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La farce de la "victoire du non" en France

Anonyme, Vendredi, Juin 3, 2005 - 04:39

Yves

La triste farce de la «victoire du non» (1)

Du nationalisme des partis bourgeois de gauche
et des manœuvres politiciennes de l'extrême gauche

Comme lors de chaque compétition électorale, chacun, vainqueur ou vaincu, se félicite des résultats du référendum du 29 mai 2005.

Certes, les partisans du oui font un peu la tête et affirment que «la France» a pris quelques années de retard dans ce qu'ils appellent «la construction de l'Europe». Mais ils se consolent en se disant qu'après tout ils ont encore le pouvoir (UMP) ou qu'ils vont bientôt le récupérer (PS). Quant aux partisans du non, ils se réjouissent avec raison de la gigantesque baffe que s'est pris Chirac et beaucoup avancent la nécessité de sa démission et de nouvelles élections anticipées, élections qui n’ouvriront immanquablement la voie qu’à d’amères désillusions, quels qu’en soient les résultats.

Mais les partisans du oui comme ceux du non expliquent tous que la campagne a «réveillé l'intérêt pour la politique», «le débat dans la France d'en bas», qu'il y a eu des «réunions passionnantes», que «tout le monde étudiait la Constitution stylo à la main», etc. Comme à chaque élection, et c’est encore plus visible pour celle-ci, les participants à la farce électorale baignent en fait dans l'autosatisfaction franco-française et souvent chauvine, ou en tout cas paternaliste vis-à-vis des autres peuples européens. Et quoi de plus normal, puisque c'est justement l'une des fonctions du système électoral ? Faire communier tous les individus d’un Etat donné, quelle que soit leur classe sociale, dans l'illusion qu'ils sont tous égaux puisqu'ils ont tous le même bulletin de vote à leur disposition. Leur faire croire qu’en abandonnant leur pouvoir de décision entre des représentants incontrôlables et incontrôlés, sans que ceux-ci soient obligés de tenir leurs engagements ou de respecter leur programme, les acteurs agissent pour le bien général de la nation, exploiteurs et exploités confondus.

Mais puisque cette élection concernait l'Europe, il faut aller plus loin dans l'analyse non pas des résultats du scrutin lui-même et des combines politiciennes franco-françaises — les spécialistes s'en chargeront pendant des mois— mais des positions défendues par les partisans du «non de gauche», de leur triomphalisme mystificateur et de leur incapacité à bâtir une analyse internationale et internationaliste.

Une cécité générale

Pour toute personne qui s'intéresse à la vie politique en France depuis quelques années, un certain nombre de choses restent immuables. Les politiciens bourgeois pensent que leur impérialisme est toujours aussi puissant qu'au XIXe siècle et au début du XXe siècle ; quant aux révolutionnaires, on a l’impression qu’ils agissent comme si l'opinion de Marx sur la supériorité politique du mouvement ouvrier français était encore valable, un siècle et demi plus tard. Comme si on vivait encore dans la période ouverte par la Révolution de 1789 et close en France par la Commune de Paris, période où effectivement le prolétariat de France pouvait sembler à «l’avant-garde» des autres prolétariats par sa détermination à affronter l’Etat.

Curieusement, ni les conservateurs ni les révolutionnaires ne veulent tirer les conséquences politiques du fait que la France est désormais une puissance impérialiste en déclin sur le plan militaire, et menacée sur le plan économique. Elle ne peut tenir son rang dans le chœur des puissances capitalistes qu'en concluant d'étroites alliances économiques et politiques transnationales, d'où le caractère vital pour la bourgeoisie française du projet européen.

Face à cette situation, les révolutionnaires ont été incapables, depuis plus de cinquante ans que se met en place l'Europe, d'instaurer des liens réguliers avec leurs camarades d'autres pays (européens ou pas), à la fois pour construire une réflexion et pour faciliter une action sur toutes les questions : retraites, salaires, migrations, répression policière, justice, systèmes de santé ou d'éducation, etc.

