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Un "marxiste-léniniste" porte-étendard de la bourgeoisie nationaliste

Eric Smith, Dimanche, Juillet 31, 2005 - 22:41

Arsenal-express

Pierre Dubuc, le rédacteur en chef du mensuel nationaliste L'aut'journal, a annoncé par voie de communiqué le 21 juillet dernier qu'il se lançait dans la course à la direction du Parti québécois. Ce faisant, Dubuc a achevé de se discréditer comme militant "de gauche" et "marxiste-léniniste pur et dur" qu'il prétendait être.

Pierre Dubuc, le rédacteur en chef du mensuel nationaliste L'aut'journal, a annoncé par voie de communiqué le 21 juillet dernier qu'il se lançait dans la course à la direction du Parti québécois.

Rappelons que lors du dernier congrès du PQ, son chef Bernard Landry avait jugé bon de quitter la direction du parti, jugeant que le vote de confiance de 76,2% qu'il a obtenu était insuffisant pour qu'il puisse continuer à assumer ses tâches de leader de ce parti souverainiste à multiples composantes politiques bourgeoises. D'ailleurs, dans la liste des candidatEs annoncéEs, on retrouve des gens aussi bizarres que Hugues Cormier, un psychiatre qui était membre jusqu'à il y a peu de temps du Parti libéral du Canada, l'ancien député bloquiste et raciste invétéré Ghislain Lebel, qui voue une haine profonde envers les peuples autochtones, Jean-Claude St-André, le député qui, en compagnie de Yves Michaud et de la revue L'Action nationale chante les vertus d'un PQ pur et dur, i.e. ultra-nationaliste et anti-anglophone, et quelques autres candidats assez particuliers... Ce ne sont pas tous ces gens qui deviendront officiellement candidats, puisqu'il faut 1 000 signataires de membres en règle du PQ pour le devenir. Pour l'instant, seuls Richard Legendre, cet ex-tennisman, et Louis Bernard, ex-haut-fonctionnaire dans le gouvernement Lévesque, ont obtenu leurs signatures dans au moins 40 comtés différents, comme l'exigent les procédures officielles.

Pourquoi Landry a-t-il quitté la direction du PQ? Son objectif avoué était de tenir un référendum sur la souveraineté du Québec, un an après la tenue des prochaines élections. Pour cela, il lui fallait un PQ solidement uni derrière lui. On sait aussi que lors du dernier scrutin en 2003, le PQ a obtenu un des pires scores depuis 1970. Seuls 23,1% des électeurs et électrices inscritEs ont donné leur appui au Parti québécois lors de ce scrutin. En 1973, alors qu'il en était encore à ses débuts, le Parti québécois avait réussi à obtenir 23,9% des suffrages. Étrangement, en 2003, malgré un moindre appui, le PQ, grâce au système électoral d'origine britannique, a pu sauver la face en faisant élire 45 députés alors qu'en 1973, il n'en avait obtenu que six. Comme on le sait, le système actuel veut que celui qui se classe premier au total des suffrages exprimés dans une circonscription soit élu, même s'il a obtenu moins que 50%. Le système électoral est toujours organisé pour favoriser la classe au pouvoir ainsi que ses partis. (Dans ce contexte, il est en outre parfaitement illusoire de penser qu'un véritable parti prolétarien puisse faire la différence en participant au cirque parlementaire bourgeois.)

Fort d'une représentation parlementaire élevée, le Parti québécois n'a pas été balayé de l'espace politique québécois. Il en est quand même sorti affaibli. Le Parti libéral au pouvoir, lui, n'a pas réussi à profiter de l'affaiblissement significatif du PQ. Il a mis en place des politiques particulièrement impopulaires, qui ont suscité une grande colère. Le PQ a tenté de récupérer le mouvement et a montré un semblant d'ouverture aux mouvements syndicaux et populaires, qui étaient les cibles des attaques "botchées" du PLQ.

Par ailleurs, au niveau fédéral, il y a eu le scandale des commandites, qui a suscité un fort scepticisme dans la population québécoise. Habilement, les partis souverainistes ont réussi à associer ce scandale au fédéralisme lui-même (puisqu'il impliquait le Parti libéral du Canada), ce qui a pu permettre une remontée dans les sondages pour l'option souverainiste.

De leur côté, les forces dites "de gauche" comme l'Union des forces progressistes (UFP) ou Option citoyenne, n'ont pas réussi à récupérer le mouvement de scepticisme envers les partis politiques traditionnels qu'impliquait le scandale des commandites, et n'ont pas tiré leurs billes adéquatement dans la campagne contre Jean Charest. Ces forces n'ont pas réussi à accroître leur crédibilité au sein des mouvements populaires et syndicaux qu'elles auraient aimé rejoindre.

