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DROGUE ET POLITIQUE AU YUKON

Anonyme, Lundi, Décembre 19, 2005 - 20:47

Bureau des Affaires Louches

Saviez-vous que l’actuel premier ministre du Yukon fut condamné pour trafic d’héroïne, en 1975, et que l’ex-leader du Parti libéral du Yukon fut envoyé en prison pour trafic de cocaïne ?

DROGUE ET POLITIQUE AU YUKON

Par le Bureau des Affaires Louches *

Territoire autonome du grand Nord canadien peuplé de seulement 31 227 habitants, le Yukon a le don de faire peu parler de lui. De toute évidence, l’actualité politique yukonaise inspire en effet peu de curiosité chez les médias nationaux.

Conséquemment, vous n’avez aucun reproche à vous faire si vous n’avez jamais entendu parler de l’arrestation de l’actuel premier ministre du Yukon pour trafic d’héroïne, en 1975, ni de l’arrestation de l’ex-leader du Parti libéral du Yukon pour trafic de cocaïne, en 1986.

Néanmoins, dans la presse locale, les révélations concernant le passé criminel du chef du gouvernement yukonais soulevèrent une vive controverse, en novembre 2003, dont certains aspects ne sont pas sans rappeler à certains égards l’affaire André Boisclair, qui éclatera deux ans plus tard, au Québec. (1)

On aura beau dire ce qu’on voudra sur le poids politique négligeable du Yukon dans la fédération canadienne. Il n’en demeure pas moins que le Yukon est représenté par son premier ministre lors des conférences fédérales-provinciales, au même titre que les leaders politiques des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut.

Le chef libéral
vendait de la coke !

M. Roger Coles, alors chef du Parti libéral du Yukon, fut élu député du comté de Tatchun à l’occasion des élections générales de mai 1985, qui chassèrent du pouvoir le Parti conservateur du Yukon pour la première fois depuis la création du Territoire autonome du Yukon, en 1978. M. Coles, qui était aussi prospecteur et pilote d’hélicoptère, avait battu son adversaire conservateur par seulement 28 votes de différence.

Le NPD n’ayant réussi qu’à s’emparer que de la moitié des sièges de l’assemblée législative du Yukon, le gouvernement néo-démocrate minoritaire devait s’assurer d’avoir l’appui des deux députés libéraux pour faire adopter quelque mesure législative que ce soit.

C’est ainsi que M. Coles, alors âgé de 26 ans, se retrouva soudainement avec la balance du pouvoir.

Mais l’ascension politique de M. Roger Coles sera de courte durée. En effet, quatre mois plus tard, le chef libéral yukonais commençait à développer des problèmes de consommation de drogues.

Des problèmes qui, de toute évidence, iront en s’amplifiant jusqu’au 8 mai 1986, date à laquelle M. Roger Coles fut arrêté par des membres de l’escouade des stupéfiants de la Gendarmerie Royale du Canada et fut subséquemment inculpé de trois chefs d’accusation de trafic de cocaïne. Il a ensuite été remis en liberté après avoir brièvement comparu devant un tribunal du territoire. (2)

Le lendemain, M. Coles démissionna de son poste de leader du Parti Libéral du Yukon. Par contre, il décida de s’accrocher à son siège de député.

Lors des témoignages des enquêteurs de police en cour, on a appris que M. Coles avait vendu, au total, 10 onces de cocaïne à un agent clandestin de la GRC qui se faisait passer pour un narcotrafiquant, lors de trois occasions différentes. (3)

Les pourparlers entre M. Coles et le faux-trafiquant de la GRC débutèrent en mars 1986, sur une patinoire curling à Watson Lake, et continuèrent au printemps, dans la ville de Whitehorse. Une de leur rencontre s’est déroulé dans la cafétéria du siège du gouvernement du Yukon, et une autre eut lieu dans la salle de réunion du caucus libéral au parlement du territoire.

La plus importante transaction, qui impliqua l’achat de huit onces de coke pour une somme de 27 000$, s’est tenue dans une chambre d’hôtel que la GRC avait mis sous vidéosurveillance. Avec une preuve aussi accablante, la GRC n’a eut qu’à cueillir M. Coles après sa sortie de la chambre d’hôtel.