Et lorsque Lutte ouvrière et la LCR ont eu cinq députés pendant une législature au Parlement européen quel a été leur bilan ? En quoi ces cinq années de présence au sein des institutions européennes ont-elles armé ces organisations pour préparer la bataille non seulement en France, mais dans toute l’Europe, contre le Traité constitutionnel et ses conséquences ?

A en juger par l’absence de collaboration entre les groupes révolutionnaires européens durant la campagne du non, on est tenté de répondre : à rien du tout (1).

Et on pourrait en dire autant à propos des anarchistes et des libertaires qui comptent des partisans dans à peu près tous les pays d’Europe et ont eux aussi été incapables de mener la moindre campagne internationale contre le Traité ou autour des questions qu’il soulève. Quelles sont alors les causes de cette absence de mise en pratique d’un internationalisme hautement revendiqué par les trotskystes comme par les anarchistes (2) ?

Cette cécité politique générale concernant le déclin de l'impérialisme français, cette incapacité à agir et réfléchir à l'échelle européenne, voire mondiale, tiennent à une raison fondamentale : les réactionnaires, les réformistes voire une partie de la gauche marxiste dite «révolutionnaire» partagent les mêmes lunettes nationales occultées par leurs références universalistes et républicaines.

Pour l’extrême gauche marxiste, ses références françaises (de Jaurès à Bourdieu, en passant par Nizan, Bettelheim, Politzer ou Poulantzas) sont toutes des références étatistes, d’inspiration social-démocrate ou stalinienne. Et quand leurs lectures dépassent l’horizon français, ce n’est pas dans les écrits des bolcheviks et des «belles années» de l’Internationale communiste qu’ils puiseront un sens critique vis-à-vis de l’Etat puisque c’est justement ce courant qui a théorisé la domination du Parti sur l’Etat.

Quant aux anarchistes, leurs références intellectuelles, si elles ne sont pas étatistes, sont elles aussi pour une grande part franco-françaises : certains libertaires ressassent inlassablement un passé certes riche (Proudhon, les frères Reclus, Fernand Pelloutier, George Sorel, Sébastien Faure, Jean Grave, Emile Pouget, etc.) mais vis-à-vis duquel ils éprouvent surtout une nostalgie acritique ; pour de nombreux militants anarcho-syndicalistes on a souvent l’impression que le syndicalisme révolutionnaire d’avant 1914 constitue une sorte d’horizon indépassable ; les anarchistes plus jeunes sont fréquemment attirés par les jongleries verbales et les exercices de style des situationnistes et des néo-situs que l’on a du mal à classer dans les armes indispensables au combat politique quotidien contre le Capital, ou alors, avides de savoir et de réponses nouvelles, ils dévorent, tout comme les jeunes trotskystes d’ailleurs, la prose de la gauche étatiste d’ATTAC à Bourdieu, sans toujours en déceler les pièges.

Jusqu’à plus ample informé, la réflexion politique quotidienne des libertaires ne semble guère puiser dans les analyses menées par les anarchistes d’autres pays, d’hier ou d’aujourd’hui. Très peu d’ouvrages écrits par des anarchistes américains, espagnols, argentins, allemands, italiens, etc., sont traduits en français et ceux qui le sont (Murray Bookchin et Noam Chomsky) ne brillent guère par leur radicalité..

Donc, qu’ils soient trotskystes ou anarchistes, les révolutionnaires français, pour des raisons différentes mais qui aboutissent à des conséquences assez semblables, ont bien du mal à prendre des distances avec leur histoire et leurs deux principales traditions nationales, jacobine d’un côté, syndicaliste révolutionnaire de l’autre.

Un fonds idéologique commun à la gauche et à la droite : le culte de l'Etat

Il existe, que cela leur plaise ou pas, une rhétorique politique nationale, commune à la droite, à la gauche, voire même à l'extrême gauche dans certains cas. Cette rhétorique puise, dans des proportions diverses et de manière différente, dans des thèmes communs dont le rappel permanent de l'apport des philosophes des Lumières, l’universalité des droits de l’homme, l'idéologie républicaine et laïque, la prétendue démocratie communale, une vision idéalisée de la Résistance sous l'Occupation, le mythe de la neutralité des services publics et, plus récemment, l'idéologie qui a pris de l’ampleur avec le mouvement altermondialiste : le citoyennisme, la «démocratie participative», qui puisent dans la tradition politique nationale-étatiste française et se résument à une croyance aveugle en les mensonges et les illusions de la démocratie bourgeoise.

