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Sur les traces de l’anarchisme au Québec: les années ’20 et ’30Anonyme, Mardi, Mai 3, 2005 - 13:37
Michel Nestor
Dans l’un de ses livres sur l’histoire du mouvement socialiste au Québec, le dissident communiste Henri Gagnon décrit en ces termes le paysage politique des années ’20 et ’30 : «Au cours de cette période, il existait à Montréal plusieurs groupes, appartenant à différentes écoles de pensée socialistes. Il y avait des anarchistes, des libres penseurs et des anticléricaux, mais aucun de ces groupements n’avaient de structure, qui leur aurait permis de conduire un combat quelconque. Leurs activités se résumeront en des palabres au restaurant North Eastern, au Carré Viger, au Parc Lafontaine et d’autres endroits publics. L’Histoire nous a laissé peu de ces groupes, qui s’efforçaient de transformer le monde par la parole et l’éducation, ce qu’ils croyaient être la clef du progrès » (1). Malgré leur petit nombre, les libertaires consacrent effectivement beaucoup d’énergie à la propagande et à l’éducation populaire. Toutefois, leur implication sociale dépasse largement le seul champ des idées. En fait, les libertaires furent partie prenante des principaux combats qui agitèrent la société québécoise dans l’entre-deux guerre, à commencer par la lutte des sans-emplois au cours de la grande crise économique des années ’30. Un contexte difficile L’échec relatif de la grève générale de Winnipeg et le triomphe de la révolution d’octobre en Russie draine de nombreux-euses militantEs révolutionnaires vers le Worker’s Party, l’ancêtre du Parti Communiste. Créé en 1922, le Worker’s Party cherche à marginaliser par tous les moyens le courant syndicaliste révolutionnaire incarné par la One Big Union (OBU). Après avoir compté plus de 50 000 membres au début des années ’20, ce syndicat pan-canadien ne cesse de perdre des plumes. Au Québec, l’Union industrielle des campeurs et producteurs de bois quitte la One Big Union. Certains persistent tout de même sur la voie du syndicalisme révolutionnaire et de l’autonomie ouvrière. En 1925 et 1926, deux unités de l’OBU sont en activité à Montréal. L’une regroupe des travailleurs francophones de différentes professions. L’autre est formée de métallurgistes des ateliers Angus, situés dans l’est de Montréal. Les « shops » Angus sont depuis le début du siècle l’un des principaux bastions du syndicalisme révolutionnaire à Montréal. En 1927, la One Big Union fait quelques gains, notamment auprès des travailleurs de la Montreal Heat and Light Company qui changent leur affiliation syndicale en passant de l’AFL (American Federation of Labor) à l’OBU. Des ouvriers des chemins de fer du Canadien National, des emballeurs montréalais et des mineurs de Rouyn se joignent également à la One Big Union, ce qui porte à quatre le nombre d’unités actives au Québec. Ce sont les derniers soubresauts de ce syndicat dans la province. Après cette date, on perd la trace de l’OBU à Montréal comme à Rouyn. Tout porte à croire que la One Big Union au Québec n’a pas survécu à la crise économique des années ’30, ni aux attaques répétées de la police et des léninistes contre ses activités. Un vent de dissidence Si le Worker’s Party s’implante au Québec dès 1922, cette formation politique connaît rapidement des défections. C’est le cas d’Albert Saint-Martin (1865-1947), l’une des figures de proue du mouvement socialiste au Québec. En 1923, St-Martin tente sans succès de faire reconnaître par l’Internationale Communiste un Parti communiste autonome au Canada-français. Devant l’échec de sa démarche (Moscou ne reconnaissant pas aux francophones le droit d’association à l’extérieur du PC canadien), il rompt avec la majorité bolchévique du Worker’s Party et fonde en 1925 l’Université ouvrière. Pendant plus de dix ans, l’Université ouvrière servira de base de repli pour les anarchistes et les révolutionnaires non-inféodés au Parti Communiste. Elle fonctionne comme un forum public hebdomadaire où chacunE peut prononcer une conférence ou intervenir dans le débat qui suit. L’Université ouvrière compte également une bibliothèque ouverte aux membres, moyennant une contribution (à vie) de 1$. Le syndicaliste montréalais Kent Rowley garde ce souvenir: « des centaines de travailleurs venaient écouter des dénonciations les plus virulentes de l’Église et de la classe capitaliste en fumant leur pipe. En montant l’escalier qui menait à la salle, on passait sous un grand tableau représentant Jesus-Christ avec un couteau dégouliant de sang d’un travailleur qu’il venait de poignarder. Et les milliers de travailleurs canadiens-français saluaient cette image en passant » (2). Saint-Martin n’est pas seul dans cette aventure. On retrouve à ses côtés Gaston Pilon, un libre-penseur anticlérical prônant l’amour libre, mais aussi Paul Faure, un militant anarchiste arrivé de France quelques années auparavant. La correspondance de Faure avec l’anarchiste individualiste Émile Armand nous fournit quelques indications sur l’état d’esprit qui règne à l’Université ouvrière. « [c était] un groupement où socialistes, libres-penseurs, communistes, anarchistes se retrouvaient et souvent s’enguirlandaient ». Paul Faure est un personnage-clé dans l’histoire des idées anarchistes au Québec. Pendant plus de 30 ans, il distribue de la littérature libertaire qu’il importe directement de France. Qu’il s’agisse des oeuvres d’auteurs « classiques » comme Proudhon, Tolstoi ou Reclus, de brochures sur la question de l’amour libre et de l’anti-cléricalisme, Faure se dépense sans compter pour faire connaître aux francophones les idées libertaires. Le « best-seller » anarchiste à Montréal dans les années ’20 est sans doute Les 12 preuves de l’inexistence de Dieu écrit par Sébastien Faure. Albert Saint-Martin adapte le contenu de cette brochure pour en faire une conférence qui marquera bien des esprits... y compris celui du clergé, qui voit d’un oeil de plus en plus méfiant les activités de l’Université ouvrière. La relative bonne entente entre anarchistes et communistes ne durera pas longtemps. Deux ans après sa fondation, un groupe de jeunes communistes tente de liquider l’Université ouvrière. On lui reproche son indépendance vis-à-vis la ligne défendue par le Parti Communiste. Saint-Martin s’oppose vigoureusement à cette démarche, lui qui a développé au fil du temps des positions anti-bolchéviques. Aux yeux de Tim Buck, leader du Parti Communiste, Saint-Martin est un « nationaliste », un « anarcho-communiste ». On finit par trancher la poire en deux : les communistes membres de l’Université ouvrière fonderont une cellule bien à eux, laissant la voie libre aux efforts de Saint-Martin, de Pilon et des anarchistes.
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