Le 31 octobre 1986, M. Coles plaida coupable et démissionna de son siège de député. Le tribunal le condamna à une peine de trois ans d’incarcération. M. Coles fut libéré de prison après avoir purgé six mois de sa sentence derrière les barreaux. (4)

On entendra plus parler de lui… jusqu’aux élections générales albertaines de 2001.

On apprenait alors que M. Roger Coles, devenu conseiller municipal à Drayton Valley, se présentait pour le Parti libéral de l’Alberta dans le comté de Drayton Valley-Calmar, au nord-ouest de Calgary.

Bien entendu, les médias albertains se chargèrent de rappeler à l’électorat que M. Coles fut mêlé à une affaire de trafic de coke, il y a quinze ans. Et le candidat libéral n’eut donc d’autre choix que de s’expliquer avec la presse.

Commentant ses démêlés judiciaires, M. Coles déclara : « La seule personne à qui j’ai fait du mal, c’est à moi-même ». Il se défendit aussi d’avoir tenté de cacher sa condamnation à l’électorat. (5)

« Ce n’est pas quelque chose que je mets dans mon pamphlet électoral, mais ce n’est pas un secret non plus », avait alors affirmé M. Coles au quotidien The Calgary Sun. Le candidat libéral avait en effet levé le voile sur son passé lors d’une séance du conseil de ville de Drayton Valley, en 1999.

Le Parti libéral, qui n’ignorait rien du passé de narcotrafiquant de son candidat, se porta à la défense de M. Coles. « Il a fait son temps et vit maintenant une vie décente, une vie solide en essayant d’aider les autres », déclara le porte-parole du parti, M. Kieran Leblanc.

Son adversaire, le conservateur Tony Abbott, refusa d’en faire un enjeu électoral. Il n’en avait d’ailleurs nullement besoin, comme l’atteste son écrasante victoire électorale qui suivra en mars 2001. En effet, M. Abbott remporta l’élection avec une confortable majorité de 68.4% des voix, tandis que M. Coles hérita de la deuxième position avec 19.9% des suffrages.

Le futur premier ministre
vendait de l’héroïne !

M. Coles n’est pas le seul leader politique du Yukon à avoir été emprisonné pour s’être livré au trafic de drogue.

En 1975, M. Dennis Fentie, alors âgé de 24 ans, est arrêté avec sept autres individus, et inculpé de deux chefs d’accusation de trafic d’héroïne, à Edmonton, en Alberta. Il est par la suite condamné à quatre années d’emprisonnement, sur lesquels il purgea 17 mois. Peu de détails sont disponibles sur cette vieille affaire.

Ainsi, on ignore si M. Fentie et ses associés étaient affilié à un syndicat du crime bien implanté, ou s’il faisait plutôt partie d’un groupe de trafiquants indépendants. Pareillement, on a aucun ordre de grandeur quant à la quantité d’héroïne qui fut subséquemment saisi par les forces policières au terme de leur enquête. Enfin, on a pas plus d’idée quant au rôle précis que M. Fentie a joué dans ce réseau de narcotrafic.

Plusieurs années plus tard après avoir purgé sa peine, M. Fentie devenait propriétaire de l’entreprise de construction Francis River Construction Limited.

Puis, juste avant de se lancer en politique, à l’occasion des élections yukonaises de 1996, M. Fentie fait effacer sa condamnation pour trafic d’héroïne en obtenant un pardon de la Reine. Candidat du Nouveau Parti Démocratique (NPD), M. Fentie est alors élu dans le comté de Watson Lake. Il est par la suite réélu aux élections de 2000, lors desquelles le Parti libéral du Yukon, alors dirigé par Mme Pat Duncan, s’empara du pouvoir.

