, la militarisation, la résistance à l’OMC, à la privatisation de l’eau et la lutte aux paradis fiscaux auront également suscité beaucoup d’intérêt. Jusqu’à la toute fin du Forum, fut rappelé l’importance de développer les médias alternatifs afin qu’ils deviennent des médias de masse qui respectent la pluralité des opinions en demeurant des outils d’expression et de participation citoyenne.

Pour certainEs, c’est avec déception qu’ils constatèrent moins de diversité dans les ateliers proposés comparativement à l’an dernier et certains thèmes tels que l’économie solidaire, le commerce équitable, l’environnement ou l’art engagé être beaucoup moins abordés. L’espace-atelier « Art, pouvoir et transformation sociale » proposé par 4 organisations fut une des rares mais bonnes occasions pour les artistes, artisanEs, militantEs et intellectuellEs de se pencher sur la résistance à l’homogénéisation culturelle et l’espace concret de l’art (sous toutes ses formes), de son avenir et de sa pertinence au sein des forums mondiaux et régionaux. Il est en ressortir la nécessité d’ouvrir un dialogue avec le Conseil hémisphérique du FSM afin de mettre en valeur la culture et les arts, ainsi que leur rôle dans l’accroissement du pouvoir communautaire .

Mentionnons qu’en se faisant, pour la première fois, l’hôte d’une rencontre internationale d’aussi grande envergure, le Venezuela aurait eu tout avantage à s’inspirer un peu plus de ce qui se faisait dans les années antérieures à Porto Alegre. L’éloignement et l’éparpillement des lieux de rencontres rendaient l’assistance aux ateliers fastidieuse et les longs déplacements occasionnèrent par le fait même l’annulation de nombreux ateliers sans préavis. Sans compter qu’un travail d’agglutination plus poussé aurait pu être fait afin de rassembler sous un même toit certains ateliers aux thèmes connexes. Ceci, sans parler du Campement de la Jeunesse qui géré par l’armée et les autorités locales a laissé peu de place à l’autogestion et aux initiatives des participantEs .

Le processus bolivarien vu de près

Le choix du lieu où se tient cette rencontre annuelle du mouvement altermondialiste constitue en soi un geste politique. La ville de Porto Alegre au Brésil avait été retenue lors de la première édition du FSM en 2001 car, en plus de se trouver dans l’hémisphère sud, on y retrouvait un système politique municipal et provincial basé sur des principes de démocratie participative prometteurs dont on souhaitait s’inspirer. La tenue du VIe Forum social mondial au Venezuela visait à appuyer symboliquement les mesures sociales mises en place par le gouvernement Chávez et à observer de plus près la révolution bolivarienne, c’est-à-dire tout ce processus de transformation sociale basé sur la justice et l’inclusion, initié par l’État et visant à travailler de concert avec les communautés locales.
En remettant l’économie au service du peuple, notamment par le réinvestissement des profits découlant de la vente du pétrole dans des programmes sociaux, les politiques du gouvernement Chávez suscite la curiosité et l’engouement pour plusieurs. De plus, il donne l’exemple qu’il est possible, malgré les difficultés socio-économiques, de créer des systèmes de santé et d’éducation universels et d’en faire des droits fondamentaux inclus dans la Constitution du pays . En visitant les barrios (quartiers moins riches) en banlieue de Caracas, il est possible de constater les retombées positives des programmes sociaux auxquels le gouvernement consacre désormais 31% de son PIB. En plus des missions d’alphabétisation Robinsón et des missions Barrio Adentro qui permettent aux gens de recevoir gratuitement les soins de quelques 20 000 médecins cubains, on y retrouve également des projets de radio et de journaux communautaires alternatifs et indépendants ainsi que des supermarchés économiques où les aliments sont vendus 30% du prix du marché. Appuyé par la grande majorité de la population du Venezuela, le gouvernement Chávez a initié un processus de transformation sociale innovateur qui touche autant les paysanNEs (2 millions d’hectares ont été distribués à environ 10 000 familles) que les habitantEs des zones urbaines (via le Comité de terres urbaines qui permettent à de nombreuses familles de devenir propriétaires de leurs maisons) .

Bien qu’il subisse les foudres des élites économiques du pays, constituées principalement de gens issus du milieux des affaires et de la bourgeoisie, qui voient dès lors leurs intérêts menacés, le Président Hugo Chávez a le mérite d’appuyer les initiatives populaires (organisations communautaires, coopératives, projets d’économie sociale, médias communautaires) qui étaient déjà en place avant son arrivée ou qui désormais se multiplient. Ceci tout en maintenant la liberté de presse aux médias privés qui ne cessent de le critiquer. Voici un des éléments qui distinguent le socialisme vénézuélien du socialisme cubain et ce bien que Chávez voue une grande admiration à Fidel Castro qu’il n’oublie d’ailleurs pas de saluer publiquement dans ses discours. Malgré qu’il faut demeurer critique envers tout système politique, ce que n’hésitent pas à faire les groupes de femmes afin de s’assurer que la lutte pour l’égalité demeure une priorité, il va sans dire que le Président Chávez insuffle énormément d’espoir au peuple vénézuélien en le remettant au centre de ses préoccupations. En retour, sont nombreux ceux qui lui vouent un amour qui frôle presque l’idolâtrie à en croire les tee-shirts portés par ses admirateurs et toutes les chemises, porte-clés et poupées à l’effigie de Chávez que proposent les marchantEs ambulantEs.

