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ESPRIT CRITIQUE ET MÉDECINES ALTERNATIVES II (Critères d'efficacité)François Moore, Dimanche, Août 28, 2005 - 07:33
Yves Bleuler
Quelle position les militants progressistes devraient-ils adopter face aux différentes approches alternatives proposées dans le domaine de la santé? Ce texte d'analyse est le deuxième volet d'une réflexion amorcée plus tôt dans un texte accessible sur CMAQ sous le titre de: ESPRIT CRITIQUE ET MÉDECINES ALTERNATIVES I (Une question d'opinion?) Ici nous nous proposons de poursuivre la réflexion en exposant les critères d'efficacité d'un remède ou d'un traitement quelle que soit son origine ou son fondement théorique. . CRITÈRE D'EFFICACITÉ Avant d'aborder systématique les fondements des critères d'efficacité, considérons une erreur courante que ces critères cherchent à contourner. L'EMPIRISME PRIMAIRE Lorsque nous voulons évaluer l'efficacité d'un traitement. Le premier piège à éviter est l'empirisme primaire. Le piège de l'empirisme primaire consiste à donner un remède à une personne, à observer si son état de santé s'améliore et à attribuer une éventuelle amélioration au remède prescrit. Cette pseudo "preuve", cette pseudo évidence, a été commise régulièrement par la médecine au cours des siècles passés(1). L'empirisme primaire cache un piège redoutable. Pour révéler ce piège, considérons un exemple fictif. Imaginons que nous voulons évaluer l'effet thérapeutique du médicament "Alpha" sur les malades atteints de pneumonie. Imaginons que, pour vérifier, nous donnons à ces malades le médicament "Alpha" en même temps que deux autres médicaments ("Béta" et "Delta"). Les malades reçoivent donc simultanément trois médicaments : Alpha, Béta et Delta. Si les malades se trouvent mieux après le traitement, pourrons-nous conclure que le médicament Alpha en est responsable? Assurément non! Ayant été donné simultanément, il nous est impossible de savoir si l'amélioration est due à Alpha, à Béta, à Delta ou à une combinaison de ces médicaments. En d'autres mots, lorsque plusieurs facteurs de guérisons potentiels agissent simultanément, il est impossible de déterminer l'effet d'un seul de ces facteurs. Pour parvenir à mesurer l'effet propre d'un seul de ces facteurs, il faut l'isoler des autres. Dans notre exemple, il faudrait au minimum donner le médicament "Alpha" séparément de Béta et Delta pour voir s'il a un effet sur le cours de la maladie. Mais voilà! Ça ne suffit pas! En effet, n'importe quel processus de guérison comporte deux autres facteurs "cachés" qui jouent également un rôle important : Les mécanismes naturels de guérison et l'effet placebo. Les mécanismes naturels de guérisons sont de différents ordres. Dans le cas d'une pneumonie, par exemple, il faut certainement compter avec le système immunitaire du malade. L'effet placebo, pour sa part, désigne un effet curatif psychologique que provoque n'importe qu'elle traitement lorsque le malade est "conscient" du fait qu'un traitement lui a été adminstré(2). L'effet placebo est négligeable dans certaines maladies, mais considérable pour d'autres. Par ailleurs, pour une même maladie, l'effet placebo change considérablement d'un malade à l'autre et d'un moment à l'autre de la maladie. Il est donc assez imprévisible. Donner un médicament seul, ce n'est donc jamais que donner un médicament en combinaisons avec l'effet placebo et avec l'effet des mécanismes naturels de guérison. Donner un médicament seul est très semblable à notre exemple ou nous donnions trois médicaments en même temps. Nous ne pouvons pas mesurer l'effet respectif des facteurs. Encore ici, la solution consistera à "isoler" l'effet du médicament des effets des mécanismes naturels de guérison et de l'effet placebo. Le processus nous permettant d'isoler les trois facteurs est très ingénieux. Nous le verrons un peu plus bas. Pour le moment, retenons que l'erreur appelée "Empirisme primaire" consiste à évaluer l'effet d'un remède ou d'un traitement en "oubliant" de tenir compte du fait qu'un processus de guérison n'est jamais seulement attribuable au remède que nous lui donnons. L'empirisme primaire est l'erreur la plus souvent commise par les adeptes de médecines alternatives. Encore récemment un médecin qui faisait la promotion d'une approche alternative en santé alléguait que sa valeur thérapeutique était faite "tous les jours" par ceux qui la pratiquent. Ce séduisant argument n'est jamais que de l'empirisme primaire même si l'auteur est un "médecin américain formé à Stanford". Nous devons le constater, l'empirisme