Puis, en mai 2002, dans un revirement inattendu, le député Fentie décide de tourner le dos aux néo-démocrates et se joint au Yukon Party, qui est en fait le vieux Parti conservateur yukonais rebaptisé sous un nouveau nom. Six semaines plus tard, le transfuge remporte la course à la direction du Yukon Party dès le premier tour, devenant ainsi le nouveau leader des conservateurs yukonais. (6)

Au cours des élections yukonaises qui sont déclenchées plus tard la même année, M. Fentie fut confronté publiquement pour la première fois à son lourd passé lorsqu’un journal local rappela que le leader conservateur avait eu des démêlés avec la loi, 27 ans plus tôt, en Alberta. Placé sous la défensive, le candidat Fentie avait alors reconnu publiquement avoir purgé une peine d’emprisonnement d’une durée de 17 mois pour une infraction à la loi anti-drogue. (7)

La « confession » du député Fentie s’avérait cependant être incomplète. Le chef du Yukon Party a en effet refusé de préciser quel type de stupéfiant l’avait envoyé derrière les barreaux. Ce qui n’empêcha pourtant pas son rival politique, le leader néo-démocrate Todd Hardy, de venir à la rescousse de son ancien collègue après que la controverse eut éclaté, en rappelant que M. Fentie avait déjà été pardonné et qu’il s’était comporté avec « honneur et intégrité » depuis. (8)

En dépit de son manque évident de transparence dans cette affaire, M. Dennis Fentie devenait le nouveau premier ministre du Yukon lorsque son parti rafla 12 des 18 sièges que compte l’assemblée législative de ce territoire, le 4 novembre 2002. Le Parti libéral du Yukon, qui fit élire qu’une seule députée, passa à un cheveux d’être rayé de la carte.

Similarités entre
l’affaire Boisclair et l’affaire Fentie

Lorsque la condamnation pour narcotrafic du chef conservateur yukonais fut divulguée au public, l’équipe de M. Fentie cherchera à désamorcer l’affaire en adoptant une méthode de gestion qui n’est pas sans rappeler celle qui sera mise de l’avant, deux ans plus tard, par l’organisation de M. André Boisclair lorsque la controverse entourant la consommation de cocaïne de ce dernier éclata durant la récente course au leadership du Parti québécois.

Dans un cas comme dans l’autre, lorsque des éléments d’un passé compromettant refont surface, la priorité est mise sur le « damage control ». On cherche alors à tout prix à « contrôler les dommages » sur l’image du candidat vedette en limitant au minimum les informations qui sont divulguées sur la place publique.

Ainsi, au lieu de crever l’abcès d’un coup sec, pour en finir une fois pour toutes, M. Fentie opta effectivement plutôt pour faire ses révélations au compte-goûte, en espérant que peu de goûtes suffiront à satisfaire la soif de vérité de la presse. Tout comme M. Boisclair.

M. Fentie, qui sollicitait les faveurs de l’électorat yukonais lorsque cette vieille affaire de narcotrafic revint le hanter, a réagit en se contentant de confirmer les brides d’informations qui avaient déjà été portées à la connaissance du public, soit qu’il avait déjà été condamné à la prison dans un dossier de drogue.

Toutefois, en taisant le nom de la substance illicite pour laquelle il fut condamné d’avoir fait le trafic, M. Fentie a délibérément caché une information qui n’avait rien d’un détail.

Lorsqu’elles ont entendu parler de cette affaire pour la première fois, en octobre 2002, plusieurs personnes ont sans doute été portées à supposé qu’il devait probablement s’agir de marijuana, une drogue douce fort répandue dont la popularité ne s’est jamais démentie en dépit de plusieurs décennies de répression prohibitionniste.

Or, inutile d’avoir complété un baccalauréat en toxicologie pour savoir que le pot et l’héro appartiennent à deux ligues différentes dans la gamme des produits du marché de la drogue.

Mais si M. Fentie croyait qu’une fois élu il serait définitivement tiré d’affaire, une désagréable surprise l’attend…

Ainsi, en novembre 2003, soit un an après son triomphe électoral, l’affaire prit une nouvelle dimension lorsque le journal Yukon News révéla que c’était l’héroïne qui était la drogue qui était en cause dans son arrestation à Edmonton, en 1975. Devant les journalistes, le premier ministre Fentie avoua être « très embarrassé ».

Mais il s’abstint encore une fois de prononcer le mot tabou : « héroïne ».

Tout comme M. Boisclair n’a jamais daigné prononcer le mot « cocaïne » durant la controverse sur son ancienne consommation de poudre qui le talonna tout au long de la récente course au leadership du Parti québécois.

Le pire cauchemar d’un politicien, c’est évidemment d’être pogné avec une citation embarrassante (du style, « Oui, j’ai déjà vendu de l’héroïne ») qui va lui coller à la peau et le suivre pour le restant de sa carrière, qui risque par la même occasion de s’en retrouver soudainement sérieusement abrégée.

