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Récit vécu d'un génocide animalkatherine, Lundi, Avril 18, 2005 - 09:23
Michel Vandenbosch
Le massacre des phoques au Canada Totalement effaré, je descends de l'hélicoptère qui vient juste d'atterrir à l'aéroport de Charlottetown. Cela me prend un certain temps avant de réaliser que je suis à nouveau dans le monde réel. Telles des diapositives projetées dans mon esprit, la scène d'horreur me poursuit encore de longues minutes. Ai-je réellement vu ce que j'ai vu ? Trois quarts d'heure plus tard, tout semble encore si irréel. Comme si j'avais été catapulté sur une autre planète. Je sens mes pieds toucher la terre ferme. Mais mon esprit est resté sur la banquise affreusement souillée du nord du Canada. C'est le tout premier jour où je suis témoin du massacre de ces créatures totalement sans défense. J'ai vu des barbares sans coeur s'en prendre à nouveau à des victimes innocentes, de jeunes animaux âgés de deux à douze semaines. A chaque fois, une petite bande d'hercules arrogants est ressortie impunie malgré ces cruautés inhumaines, profitant et jouissant ainsi de sa toute-puissance sans limite. Les douleurs ou angoisses de leurs jeunes victimes les laissent totalement de marbre. Les animaux n'ont aucune chance. La chasse irrationnelle de centaines de milliers de jeunes phoques du Groenland (phoques à selle) est à nouveau lancée, avec son cortège d'ignominies. Durant cinq jours, j'ai été témoin du mépris affiché pour la vie de ces animaux. Barbarie perpétrée avec la complicité impardonnable des autorités canadiennes. Il y a 20 ans, on pensait cette folie révolue. Ce sont les autorités canadiennes qui ont maintenu artificiellement en place la chasse aux phoques et lui ont donné un nouvel élan. C'est près d'un million de phoques qui risquent, en trois ans, d'être massacrés. Les animaux de moins de 12 jours, les célèbres phoques à fourrure blanche, sont officiellement épargnés. Provisoirement. Ils disposent de quelques jours de sursis, jusqu'à ce que leur duvet couleur neige se mue en différentes teintes de gris. C'est ce que veut le gouvernement canadien. Soi-disant pour empêcher la venue d'un trop grand nombre de phoques, mais en fait pour des raisons providentielles d'ordre purement politique, plus précisément pour conserver le folklore intact . Les empereurs romains avaient déjà tout compris : donnez du sang et de l'action au peuple. De cette façon, vous détournez son attention des problèmes réels. Il n'y a plus de poissons à cause de la surpêche et de la politique de tolérance menée par le gouvernement? Désignez le phoque comme bouc émissaire, répétez le mythe aussi longtemps et souvent que possible, jusqu'à ce que tout le Canada en soit convaincu. Ce que j'ai vu se produire en cette année 2004, sur l'invitation de l'IFAW (International Fund for Animal Welfare) ou Fonds International pour le Bien-Etre Animal, restera à jamais gravé dans ma mémoire. C'est le récit de mon voyage vers un paradis de tranquillité et de silence, que j'ai vu en un rien de temps se transformer en enfer, l'enfer des phoques. Les premières traces de cruauté. 1er jour, mercredi, 24 mars, Charlottetown, Prince Edwards Island, Nord Canada. Juste après l'atterrissage des deux hélicoptères, nous avançons irrémédiablement vers les lieux où les massacres ont été commis. Sur place, on ne peut faire autrement que de marcher dans le sang. Attention, la glace est trompeuse. Avant qu'on ne s'en rende compte, on s'y enfonce. Un ingénieur du son effrayé de la VRT l'a subi bien malgré lui. Mouillé jusqu'à la taille, il est parvenu tant bien que mal à se dégager. Au loin, je peut déjà distinguer le premier barbare en action. Des deux mains, il lève en l'air son arme meutrière. Le hakapik, une matraque d'environ un mètre cinquante, avec à son