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La classe des enrichis

pdurand, Lundi, Septembre 12, 2005 - 09:11

Jean-Claude Ravet

Extrait du numéro de septembre de la revue Relations www.revuerelations.qc.ca

Deux conférences auront lieux les 19 et 22 septembre, à Montréal et à Québec pour continuer la discussion : http://www.revuerelations.qc.ca/soirees_relations/index.shtml

L’économie, en s’affranchissant de l’organisation de la société sur laquelle elle était jusque là fondée, menace de transformer la société « en désert ». C’est ainsi que Karl Polanyi critiquait en 1944, dans son œuvre maîtresse La grande transformation, l’idéologie libérale du « laisser faire » selon laquelle le marché doit se réguler lui-même, sans aucune intervention politique. Après la courte riposte keynésienne, nous constatons que cette thèse s’avère plus que jamais actuelle.

L’économie, en s’affranchissant de l’organisation de la société sur laquelle elle était jusque là fondée, menace de transformer la société « en désert ». C’est ainsi que Karl Polanyi critiquait en 1944, dans son œuvre maîtresse La grande transformation, l’idéologie libérale du « laisser faire » selon laquelle le marché doit se réguler lui-même, sans aucune intervention politique. Après la courte riposte keynésienne, nous constatons que cette thèse s’avère plus que jamais actuelle.

L’écart entre les riches et les pauvres se creuse. La polarisation sociale avec ses inégalités économiques scandaleuses s’accroît. Des pans entiers du monde croulent dans la pauvreté la plus abjecte; pensons à l’Afrique, la laissée-pour-compte. Les mesures distributives de l’État social mises en œuvre dans les sociétés occidentales sous la pression des luttes sociales et syndicales – qui ont permis l’élargissement considérable de la classe moyenne – sont battues en brèche par les politiques économiques néolibérales qui consolident plutôt une classe financière arrogante et sans scrupule. Les propos recueillis de Mehran Ebrahimi, « L’économie contre la société », sont, à cet effet, implacables.

Éric Pineault et Jean-François Filion, dans « Les rouages d’une extorsion », démontent quant à eux les mécanismes qui permettent à cette classe financière dominante de s’enrichir d’une manière éhontée, tout en contribuant à dissoudre la classe moyenne et à appauvrir l’ensemble des travailleurs.

Les salaires outrageusement élevés des managers, alors que pèse la menace de licenciements ou de fermeture sur les entreprises qu’ils gèrent, ne sont que la pointe de l’iceberg. Ce sont là les conséquences de la logique d’un capitalisme rapace, celle du toujours plus de profits – au grand plaisir des actionnaires – même si cela va autant au détriment du bien commun que de l’entreprise elle-même. Même si cela signifie la destruction de l’environnement, le pillage des ressources naturelles. Même si pour cela, le recours à la tromperie, à la fraude, à l’extorsion doit devenir monnaie courante.

La puissance politique et culturelle de ce capitalisme est telle que la classe dominante agit en seigneur et maître devant ses vassaux et ses serfs. Jacques Mascotto, dans « L’overclass et son imaginaire », parle à juste titre d’une « reféodalisation » de la société. L’injustice devient « naturelle », les inégalités sociales et économiques se présentent comme simples différences. Le pouvoir de la classe des enrichis n’est plus perçu comme antagonique au non-pouvoir des appauvris. Le monde se partage désormais démocratiquement entre gagnants et perdants, les uns le devant à leurs seuls capacités et talents, les autres, inadaptés, se contentant d’espérer leurs largesses. C’est être dupe d’une mondialisation financière « régie par les seules lois du marché appliquées selon l’intérêt des puissants », pour reprendre les termes d’une critique cinglante de Jean-Paul II à l’égard du capitalisme libéral – dont l’article de Gregory Baum, « Jean-Paul II et le capitalisme », brosse pour nous les grandes lignes.

Les prophètes bibliques savaient que la surabondance des uns se pait avec le dénuement des autres. Le bibliste brésilien Jaldemir Vitório nous le rappelle, en invitant à prêter l’oreille à leurs paroles déconcertantes, habitués que nous sommes d’entendre la vérité contraire : l’opulence des uns est le gage de la prospérité de tous. Ainsi voudrait-on faire de la servitude la condition même de la liberté. Les médias de masse ne sont pas étrangers à cette mystification à large échelle qui véhiculent à longueur de journée cette vision molle, mais rassurante, d’une société pacifiée sous le signe de l’argent.

Les fantasmes que génère la technique ne sauront masquer longtemps l’insouciance humaine qui voisine avec la malveillance criminelle du néolibéralisme. Le désœuvrement d’une grande partie de la population, le chômage et la précarité croissante réveillent les tensions et les vieux démons des conflits de classes. Les luttes sociales et politiques que les tenants de l’État-providence ont eu tort de troquer pour la sécurité économique ne sont pas de l’histoire ancienne. Elles s’imposent au contraire contre la fâcheuse tendance à évacuer tout conflit comme malsain, à ne jurer que par un consensus même fabriqué de toutes pièces. Affronter les conflits ne signifie en rien faire l’apologie de la violence. C’est investir pleinement l’espace politique démocratique de plus en plus laissé vacant, au profit d’une scène de spectacle où les acteurs politiques de métier sont à ce point médiocres qu’ils doivent s’adjoindre leurs confrères des médias et de l’industrie culturelle afin de la rendre attrayante.

Réveiller l’indignation, encore trop assoupie, et pointer du doigt les profiteurs d’un système sans bon sens, tel est l’objectif de ce dossier incisif. Il ouvre, par ailleurs, un vaste chantier encore passablement en friche, qu’explore Nicole Laurin, dans « Qu’est-ce que la richesse? », celui de valoriser une autre conception de celle-ci, non monnayable cette fois, apte à « restaurer la planète, nourrir l’humanité, lui assurer la paix. Être riches, enfin! »

« C’est le premier gagné que de savoir, que d’avoir mesuré
tout ce que l’on a perdu. Que d’avoir déblayé. Et c’est la plus grande infortune, mais c’est aussi le plus grand armement, que de savoir
sur qui on ne peut pas compter. »
Charles Péguy, L’argent, suite

Vous retrouverez également dans Relations les articles suivants :

Les rouages d’une extorsion
Éric Pineault et Jean-François Filion
Les auteurs sont respectivement professeur et chargé de cours au Département de sociologie de l’UQAM

Le nouveau régime capitaliste d’accumulation centré sur la finance, qui favorise l’enrichissement colossal d’une classe financière dominante, se nourrit à même l’exploitation des travailleurs et profite du retrait de l’État de la sphère économique.

L’overclass et son imaginaire

Entrevue réalisée par Jean-François Filion et Jean-Claude Ravet

Professeur au Département de sociologie de l’UQAM, Jacques Mascotto enseigne depuis plusieurs années la sociologie des élites, ce qui l’a amené à s’intéresser au nouveau bloc économique dirigeant américain.

L’économie contre la société

Mehran Ebrahimi
L’auteur est professeur au Département de management et
technologie de l’UQAM

Les salaires scandaleusement élevés des pdg des grandes entreprises nord-américaines, liés à un appauvrissement croissant dans la société, sont le signe que le modèle économique néolibéral nous accule à une impasse sociale.

La revue <I>Relations</I> est une revue d'analyse sociales, politiques et religieuses. Créée en janvier 1941, la revue Relations est publiée par le Centre justice et foi, sous la responsabilité de membres de la Compagnie de Jésus et d’une équip


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