Jouer franc-jeu
ou en dire le moins possible ?

Bien entendu, ce n’est pas parce que M. Fentie a trempé dans le milieu de la drogue durant les années ’70 qu’il continue à vendre de l’héroïne encore aujourd’hui, à partir de son bureau de premier ministre.

Tout comme ce n’est pas parce que M. Boisclair s’est poudré les narines à l’époque où il était ministre dans le gouvernement de Lucien Bouchard qu’on peut automatiquement déduire que la coke exerce encore une influence sur lui aujourd’hui.

Dans un cas comme dans l’autre, ce n’était pas tant les gestes passés du politicien qui alimenta le plus la controverse, mais plutôt le manque de transparence envers le public. Mme Pat Duncan, leader des libéraux, résumait bien l’enjeu lorsqu’elle déclara : « Ce n’est pas ce qu’il a fait il y a vingt-cinq ans qui ennui le plus les gens. C’est sa malhonnêteté aujourd’hui. »(9)

Dans un article publié dans le quotidien Whitehorse Star, deux stratèges politiques vétérans critiquèrent M. Fentie pour ne pas avoir entièrement vidé son sac dès que la première occasion se présenta, lorsque l’affaire éclata pour la première fois, en octobre 2002.

Le stratège conservateur Tim Powers invita M. Fentie à crever l’abcès dans sa totalité. « Les demi-vérités sont des bombes à retardement qui attendent d’exploser », expliqua M. Powers.

Une position que partage également M. Warren Kinsella, un stratège libéral notoire. Celui-ci affirmait que s’il travaillait pour M. Fentie, il lui aurait demandé de s’expliquer à la population yukonaise, faute de quoi il lui aurait remis sa démission en tant que conseiller.

M. Kinsella n’accepte pas que le leader du Yukon Party décida de cacher le fait que l’héroïne était en cause. « Un fait important a été mit de côté et c’est choquant et consternant », dit-il, ajoutant qu’il serait étonné « que les gens n’appellent pas à sa démission d’ici la fin de la semaine. » M. Kinsella ajouta également que ceux qui, dans le camp de M. Fentie, savaient et n’ont rien dit, doivent eux aussi rendre des comptes.

Même le leader néo-démocrate Hardy, qui avait choisit de ménagé M. Fentie lors des élections de 2002, critiqua la tendance au secret du Yukon Party et de son chef. Toutefois, aucun des deux principaux partis d’opposition yukonais n’appelèrent M. Fentie à démissionner de son poste.

De son côté, le député Brad Cathers, du Yukon Party, n’hésita pas à qualifier de « vaseuse » la couverture médiatique entourant l’affaire Fentie. « Je pense que toute cette affaire est en train de descendre au plus bas niveau », déclara M. Cathers, qui affirma que le caucus du Yukon Party renouvela unanimement son appui à M. Fentie.

Une trentaine de sympathisants du premier ministre sont aussi accourus au parlement du Yukon pour manifester leur support envers M. Fentie.

Tout comme M. Boisclair, le leader du Yukon Party bénéficia également de l’appui de l’opinion publique qui se montra critique envers le travail des médias. Lors d’une émission de ligne ouverte diffusée sur les ondes de CBC, la majorité des participants jugèrent que les médias étaient allés trop loin en déterrant cette vieille histoire de narcotrafic. (10)

On ne saurait jamais si les membres du Yukon Party auraient choisi M. Fentie comme chef si son passé de narcotrafiquant avait été porté à leur connaissance lors de la course au leadership du parti, en juin 2002. Tout comme on ne saura jamais si l’électorat aurait accordé sa confiance à M. Fentie en novembre 2002 si on ne l’avait pas tenu dans l’ignorance.

Pour contacter le BAL : bure...@yahoo.ca

* Le Bureau des Affaires Louches (BAL) est un organisme indépendant et non-partisan
qui a pour mission d’informer la population sur la corruption politique au Canada.
Le BAL se fait un devoir de toujours citer scrupuleusement
ses sources pour démontrer aux sceptiques qu’il n’invente rien.

Sources :

(1) Whitehorse Star, “Yukon premier's 1975 drug conviction involved selling heroin



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