Bien sûr, tous les républicains, les laïques et même les citoyennistes ne sont pas des chauvins de la pire espèce. Mais, même lorsqu'ils invoquent de vagues valeurs internationalistes ou altermondialistes, ils sont incapables de rompre pratiquement avec l'idéologie qui a pris de si nombreuses formes durant l'histoire des luttes de classes en France. Cette idéologie est fondée sur le culte de l'Etat et de ses institutions, la croyance en son rôle protecteur, progressiste, quasi messianique, un rapport acritique au parlementarisme et aux formes de confiscation de la volonté populaire. Et au cours des dernières années, les campagnes menées contre l’AMI, ou plus récemment contre la directive Bolkenstein, ont été marquées par une inquiétante union nationale de la droite à la gauche, autour du thème de la supériorité du «modèle français» ou de «l’exception culturelle française», thèmes qui sont le reflet d’une longue tradition dont nous ne donnerons ici que quelques exemples.

Durant la révolution de 1789, l'Etat français prétendait lutter contre toutes les monarchies européennes et constituer donc un facteur de progrès pour les peuples, et ce mythe perdure encore, sans que les deux siècles écoulés aient permis à la gauche de s’en distancer ; sous Napoléon, l’Etat impérial prétendait consolider les conquêtes de la Révolution qui avaient été exportées en Espagne, en Italie, au Portugal, en Belgique, etc., à la force des baïonnettes ; au milieu du XIXe siècle, le Second Empire de Napoléon III essaya de jouer la carte de l'union nationale et de nouer une alliance entre des classes antagonistes, ce que Marx appela justement le «bonapartisme», et Napoléon le Petit tenta d’enchaîner le mouvement ouvrier naissant à l’Empire.

En 1914, les partis et syndicats ouvriers capitulèrent honteusement, refusant de déclencher la grève générale contre la guerre mondiale, grève dont ils parlaient dans leurs motions de congrès depuis des années, et les socialistes votèrent les crédits de guerre.
Durant les années 1930, des courants socialistes belges (De Man) et français (notamment Marcel Déat, que l’on range plutôt dans les «néo-socialistes») défendirent l'idée qu'il fallait une forte intervention de l'Etat dans l'économie pour juguler la crise internationale du capitalisme et détacher les classes moyennes du fascisme : membres de la SFIO, certains des «planistes» (comme on les appela parce qu'ils étaient, entre autres, de chauds partisans de la planification) offrirent ensuite leurs services au régime… du maréchal Pétain tandis que d’autres, plus tard, furent à l’origine… du Marché commun (André Philip).

Pendant la Résistance et le gouvernement d'union nationale présidé par De Gaulle entre 1945 et 1947, on eut droit à une autre version de l'unité nationale au nom de la «lutte contre le fascisme» et du «A chacun son Boche» (PCF), puis de la reconstruction indispensable du capitalisme français (« La grève est l’arme des trusts », Maurice Thorez).

Depuis 1945, d’ailleurs, la gauche et la droite communient dans l'évocation des «conquêtes sociales de la Résistance», oubliant quel fut le prix de ces «conquêtes» : faire marner les ouvriers pour des salaires de misère, remplir les poches des patrons et de l'Etat pendant des décennies, soutenir toutes les aventures coloniales puis néocoloniales de l'impérialisme français.

Sous la Cinquième République, de 1958 à 1969, ce culte de l'Etat et de son prétendu rôle protecteur et « redistributeur des richesses » a pris de nouveau de l'ampleur notamment à travers les plans économiques et la figure charismatique du Général-Président dont la politique étrangère anti-américaine était soutenue par le Parti communiste français, le même parti qui menait campagne dans les années 70 sur le thème répugnant du «Produisons français» ; et durant les négociations sur le Programme commun dans les années 1970 et les deux premières années du gouvernement de la gauche unie 1981-1983 nous avons encore eu une version «de gauche» de cette idéologie national-étatiste : la nationalisation de quelques banques, compagnies d'assurances et quelques industries clés allait «changer la vie» de tous les opprimés et les exploités.