extrêmité en métal un clou à tête plate courbé d'au moins 14 cm de longueur. Avec cet engin, il frappe de façon impitoyable. Arrivé à sa hauteur, on voit sa petite victime écorchée, étendue dans une grande flaque de sang. Ses grands yeux noirs de jais semblent me fixer. Hallucinant. A peine deux cents mètres plus loin, près d'un petit monticule de glace, je vois un jeune phoque dormant paisiblement au soleil, ne se doutant de rien. Deux cents mètres, la distance entre la vie et la mort. Pour un tueur de phoques, cette distance ne représente rien. Trois chasseurs empilent leur butin: les peaux si recherchées de jeunes victimes de trois semaines à peine, dégoulinantes de sang. Nous voyons un bateau approcher qui vient embarquer le tout. Le vaisseau porte un nom, mais quel nom: War Lord ou Seigneur de Guerre. Le Seigneur de service, le capitaine, daigne, à sa demande personnelle, nous accorder une interview. "Approchez-vous donc", qu'il nous somme. Nous restons à une distance de dix mètres. Nous connaissons ce petit jeu, les chasseurs essayent que les gens de l'IFAW s'approchent de plus près, pour ensuite porter plainte contre eux. Le journaliste de la VRT pose une question dans le but de briser la glace. Sur quoi Jean-Marie Dedecker ajoute: "Ce que vous faites, n'est pas de la chasse, mais du meurtre de bébés". Et je lance: "Vous devez maintenant m'expliquer quel plaisir vous ressentez à ce genre de cruautés". "Ces foutues bêtes mangent tout notre poisson", réplique le Seigneur d'un ton méprisant. Pour lui, c'est la guerre, et le phoque est son ennemi. "Balivernes", réplique Jean-Marie à juste titre. Je lance au visage du Seigneur: "Nous nous trouvons en plein centre de vos cruautés. Etes-vous conscients que ces animaux éprouvent des sentiments?" Le Seigneur nous débite son ignorance: "Ils ont peut-être des sentiments, mais ils n'éprouvent aucune douleur. Un biologiste me l'a dit. Et vous, que faites-vous alors? En tournant avec vos hélicoptères, ces animaux sont morts de frousse". Ce fut son dernier argument. Ces dernières paroles avant qu'il ne se retire: "Si vous voulez voir du sang, allez en Irak". Pour Magda De Meyer, s'en fut trop. Hier, des phoques se prélassant au soleil ont apprécié ses caresses en toute quiétude. Elle ressentit un sentiment intense de solidarité avec un animal qui éveillait notre empathie. Maintenant, elle pleure tout en se penchant sur un jeune phoque écorché. Innocence paisible de l'animal violée par une violence brute inhumaine. Entre ses larmes, elle répéta doucement à plusieurs reprises: "Comment une chose pareille est-elle possible ? C'est pas humain, comment peut-on tolérer une telle chose?". Je pose un bras pour la consoler. De retour aux hélicoptères, nous nous mettons en rond et nous nous tenons par la main. Pour observer ensemble quelques instants de silence. Par respect pour ces animaux, à peine nés et à qui on ôte vie et dignité d'une manière exceptionnellement atroce. Deuxième vol dans l'après-midi. Cette fois-ci, une équipe de tournage mexicaine nous accompagne. Un hélicoptère garde-côte nous suit de près depuis un bon bout de temps. Nous atterrissons à un endroit où, à une centaine de mètres plus loin, près d'un autre amoncellement de glace, deux ou trois hakapiks se soulèvent et s'abattent sur leurs victimes. En ordre dispersé, des petits groupes de chasseurs s'acharnent sans arrêt sur leurs ennemis absolument sans défense qu'ils méprisent. Les perches ne servent "normalement" qu'à traîner les animaux. Mais aucun garde-côte ne bronche si les 'gaffes' autrefois interdites servent d'arme meurtrière, comme j'ai pu le constater à maintes reprises. A leurs yeux, les phoques ne sont pas chassés, ils sont 'pêchés'. On aiguise les couteaux et les pauvres bêtes sont écorchées vives. Je m'approche à dix mètres de deux