La présence de Chávez au FSM

Bien que le Forum social mondial se veut un espace non-partisan, un discours public du Président était incontournable. Tel que le faisait remarquer les organisateur/trices du Forum social alternatif qui se tenait en marge du FSM, le contexte vénézuélien rendait difficile la tenue de l’événement de façon complètement indépendante du gouvernement . Malgré l’importance que l’allégeance politique revêt au Venezuela, les forces pro-chavistes se sont tout de même montrées discrètes lors de la marche d’ouverture et, de façon générale, nous pouvons dire que le FSM a conservé son côté international et pluriel en demeurant l’espace de discussion et de rencontre qu’il se doit d’être. Si de dire que Chávez aurait « récupéré » le FSM est quelque peu exagéré, il est plus juste de noter qu’il n’a pas pu s’empêcher, lors de son discours du 27 janvier devant 10 000 personnes , de vanter la révolution bolivarienne comme l’avenue la plus prometteuse pour lutter contre l’impérialisme américain et le néolibéralisme. Pour lui, l’alternative à l’impérialisme est claire, « le socialisme ou la mort » a-t-il dit, citant Rosa Luxembourg, et faisant référence au capitalisme qui détruit toute forme de vie. De mon côté, je préfère encore dire qu’elle est une avenue parmi les « autreS mondeS possibleS » proposés au sein de la mouvance altermondialiste.

Invité à la toute fin du FSM à l’Assemblée des mouvements sociaux, Chávez a lancé un appel à la réflexion quant à la prise de pouvoir dont le FSM devait se doter afin d’éviter que celui-ci ne devienne un simple espace touristique et folklorique. Un commentaire qui rejoint les préoccupations contenues dans les analyses du processus que représente le FSM. En même temps que la question des relations entre le champ politique et les mouvements sociaux prend de plus en plus d’importance au sein des discussions, plusieurs voudraient voir le FSM prendre davantage de pouvoir politique; alors que pour d’autres, il doit demeurer un espace ouvert de dialogue dans le respect de la diversité et de la pluralité des opinions et des luttes.

Vers une prise de pouvoir politique plus grande

À la base, le Forum social mondial est un espace de discussion, de réflexion et de débat sur les enjeux de la mondialisation et un lieu de consolidation de réseaux travaillant à des causes communes en vue de permettre le partage d’expériences en provenance de partout à travers le monde ainsi que la construction de propositions, d’alternatives et de stratégies de résistance à la domination du monde par les multinationales et les intérêts économiques. Comme le disait un Africain présent au Forum social mondial de Bamako, c’est le lieu d’écoute des problèmes du monde « puisque les grands de ce monde ne débattent pas des véritables problèmes des peuples, il faut bien que nous en parlions. Même si on a pas beaucoup de pouvoir décisionnel, on espère que d’en parler, ça pourra les égratigner ».

Si le FSM est bel et bien un espace pour que les groupes se réunissent et échangent des idées, cela ne suffit pas pour les forces politiques de gauche et ceux qui aimeraient voir s’élaborer un programme ayant plus de poids politique au niveau international. Les enjeux quant à la résistance en marge du pouvoir étatique ou l’investissement des structures de gouvernance plus officielles ont traversé plusieurs débats. L’élaboration d’une déclaration finale afin d’arriver à des propositions concrètes autour desquels tous peuvent travailler parallèlement semble de plus en plus nécessaire. Sans avoir résolu les dilemmes entourant le respect de la pluralité des opinions et la prise de pouvoir, le FSM s’est conclu par des réflexions autour du type de démocratie et d’organisation dont le mouvement social doit se doter pour s’exprimer politiquement.

Parmi les actions proposées, retenons les mobilisations mondiales afin d’exiger le retrait de l’occupation militaire américaine en Irak et en Afghanistan les 19 et 20 mars prochain, une rencontre des mouvements sociaux à La Havane, à Cuba, durant la dernière semaine d’avril et une rencontre de réflexion et de mobilisation en Équateur contre les bases militaires nord-américaines en Amérique Latine prévue pour mars 2007.

Le Forum constitue un processus extrêmement porteur d’espoir. Il est le lieu pour questionner la mainmise des multinationales sur les gens et les gouvernements en remettant les droits humains et environnementaux en priorité. La tenue d’un Forum social européen au début mai à Athènes, en Grèce, et le Forum social québécois qui se tiendra en juin prochain à Trois-Rivières témoignent de sa portée. Le prochain FSM quant à lui aura lieu à Nairobi au Kenya, en 2007. En terminant, ajoutons, que le Forum social mondial nous permet de constater une fois de plus l’émergence d’une société civile internationale altermondialiste en ébullition et constitue le lieu d’expression des visions et des espoirs d’un nombre toujours croissant de personnes, qui de retour chez eux continuent de s’impliquer dans leur milieu et de travailler à la construction de d’autreS mondeS possibleS.

Manon Ruel
Étudiante à la maîtrise en anthropologie, animatrice à CKIA 88,3 FM et participante au FSM 2006 de Caracas.
www.forumsocialquebec.org
www.forosocialmundial.org.ve
www.campementjeunesse.org
www.democraciaglobal.org.
www.forodelaculturasolidaria.org.
www.fsa.contrapoder.org.ve



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