Dans ce contexte où les partis de la gauche nationaliste social-démocrate n'ont pas livré la marchandise, il peut apparaître tentant de reformer la vieille coalition nationaliste tous azimuts des années 1970 au sein du Parti québécois. C'est d'autant plus attrayant que le PQ sort affaibli du dernier scrutin et qu'il a besoin de se "renouveler". C'est là qu'apparaît Pierre Dubuc et son groupe appelé "Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre" (SPQ-libre), qui veut jouer le rôle du "requin bienveillant". Dans la déclaration de principe du SPQ-libre, cette idée est explicitée: "Devant tant d'adversité, le Parti québécois n'aura d'autre choix, s'il veut l'emporter, que d'opérer un virage à 180 degrés et redevenir la grande coalition, rassemblant l'ensemble du spectre politique, qu'il était dans les années 1970."

Avant les dernières élections provinciales, Pierre Dubuc était un partisan de l'UFP. Durant le scrutin, voyant que le PQ s'affaiblissait considérablement, il a appelé les forces de gauche à tenter de négocier quelques comtés avec le PQ. Les gens de l'UFP étaient plutôt contre. Le score électoral de l'UFP fut très décevant. Quelque temps après, on apprenait la mise sur pied de SPQ-libre, qui regroupait des gens des milieux syndicaux et populaires qui voulaient intervenir au sein du PQ, comme Monique Richard, ancienne dirigeante de la CSQ, et le traître et opportuniste Marc Laviolette, ancien président de la CSN et ex-porte-parole du Parti communiste ouvrier, qui a viré capot.

M. Dubuc a eu des petites conversations avec Bernard Landry, qui a bien voulu accorder une entrevue à L'aut'journal. À cette époque, le Parti québécois avait commencé une période de réflexion interne appelée la "saison des idées". Dans l'entrevue, Landry avait invité la gauche à revenir dans le PQ et déclaré qu'il était possible de modifier les statuts du parti de telle sorte qu'il puisse accueillir des "clubs politiques", comme c'est le cas au sein du Parti socialiste en France.

Lors du dernier congrès du PQ, les statuts du parti ont effectivement été modifiés pour permettre l'accueil de ces "clubs". Mais aussi, le congrès a adopté quelques résolutions d'inspiration social-démocrate, ce qui a fait dire à Marc Laviolette qu'un "virage social-démocrate a été adopté par le congrès du PQ" et que le "préjugé favorable aux travailleurs a repris du service" dans ce parti (en référence à la fameuse -- et fumeuse -- expression utilisée par René Lévesque, suite à la première élection du PQ en 1976) (voir L'aut'journal n° 241, juillet-août 2005).

Entre autres éléments qui "prouveraient" son "préjugé favorable aux travailleurs", le PQ a réaffirmé l'importance d'une "politique de plein emploi" (cela, dans un régime capitaliste qui, par nature, empêche cette perspective). Dans les faits, les politiques de ce genre ont toujours été à l'origine du développement des programmes d'employabilité, très utiles pour la croissance du secteur de l'économie sociale, que désirent les syndicats. Bien sûr, le PQ prétend reconnaître les droits syndicaux. Il faut dire que, dans les faits, les syndicats au Québec sont très dociles et contribuent à renforcer la domination capitaliste sur le prolétariat. Si le PQ souhaite une législation plus "favorable" au syndicalisme, c'est, dit-on avec candeur, "pour établir au Québec un climat de confiance et de relations de travail favorable à un partenariat véritable et responsable dans le secteur du travail" (ce dont se réjouit Laviolette, qui naguère aurait qualifié ça, avec raison, de collaboration de classe institutionnalisée).

Il est quand même bizarre que Marc Laviolette ne se rappelle plus que le "préjugé favorable aux travailleurs" du PQ dans les années 1970 ne fut que de la poudre aux yeux. La fameuse loi dite anti-scab, adoptée en 1977 et célébrée par les syndicats, légalisa, dans bien des cas, la présence des scabs dans des petites et moyennes entreprises. C'est là qu'on retrouve le plus de travailleurs et travailleuses à revenu de crève-la-faim et que le droit de grève devrait être protégé le plus. On présente aussi la Société d'assurance automobile du Québec comme un haut fait progressiste. Le PQ s'est bien abstenu de nationaliser le secteur des dommages matériels, pourtant le plus rentable pour les compagnies d'assurance, ne se contentant que de nationaliser le secteur des dommages corporels, qui est le moins rentable. Aujourd'hui, on parle d'augmenter les primes de cette assurance. Il y a eu aussi la mise sur pied de la CSST, dont n'importe quelle travailleuse ayant été victime d'un accident industriel un de ces jours a pu apprécier le "préjugé favorable"... aux employeurs.