chasseurs. Je vois l'un d'eux frapper plusieurs fois un jeune animal. Le petit phoque en sang vit encore. Le bourreau enserre entre ses jambes, comme dans un étau, le pauvre animal agonisant et lui ouvre le ventre sans broncher. A ce qu'il paraît, le 'spécialiste' s'acquitte de sa corvée en vingt-huit secondes, tandis que ce bricoleur y met plusieurs minutes. Jean-Marie Dedecker le regarde comme un chien battu, sans en croire ses yeux. "Arrêtez de filmer", nous lance tout à coup l'autre chasseur. "Je vous dis, arrêtez de filmer", qu'il nous crie. Pour renforcer son ordre, il l'accompagne d'injures et de menaces. Personne n'en tient compte. On continue à filmer. L'excité chuchote alors quelque chose à l'adresse du gafouilleur, après quoi ils s'arrêtent! Ils font demi-tour et se dirigent vers leur bateau. A quelques mètres d'un de ces innombrables bains de sang, un jeune phoque a échappé au massacre. Je m'en approche lentement et m'assois avec précaution à côté de lui. Ses grands yeux, tout noirs et humides, me regardent d'un air hébété. Je lui chuchote: "Doucement, petit, du calme, n'aie pas peur, il est parti" . Je le touche, juste un rien. "J'espère du fond du coeur que tu survivras. Je te promets que je ferai pour vous tout ce qu'il me sera possible de faire. Désolé de ne pas pouvoir faire plus pour toi. Pardonne-moi d'être un humain..." J'essaye de me consoler avec l'idée que notre présence ici a fait cesser au moins un massacre, même si c'est de manière provisoire. Mais que nous arrive-t-il? Le garde-côte a atterri. Ils viennent vérifier nos autorisations. Ah oui, ces autorisations ont un prix: pour être témoin d'un massacre, cela coûte 25 dollars, et pour tuer un phoque, à peine 5 dollars. En théorie, il est important de savoir comment. Selon les autorités canadiennes, chaque phoque chassé doit être mort immédiatement après avoir reçu un coup bien visé sur la fontanelle. Le test des yeux doit apporter la preuve du décès. Si on touche l'oeil et qu'il ne réagit pas, on est certain que l'animal est mort. Je n'ai jamais vu faire ce test par les chasseurs. Et maintenant, les gardes-côte viennent nous contrôler, alors que les bourreaux agissent impunément. C'est franchement un comble! " Je viens de Belgique et j'ai emmené avec moi ces deux parlementaires ", lance-je à la tête de Dupont et Dupond. " Chez nous, en Belgique, les gens pensent que le Canada est un des pays les plus civilisés du monde. Mais après ce que nous avons vu ici comme actes de barbarie, je peux vous assurer que les Belges vont changer d'avis. Nous nous faisons contrôler alors que ces bouchers, là-bas, vous les laissez faire. C'est tout bonnement scandaleux. " " Je ne peux pas faire de commentaire là-dessus, Monsieur ", répond Dupond. " J'exécute les ordres qui m'ont été donnés. C'est à Ottawa que ces choses se décident. " " Peut-être, mais il n'y a pas de ministre ici en ce moment. Vous représentez les autorités, et donc c'est à vous que je dis ce que je pense de ce foutoir. Vous n'avez qu'à transmettre le message à vos supérieurs. " Ouf, ça fait du bien. " We are the champions " : la crapule en action. Jour 2, jeudi 25 mars, début d'après-midi. Un génocide animal. Jour 3, vendredi matin, 26 mars Le soir, nous écoutons le professeur David Lavigne, une autorité scientifique reconnue dans le monde entier dans le domaine de la biologie marine, parler des mesures de conservation et du comportement des phoques. Il est venu spécialement de Toronto en avion afin de répondre à nos questions. Cela fait quarante ans que le professeur Lavigne étudie ces animaux, et il réfute totalement la politique des autorités canadiennes en matière de phoques. Le cabillaud ne constitue que 3 % du régime alimentaire de ces animaux. La disparition des cabillauds est due au fait que le Canada a autorisé une pêche