Une campagne du non où l'internationalisme a été totalement absent

En 2005 avec la prétendue campagne du «Non de gauche», soutenue par les guignols de la «gauche du PS» et une partie du mouvement altermondialiste, sans oublier l'inévitable LCR (3), nous avons assisté à un nouvel essor de l'idéologie étatiste comme en témoignent leurs tracts et leur propagande.

La campagne pour le «Non de gauche» a vu ressurgir chez les électeurs et les sympathisants de gauche les formes les plus ambiguës de l'anti-américanisme au nom de la dénonciation de l'OTAN ou de l'OMC, ainsi que les sentiments xénophobes contre
— les tristement fameux «plombiers polonais» (4) (on vient d'ailleurs d'apprendre, après les élections bien sûr, qu'il n'y en aurait en fait que 150 ou 180 sur tout le territoire national),
— l'industrie textile chinoise (le lundi 30 mai 2005, lors d'une émission-bilan du référendum sur le TCE sur France 2, un responsable CGT eut le cynisme et le culot de dénoncer la «concurrence chinoise» sans mentionner une seule fois le sort des 19 millions d'ouvriers chinois du textile surexploités dans leur pays)
— ou l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne (qui ravive les préjugés xénophobes et antimusulmans).

Face à cette résurgence des préjugés nationalistes, la gauche dite extrême comme la gauche réformiste ont choisi de faire la sourde oreille et de minimiser le phénomène puisqu’ils voulaient surfer sur la vague du «non de gauche».

De plus, il est particulièrement indécent de voir l'extrême gauche prétendre que le «non de gauche» aurait une dimension «internationaliste» alors qu'elle a été incapable, depuis l’annonce de la forte probabilité d’un référendum, d'organiser la moindre campagne, le moindre meeting, à l'échelle européenne regroupant les forces révolutionnaires des différents pays de l'UE pour critiquer le contenu du Traité constitutionnel et en expliquer les enjeux réels pour tous les prolétaires européens, pas simplement pour les prolétaires français. Et, globalement considéré, ce vote non (il n’existait pas de bulletin permettant de comptabiliser et différencier entre les votes non, de droite et de gauche) est d'autant moins internationaliste que 42 % des électeurs du non pensent qu' «il y a trop d'étrangers en France» contre 21 % des électeurs du oui. Et que les électeurs du Front national se sont plus mobilisés pour le non (90 %) que ceux d’extrême gauche.

Où sont passés les 6 millions de voix de Le Pen et de Villiers ?

Loin d'être une «victoire» de la classe ouvrière ou la «revanche des classes populaires sur Maastricht» (dixit Alternative libertaire) la pseudo «victoire du non» est le fruit d'une alliance contre nature dans les urnes entre les 6 millions d'électeurs Le Pen et de Villiers (dont les positions xénophobes et racistes ne sont plus à démontrer) avec les 9 millions d'électeurs PC et PS (et encore cette estimation est-elle optimiste puisqu’elle suppose que la droite traditionnelle n’a pas apporté la moindre contribution au camp du non, ce qui est manifestement inexact puisqu’il existe une droite souverainiste). Une telle «victoire» n'a rien à voir avec la défense des intérêts des exploités.

Il faut avoir un sacré culot et un certain mépris pour l'intelligence des travailleurs pour affirmer que le non aurait «marginalisé l'extrême droite». Ce sont les mêmes qui nous expliquaient qu'il fallait voter Chirac en 2002 parce que les 5 millions d'électeurs de Le Pen représentaient un danger «fasciste» et qui aujourd'hui nous expliquent que ces 5 millions d'électeurs dangereux se seraient évanouis en fumée — à moins qu’ils ne se terrent dans leurs caves ?

(fin de la première partie)

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