primaire est un piège qui guette même les personnes les mieux formées. Dans un autre registre social, l'empirisme primaire n'est pas qu'un piège dans lequel on peut tomber accidentellement. C'est aussi un piège que l'on peut tendre à des victimes potentielles qui ne sont pas suffisamment sur leurs gardes. L'empirisme primaire est un piège savamment entretenu par les escrocs et par les gourous de la santé(3). Tous les gourous ont des cas de guérisons survenus dans leur clientèle à faire valoir en "preuve" de la valeur de leur thérapie. Tous les adeptes d'alternatives en santé ont vécu ou ont été témoins d'une amélioration sensible chez une personne de leur entourage suite à un traitement alternatif qu'ils attribuent à ce traitement alternatif. Si ces adeptes, ces promoteurs et ces gourous n'ont pas de meilleurs arguments, nous pouvons affirmer qu'ils commettent délibérément ou par ignorance une erreur classique : L'empirisme primaire (post hoc ergo propter hoc) LA BONNE MÉTHODE DE VÉRIFICATION LE PRINCIPE: L'ÉTUDE COMPARATIVE Nous avons vu que l'évolution de l'état de santé d'une personne après l'administration d'un remède est potentiellement attribuable à une combinaison de trois facteurs : le remède, l'effet placebo et l'effet des mécanismes naturels de guérison. Nous avons également vu que, pour mesurer l'effet propre du remède, il faut pouvoir l'isoler de l'effet des deux autres. Comment y parvenir? On ne peut pas demander aux malades d'interrompre leurs mécanismes naturels de guérison. Ces mécanismes sont involontaires. On ne peut pas non plus donner le remède en cachette pour neutraliser l'effet placebo, une pareille dissimulation serait contraire à l'étique. Alors, que faire? Plusieurs solutions ont été envisagées avec des avantages et des inconvénients. La seule qui soit vraiment parvenue à sortir du lot, et qui est devenue la "norme" dans les années 60, est l'étude comparative. Elle repose sur le principe mathématique de "soustraction". L'idée consiste à composer deux groupes. Le premier, appelé GROUPE EXPÉRIMENTAL, est composé de malades qui reçoivent le remède mis à l'épreuve. Le second, appelé GROUPE TÉMOIN, est composé de malades qui reçoivent un "faux remède" en tous points analogue au remède (couleur, forme, grosseur) à l'exception du fait qu'il ne contient pas d'agent actif (par exemple un comprimé de farine). Nous avons donc deux groupes : l'un où trois facteurs jouent et l'autre où seuls deux facteurs jouent: Groupe expérimental: Effet placebo + Mécanismes naturels + Remède On mesure ensuite l'évolution de la maladie dans les deux groupes. En principe, si le groupe expérimental fait mieux que le groupe témoin, le bénéfice excédentaire est attribuable à l'effet du remède pris isolément. Ingénieux n'est-ce pas! DES PETITS DÉTAILS IMPORTANTS Nous devons cependant souligner que le principe simple de l'étude comparative rencontre plusieurs petits obstacles dont la méthode de base doit tenir compte pour être valide. L'uniformité des groupes : Pour que la comparaison soit valable, les deux groupes doivent être comparables en tous points. Si non, la différence mesurée pourrait être attribuable à un autre facteur que le remède. Par exemple, si la moyenne d'âge des deux groupes n'est pas la même, la différence pourrait être attribuable au vieillissement du système immunitaire. Cette règle est surtout connue et décrite par l'expression "toutes choses égales par ailleurs". Les variations individuelles : L'effet d'un traitement, l'effet placebo et l'impact des mécanismes naturels de guérison peuvent varier considérablement d'un individu à l'autre. Pour neutraliser l'impact des variations individuelles, les deux groupes doivent être composés d'un nombre important de sujets. Dans un protocole conventionnel, en dessous de 15 sujets par groupes, la "variance" joue un trop grand rôle et les conclusions ne peuvent être qu'indicatives. Les chercheurs préfèrent des groupes composés de 30 à 100 sujets. Dans certaines recherches, comme les recherches sur les effets préventifs de remèdes, les groupes doivent être composés de milliers de sujets. Ce qui détermine l'importance du groupe relève de contraintes statistiques, de fréquence du phénomène observée dans la population et de triviales contraintes budgétaires. Des sujets "aveugles": Pour uniformiser l'effet placebo, les sujets ne doivent pas savoir auquel des groupes ils appartiennent. Des chercheurs "aveugles": Pour s'assurer que les préjugés des chercheurs ne contaminent pas la mesure des résultats, il est prévu que ceux qui effectuent la mesure des