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L'anarchie avec un grand A: L'AthéismeAnonyme, Mardi, Novembre 8, 2005 - 08:34
Le Trouble
A chaque numéro, le journal anarchiste Le Trouble tente d'expliquer un concept lié à l'anarchisme. Dans notre plus récent numéro, nous avons abordé le sujet de l'athéisme car « Si Dieu est, l’homme est esclave; or l’homme peut, doit être libre, donc Dieu n’existe pas. » « Et si dieu existait, il faudrait sans débarrasser! » Voilà une phrase très connue par nombres d’anarchistes. Une de ces splendides phrases de Bakounine qui font comme un marteau en furie sur les tables de la loi. Dans son pamphlet « Dieu et l’État », il écrit également : « Si Dieu est, l’homme est esclave; or l’homme peut, doit être libre, donc Dieu n’existe pas. »(1) Pour les anarchistes, la religion a toujours été source d’esclavage et de misère. L’existence de Dieu, le discours du maître. Toutefois, les origines de l’athéisme dépassent de loin celles de l’anarchisme. Si l’on peut parler de Bakounine comme un des pères fondateurs de l’anarchisme, il en va tout autrement avec l’athéisme. Les plus anciennes écritures connues à ce jour dates d’avant le petit crucifié. Il y a entre autres le philosophe grec Épicure, considéré comme l’un des pionniers de la pensée matérialiste(2), qui d’une main, critique les croyances et superstitions populaires face à une Olympe céleste débordant de divinités et de l’autre, relève une nature composée de matières sans autre mythologie. Lorsque les religions à plusieurs dieux furent reléguées aux poubelles de l’histoire par le monothéisme judéo-chrétien et la dictature catholique, l’épicurisme est resté l’une des rares philosophie à considérer la nature sans Dieu et à creuser les murs du saint Royaume. Si l’histoire a laissé si peu de trace de l’antique révolte contre le ciel, c’est de toute évidence qu’au Moyen-Age, la mainmise de la classe aristocratique et du conglomérat religieux sur la vie paysanne a pratiquement effacé de la mémoire de l’humanité les très imaginables démons de l’athéisme. Au nombre de guerres, massacres et exécutions accumulé par l’Église, il serait en effet difficile de nier une présence anticléricale dans les coins sombres du Saint Empire. Le curé Jean Meslier est l’une de ces fissures dans l’édifice du Dieu tout-puissant. Ce curé rouge du 17ème siècle écrivit et distribua un pamphlet contenant huit preuves de l’inexistence de Dieu et en fidèle épicurien, il proposa au croyant de rechercher le bonheur sur terre : « Il n’y a plus aucun bien à espérer ni aucun mal à craindre après la mort. Profitez donc sagement du temps en vivant bien et en jouissant sobrement, paisiblement et joyeusement, si vous pouvez, des biens de la vie et des fruits de vos travaux. »(3) Mais beaucoup plus fort que des pamphlets incendiaires, c’est le développement du commerce et des forces productives qui allait ruiner le pied d’argile du géant barbu. Au 17ème siècle et encore davantage au 18ème siècle, l’athéisme devient offensif parce que la réalité des rapports sociaux l’exige. Les encyclopédistes seront les premiers à mener l’assaut contre le christianisme, particulièrement le baron d’Holbach, un matérialiste convaincu dont la majorité des écrits fut un combat contre Dieu et la religion. Pour la bourgeoisie naissante de l’époque, les écrits antireligieux devenaient tranquillement une arme contre la monarchie et l’ordre ecclésiastique. C’est finalement le capitalisme qui assassinera Dieu laissant place à une philosophie rationaliste et industrielle dont l’argent est la nouvelle bible et le travail le nouvel esclavage. « Dieu est mort» Avec la montée du capitalisme comme mode de production, les réalités matérielles s’imposent définitivement et laisse mourant l’ancien maître dans son palais céleste. Les nécessités de la terre prennent le dessus sur les nécessités du ciel et enfin, l’univers de Dieu s’écroule parce que l’histoire de l’humanité se transforme. L’athéisme n’en poursuit pas moins sa critique du religieux, mais cette dernière sera davantage orientée vers les systèmes de croyances que vers Dieu lui-même. Une fois dissipé le nuage de fumée d’encens des prêtres corrupteurs de conscience, les rapports entre les individus prennent davantage un sens historique et matériel plutôt que divin et sacré. Le changement d’interprétation du monde commence avec le premier grand philosophe à reconnaître que la religion possède une signification historique pour l’humanité et que le christianisme n’était qu’une réponse aux questions d’une certaine époque, ce personnage n’est nul autre que Hegel. Toutefois, Hegel ne critique pas la religion mais la justifie comme une nécessité pour le salut de l’humanité. Il ne fait qu’expliquer en quoi Dieu, pour des raisons historiques, doit laisser son règne dans les rapports humains à son cousin beaucoup plus terre-à-terre, l’État. La porte ouverte sur l’histoire par Hegel va