extensive de ce poisson. Et c'est le phoque que l'on accuse aujourd'hui des conséquences d'une politique désastreuse. Les autorités canadiennes calculent leur quota de chasse sur la base d'un modèle obsolète, à l'aide de mauvaises données scientifiques. Personne ne sait vraiment à combien d'individus s'élève la population des phoques. Plus celle-ci se réduit, plus certaines espèces dont le phoque se nourrit et qui consomment elles-mêmes de le cabillaud s'attaqueront à leur tour à ce poisson déjà fortement malmené. Mais il y a encore d'autres incertitudes. L'écosystème de la région est un réseau d'innombrables relations prédateur-proie extrêmement complexes. C'est une erreur que d'isoler une espèce des autres. Par ailleurs, comme la glace fond toujours plus vite, de plus en plus de phoques se noient avant d'avoir obtenu leur brevet de natation. Combien meurent de cette manière, personne ne le sait non plus. Méfiez-vous de Atilla the Hunter. Jour 4, samedi 27 mars Ce n'est pas vrai! Les voilà à nouveau : la garde côtière. Maintenant il y a un policier qui les accompagne. Il paraît qu'un chasseur s'est plaint de nous, de façon informelle. Notre hélicoptère aurait survolé leur bateau de trop près. Et tous les phoques auraient sauté à l'eau… 'No comment', c'est leur réponse à ma réaction, quand je dis qu'ils doivent disposer de beaucoup de temps pour s'occuper de ceci, alors qu'Atilla the Hunter et ses copains sadiques peuvent s'amuser librement. Quelques heures après, l'autre équipe fait un compte rendu concernant des chasseurs qui ont torturé des bébés phoques. Ils ne les tuent même pas. Ils les laissent simplement crever. Leur agonie a duré prè d'une heure. Et la garde côtière? No comment… Après mon retour à l'hôtel, je visite les rues commerçantes de Charlottetown. Quelque chose me frappe. Il existe des animaux en peluche, ou autres imitations de toutes sortes. Même des homards ! Mais aucun phoque, nulle part. Sauf dans un vieux magasin poussiéreux qui vend de très vieux biblots. Là je vois une statuette d'ours blanc souriant, qui tient sa patte avant sur sa proie, un phoque mort. Les phoques sont tabou à Charlottetown. On agit comme s'ils n'existaient pas et comme s'il n'y avait pas de chasse. Je suis soudain désorienté. Un habitant gentil m'indique le chemin vers mon hôtel. Il m'y emmène même personnellement. L'homme parle de choses et d'autres. 'Eh bien, belle région, n'est-ce pas?' 'Certainement, sauf la chasse aux phoques'. L'homme se tait immédiatement. J'essaie: 'Que pensez-vous de cette chasse?' 'Ils mangent tous les poissons.' 'Pourtant un expert m'a dit le contraire hier.' 'Vraiment?' 'Et puis il y a la cruauté.' 'Oh, mais là je suis d'accord avec vous. Je suis aussi contre cette façon de chasser.' Mon ami Jimmie. Jour 5, dimanche, 28 mars, dernier jour sur la glace. La glace se brise sans bruit. En très peu de temps des ruisseaux de plus en plus larges se forment entre les morceaux blancs. Il est temps de retourner. La situation devient dangereuse. Je me dirige vers l'hélicoptère et je franchis quelques crevasses en sautant. Mais les crevasses deviennent bientôt trop larges. Rebecca et moi sommes entourés d'eau. Pas de panique. Les hélicoptères montent. Il faut être prudent car une vague forte qui soulève la glace peut faire basculer un hélicoptère et le faire couler. Barry vient nous chercher. Nous courons vers l'hélicoptère en nous courbant, pendant que les hélices tournent. La porte s'ouvre, nous entrons et nous montons immédiatement. Quelques heures plus tard. L'avion monte en direction de Montreal. Je pense à Jimmie, l'ami que je laisse derrière moi. A Montreal je trouve ce que je cherche : des phoques en peluche et autres imitations. Je suis finalement de retour dans un monde plus normal.
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