effets ne savent pas non plus quels sujets appartiennent au groupe expérimental et quels sujets appartiennent au groupe témoin(4). Randomisé: Pour s'assurer que des facteurs actifs, dont on ne connaîtrait pas l'existence, n'influencent pas trop les résultats, on s'assure que la distribution des sujets dans les groupes est faite au hasard. Indépendance: Le groupe de chercheurs qui effectuent la recherche doit être idéologiquement et financièrement indépendant. Si les chercheurs gagnent leur vie en pratiquant une technique ou en distribuant une classe de remèdes, nous sommes en droit de nous interroger sur leur indépendance. Si des chercheurs, toujours en quête de financement, dépendent des bonnes grâces d'un groupe pharmaceutique, nous sommes en droit de nous interroger sur leur indépendance. Si des chercheurs ou des médecins font la promotion d'une approche depuis des années et que leur "dignité" dépend des résultats qu'ils obtiendront, nous sommes toujours en droit de nous interroger sur leur indépendance. Comme le soulignait Jean-Jacques Aulas5, "il ne faut pas être naïf". Lorsque le résultat d'une recherche comporte des enjeux financiers ou idéologiques importants, des observateurs ont droit d'être exigeants avant de prêter foi à des résultats. À ce sujet, les recherches portant sur des traitements conventionnels ne se distinguent pas des recherches portant sur les méthodes alternatives. Un intéressant article est paru dans le BMJ(6). Il montre que les résultats de recherches financés par des compagnies pharmaceutiques ont "statistiquement" plus de chance d'aboutir à des résultats positifs que si elles sont conduites par des équipes indépendantes... Reproductibilité: Un dernier critère important est la reproductibilité systématique des résultats. Les modèles statistiques ayant actuellement cours ont souvent une marge d'erreur de 5 %. En d'autres mots, il est prévu que la recherche montrera des résultats positifs par pur hasard, une fois sur vingt. Si les chercheurs n'obtiennent pas des résultats positifs en reproduisant leur recherche, ils devraient être en devoir de corriger leurs conclusions positives préalables. Ceux qui sont trop engagés émotivement ou financièrement ne le font pas toujours. La triste histoire de la controverse sur la "mémoire de l'eau" en est un exemple(7). Par ailleurs, la reproductibilité des résultats doit pouvoir être faite par des chercheurs indépendants. Si une seule équipe de recherche obtient des résultats positifs, on est en droit de se demander si le protocole de recherche en apparence impeccable ne cache pas une erreur ou une malversation intentionnelle. Ce sont les principales précautions. Il en existe d'autres qui dépendent alors de la nature de la maladie et du traitement mis à l'épreuve. Dans son entier, la méthode de base reconnue aujourd'hui s'appelle : "L'étude comparative randomisée en double aveugle". Il est important de souligner que la méthode de vérification scientifique ne s'applique pas qu'aux remèdes et méthodes thérapeutiques découverts par des scientifiques. Cette méthode de vérification s'applique à toutes les méthodes nouvelles ou anciennes, millénaires, holistiques, naturelles ou artificielles, chinoises, tibétaines, indoues ou Amérindiennes, ésotériques ou religieuses. Avec des ajustements, cette méthode s'applique à n'importe quels produits ou techniques qui ont la prétention d'avoir un effet préventif ou curatif sur une maladie. Ces critères étant maintenant bien établis, nous verrons dans notre prochain texte par quels subterfuges les charlatans parviennent à éviter la mise à l'épreuve des produits dont ils font la promotion. Notes: 2- Aulas JJ (1993) Les médecines douces. Des illusions qui guérissent. Éditions Odile Jacob. 3- C'est Isabelle Stengers qui est, je crois, la première à avoir suggéré de définir le charlatan à partir de son choix délibéré de tromper ses clients en exploitant l'empirisme primaire. Pour Strengers, le charlatan est "celui qui revendique ses guérisons pour preuves". 4- On appel "Effet Rosenthal" et parfois "Effet Pygmalion" le biais produit par les préjugés de l'expérimentateur sur la mesure de ses résultats. 5- Aulas JJ (1990) L'homéopathie. Éditions Odile Jacob 6- Lexchin J, et al. (2003) Pharmaceutical Industry sponsorship and research outcome and quality : systematic review. BMJ, vol 326, pp 1167-1170. Vois aussi: Bekelman et al. (2003) Scope and impact of financial cnflicts of interest in biomedical research: a systematic review, JAMA, vol 289, pp 454-465.
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