Si, dans son premier mandat, le PQ a donné l'impression d'un parti progressiste, quand le référendum fut perdu en 1980, le chat sortit du sac et on se rendit compte que le PQ était essentiellement un parti réactionnaire, qui ne travaillait que pour un projet nationaliste bourgeois. Comment se fait-il que des "syndicalistes" aient oublié les coupures monstres faites par le PQ dans le secteur public en 1982? Après le référendum perdu de 1995, le sinistre Lucien Bouchard ne s'est pas gêné lui non plus pour imposer son "déficit zéro". Pour un parti qui dit avoir un préjugé favorable envers elles et eux, il semble assez facile de se venger sur les travailleurs et travailleuses quand ses projets ne passent pas. Y en a-t-il qui s'imaginent que le PQ va récompenser les travailleurs et travailleuses après un référendum victorieux? Rien ne prouve que la situation sociale et économique va s'améliorer après l'indépendance. Par contre, on semble dire qu'il va y avoir une période d'instabilité économique qui risque momentanément d'avoir des conséquences négatives sur l'économie du Canada et d'un Québec nouvellement indépendant. Il se peut fort bien que le nouveau gouvernement indépendantiste soit tenté d'imposer des mesures d'austérité économique et, avec les syndicats dociles que le Québec a, il n'est pas clair que les gains perdus puissent être recouvrés un jour. Mais, on l'aurait, not'pays...

L'organisme SPQ-libre considère que le contexte actuel est favorable au développement d'une perspective nationaliste de gauche. Il y a effectivement une remontée dans les sondages pour l'appui à la souveraineté (surtout lorsqu'elle est assortie d'un partenariat avec le Canada). Or, quand cela devient important, les résultats ne sont pas là. Voter pour le Bloc à Ottawa n'implique pas beaucoup de risques pour le déclenchement d'un processus référendaire. Voter pour le PQ, c'est une autre histoire. Il y en a qui disent que les nouvelles générations sont plus enclines à appuyer l'indépendance. En réalité, les jeunes sont nombreuses et nombreux à s'abstenir. Les jeunes progressistes se détournent de plus en plus des formes traditionnelles de militantisme politique et sont de moins en moins attiréEs par la voie électorale. Le secteur jeunesse du Parti québécois n'est pas nécessairement son secteur le plus dynamique et ce n'est pas lui qui va mobiliser le plus efficacement la jeunesse pour la cause indépendantiste.

Par-dessus tout, ce qui, historiquement, avait réussi à mobiliser une base sensible aux idées souverainistes, c'était, d'une part, le nationalisme linguistique et, d'autre part, le nationalisme étatique. Disons que la question de la langue ne soulève plus largement les passions. Un unilingue francophone a désormais un meilleur revenu qu'un unilingue anglophone au Québec. Il y a encore quelques zélés comme Gérald Larose et la bande de L'Action nationale qui s'énervent avec ça, mais ça ne va pas trop loin. Pour ce qui est du nationalisme étatique, le PQ n'a pas été tendre envers les employéEs du secteur public durant la période du déficit zéro. Des choses comme ça, c'est difficile à oublier et ça n'aide pas à construire un nationalisme étatique.

SPQ-libre prend donc le risque d'une hypothétique souveraineté. Il prend le risque d'entraîner une grande partie des progressistes dans une voie de garage pas nécessairement gagnante. C'est sûr que l'UFP n'a pas nécessairement un grand avenir... Par contre, en "requin bienveillant", SPQ-libre entend monnayer son appui à l'indépendance. Pierre Dubuc devrait réunir sans trop de difficultés les 1 000 signatures nécessaires à sa candidature, et il est fort probable que des syndicats comme le local 301 du SCFP (les cols bleus de Montréal) inviteront leurs membres à joindre massivement le PQ et à voter pour Dubuc comme premier choix. Ce qui devient monnayable, ce sont les deuxièmes, troisièmes, quatrièmes... choix, dépendamment du nombre de candidatEs officielLEs.