être investit avec force par la gauche hégélienne afin de mettre un terme définitif aux arrière-mondes supposés régir la vie humaine. Parmi les membres de cette gauche (dont fait partie Karl Marx et Max Stirner), le philosophe allemand Ludwig Feuerbach affirme avec fracas dans son œuvre maîtresse « l’essence du christianisme » que Dieu est un simple mythe que les humains ont créé pour exprimer ses propres possibilités, Dieu est donc à l’image de l’être humain parce qu’il est l’idée abstraite de celui-ci. Mais toujours fidèle à Hegel, il affirme que non seulement Dieu est une mythologie historique mais il est surtout une aliénation nécessaire, car il fait partie du chemin vers lequel l’humanité prendra conscience d’elle-même de façon totalement rationnelle. Bref, selon Feuerbach, Dieu est une mauvaise blague que l’Histoire a joué à l’humanité. Mauvaise blague ou pas, Dieu rend son dernier souffle. Mais la fin d’un mythe n’est jamais la fin de la religion. Dieu peut foutre le camp, il n’en demeure pas moins que l’humanité est encore sous le joug d’un nouvel esclavage au nom d’une religion beaucoup matérialiste celle-là : le Capital. En fait, la religion déiste n’était que la forme adéquate d’une idéologie à une époque où les conditions le permettaient et l’exigeait ainsi. C’est pourquoi l’existence de Dieu et de ses chapelles du malheur ont été le complément parfait au service des seigneurs et de leurs empires, elle justifiait la société de classes d’une économie féodale. Dieu était donc condamné à disparaître parce qu’il est le fruit de l’esprit humain, le produit historique d’une humanité de classes; le Capital, produit de notre époque, est également condamné par la contradiction de classes qui l’anime. Un esprit qui hante le monde Depuis que l’économie capitalisme a supplanté le christianisme, l’athéisme devient de plus en plus matérialiste et surtout social. D’une certaine façon, la critique de Dieu est le premier pas pour une critique de la société. Cet athéisme s’attaque aux racines du problème, la société de classes devient en cause. Sans trop se tromper, on pourrait dire que Marx et Bakounine sont les plus grands représentants de cet athéisme radical. En effet, pour Marx, la question est d’aller aux racines de l’humanité et cette racine c’est l’être humain lui-même au travers ses activités quotidiennes. Lorsque le produit de ces activités est la scission de l’humanité entre deux classes sociales, la justification idéologique est nécessairement hiérarchique. La classe qui s’accapare les richesses doit justifier sa supériorité de fait. C’est pourquoi les bondieuseries furent un temps le discours obligé des maîtres aristocrates et qu’aujourd’hui, avec l’État et sa démocratie, nous avons le discours bureaucratique et gestionnaire des capitalistes. Ainsi, à chaque développement historique de la lutte de classes correspond une superstructure idéologique qui recouvre le squelette en argent de la pyramide sociale. Pour Bakounine, la critique du religieux atteint même la science et son futur gouvernement bureaucratique. Que ce soit les savants ou les socialistes, leur savoir est une matière faite d’idées, désincarné de la vie réelle, ils ne peuvent donc prétendre ériger des lois sur la vie en société et gouverner le peuple sans élever une minorité de privilégiés sur l’esclavage de la majorité. La contre-révolution stalinienne en est la preuve sanguinaire. Bref, du moment qu’il existe une instance supérieure, peu importe au nom de quelle divinité ou volonté générale ou nécessité historique qui la justifie, elle implique, pour citer Bakounine, « l’abdication de la raison et de la justice humaine, elle est la négation la plus décisive de l’humaine liberté et aboutit nécessairement à l’esclavage des hommes, tant en théorie qu’en pratique. »(4) Voilà l’athéisme! Un produit direct de la religion qui existe probablement depuis aussi longtemps que le premier prophète débile qui a foulé le sol et répandu sa maladie mangeuse de cerveaux. Partout où celui ou celle qui ne croit pas en Dieu est tenu de se déclarer, donc de se définir ennemis du divin, l’athéisme revient au galop. On ne naît pas athée, ni anarchiste, on le devient! On le devient lorsqu’un épouvantail aux allures de crapaud venimeux vient croasser ses paraboles abstraites infestées d’absurdité. En somme, l’athéisme est et restera toujours le foyer des esprits libres contre toutes formes d’obscurantisme religieux ou politique. Notes : (1) Il y a un nombre assez considérable d’édition de ce texte. Pour la citation, elle est tirée de l’édition Mille-et-une-nuit, No.121, novembre 2000, p.26. (2) Par Karl Marx, entre autre, dans son œuvre « Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Épicure. » (3) Citation tirée de la Collection « Que sais-je » sur l’athéisme, au édition PUF, novembre 1998. (4) Dieu et l’État, Mille-et-une-nuit, p.26.
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