Avec l'aide des appareils syndicaux nationalistes, le SPQ-libre a une certaine capacité de mobilisation que n'ont pas les autres candidatEs. Le SPQ-libre peut donc rameuter beaucoup de nouveaux membres au PQ. De toute évidence, André Boisclair et Pauline Marois partent en avance. Ensuite, les candidats Richard Legendre, Louis Bernard, Jean-Claude St-André et Pierre Dubuc sont ceux qui peuvent compter sur des réseaux. St-André est le candidat de ceux qu'on appelle les "purs et durs" au sein du PQ. On sait que SPQ-libre a déposé une motion prétendant forcer les immigrantEs (et les francophones) à aller dans des cégeps francophones, que les "purs et durs" ont appuyée avec enthousiasme. Yves Michaud et Mario Beaulieu écrivent parfois dans L'aut'journal, et on sait qu'ils sont associés au courant des "purs et durs". On se doute qu'il risque d'y avoir des alliances de ce côté. Il reste toujours la possibilité d'un retour de Bernard Landry... En tout cas, le SPQ-libre voudra monnayer son appui.

Il faut quand même être rendu bien bas pour monnayer un appui à unE candidatE bourgeois ultra-réactionnaire, peu importe lequel ou laquelle (Marois, Boisclair, Landry... étaient des ministres des cabinets péquistes qui ont attaqué fortement les travailleurs et travailleuses), en retour de quelques prises de position pour un programme social-démocrate au demeurant on ne peut plus fade, qui ne sert en rien les intérêts du prolétariat. À une certaine époque, Pierre Dubuc avait quitté le groupe En Lutte! en accusant cette organisation d'être trop social-démocrate et pas assez "marxiste-léniniste". Il avait joint l'Union bolchevique, une organisation qui faisait une défense intransigeante de Joseph Staline, rejetant l'apport positif du maoïsme au sein du mouvement marxiste-léniniste.

Il est illusoire de penser que le mouvement syndical québécois puisse être le fer de lance d'un projet d'émancipation populaire au Québec. Le mouvement syndical actuel, par sa composition sociale et son alignement idéologique, n'est plus qu'un rouage dans l'appareil de domination politique de la bourgeoisie, en jouant le rôle d'un "flanc gauche" de cette classe. Le mouvement syndical actuel est nationaliste parce qu'il est dominé dans les faits par l'aristocratie ouvrière et la petite bourgeoise salariée (la permanence syndicale fait partie de la petite bourgeoisie salariée) et que ces sections de classe sont, par leur nature, gagnées par le nationalisme. Dans un cas, il s'agit des surprofits de l'impérialisme québécois qui engraissent l'aristocratie ouvrière et, dans l'autre cas, le plus gros débouché d'emplois de la petite bourgeoisie salariée est l'État, soutien principal du nationalisme. SPQ-libre ne peut donc être qu'un vulgaire relais de la bourgeoisie dans le mouvement prolétarien, et non pas un acteur qui puisse jouer un rôle politique favorable pour la cause du peuple.

Dubuc ne pourra pas s'appuyer sur ses vieilles idées du temps qu'il se posait comme un grand marxiste-léniniste pour justifier sa soumission honteuse envers la bourgeoisie québécoise. Dans un pays où une lutte de libération nationale se justifie, les forces prolétariennes s'y impliquent parce qu'elles peuvent y jouer un rôle dirigeant, parce que la bourgeoisie nationale patriotique ne peut assumer une direction ferme du mouvement du fait qu'elle est faible, étouffée par les classes réactionnaires semi-féodales et compradores. Dans la propagande nationaliste, on ne justifie pas l'indépendance sur la base que le Québec est un pays sous-développé. Au contraire, cette propagande insiste pour dire que le Québec deviendrait aisément un grand acteur mondial.

Dans ce contexte où une économie impérialiste a été développée (le Québec occupe bien un large territoire autochtone dans le nord), le prolétariat, s'il veut jouer un rôle politique dirigeant dans la lutte pour changer réellement la société et faire avancer la cause du peuple, doit complètement rompre avec la bourgeoisie. Une rupture politique avec la bourgeoisie, ça signifie un projet authentique de révolution socialiste. Tout autre projet qui implique un maintien du lien avec la bourgeoisie n'est que du réformisme bas de gamme et ne sert pas le prolétariat. En prenant fait et cause pour le projet de la bourgeoisie nationaliste et en osant postuler à sa direction, Dubuc a achevé de se discréditer comme militant "de gauche" et "marxiste-léniniste pur et dur" qu'il prétendait (et prétend encore possiblement) être.

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Article paru dans Arsenal-express, nº 57, le 31 juillet 2005.

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