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"Mon meilleur souvenir de Jean-Paul II"

Eric Smith, Dimanche, Avril 17, 2005 - 08:59

Gary Leupp

 
Le commentaire suivant est paru dans l'édition des 9 et 10 avril du magazine CounterPunch, publié sur Internet. L'auteur, Gary Leupp, est professeur d'histoire à l'université Tufts. En cette période où fleurit un culte de la personnalité absolument indigeste à l'endroit du défunt pape, ce petit texte nous fait revivre un des épisodes les plus glorieux de la guerre populaire menée par le Parti communiste du Pérou, qui a osé défier ce chef de file de la réaction la plus vilaine.

 
[Le commentaire suivant est paru dans l'édition des 9 et 10 avril du magazine CounterPunch, publié sur Internet. L'auteur, Gary Leupp, est professeur d'histoire à l'université Tufts. En cette période où fleurit un culte de la personnalité absolument indigeste à l'endroit du défunt pape, ce petit texte nous fait revivre un des épisodes les plus glorieux de la guerre populaire menée par le Parti communiste du Pérou, qui a osé défier ce chef de file de la réaction la plus vilaine.]

Sans doute chacun a-t-il son histoire favorite à raconter mettant en vedette le pape Jean-Paul II. Voici donc la mienne.

En février 1985, l'avion qui transportait M. Wojtyla était à quelques minutes de se poser à l'aéroport de Lima quand les guérilleros du Parti communiste du Pérou ont fait sauter les lignes de transmission d'électricité, plongeant la capitale dans le noir. Puis, alors que les ingénieurs peinaient à rétablir l'éclairage d'urgence sur la piste d'atterrissage, un énorme feu de joie a pris forme sur le flanc de la colline située tout près de l'aéroport. Soudainement, dans le noir absolu de la nuit hivernale, la faucille et le marteau flambaient de manière on ne peut plus éclatante.

C'est ainsi que les maoïstes péruviens avaient choisi d'accueillir le pontife polonais, qui faisait alors cabale contre le communisme et les partisans de la théologie de la libération en Amérique latine, et qui exigeait de son personnel qu'il adhère de façon stricte aux préceptes de la vieille Église. Avant de se rendre à Lima, le pape avait pris soin de s'arrêter à Ayacucho -- un bastion de la guérilla maoïste. Trois ans plus tôt, la cathédrale d'Ayacucho avait été envahie par des milliers de gens venus célébrer les funérailles d'Edith Lagos, avec la bénédiction de l'archevêque local. Edith Lagos est cette jeune étudiante modèle d'un collège tenu par les religieuses salésiennes, qui a perdu la vie après avoir joint les rangs de la guérilla communiste.

Le pape avait profité de son passage à Ayacucho pour sermonner la foule venue l'entendre: "Les hommes qui prêtent foi à la lutte armée acceptent d'être trompés par de fausses idéologies. Au nom de Dieu, je vous implore: changez de voie et utilisez d'autres moyens que celui-là!" Le feu de joie près de l'aéroport de Lima fut la réponse calme et déterminée que Sentier lumineux lui réserva, dès le lendemain. Lui-même un ancien homme de théâtre, le pontife fut-il impressionné par cette mise en scène soigneusement orchestrée par la guérilla? De "simples êtres humains" avaient osé imposer l'obscurité sur le chemin de "Sa Sainteté", l'obligeant à parader dans sa "papamobile" en pleine noirceur. Et ils avaient même transformé le paysage environnant en l'illuminant du symbole de la révolution communiste et de la solidarité ouvrière et paysanne!

Au Pérou et au Nicaragua (où il était également allé lors du même voyage), Wojtyla avait menacé du doigt les affaméEs, les incitant à se nourrir non pas au marxisme révolutionnaire et à la perspective d'un changement social réel, mais en s'en remettant à lui-même, au rêve d'une vie après la mort et à sa propre idéologie fourbe et mensongère. Il est vrai que le pape a critiqué le capitalisme et la mondialisation: au fait, comment aurait-il pu s'abstenir de le faire dans une région comme l'Amérique latine, qui constitue le territoire potentiellement le plus lucratif d'une église partout en déclin? Bien sûr, il s'est opposé à la guerre contre l'Irak, qu'il a qualifiée d'illégale et d'immorale. Mais encore là, comment aurait-il pu faire autrement, alors que le monde entier partageait le même sentiment -- au-delà du territoire couvert par Fox News?

Supposons, malgré tout, qu'il ait été sincère. En tous cas, c'est ce que certains pensent, comme le dirigeant sandiniste Daniel Ortega -- dont on dit en ce moment qu'il pourrait bientôt reprendre le pouvoir au Nicaragua. Ortega vient de parler en termes extrêmement élogieux de l'homme qui avait ordonné aux partisans sandinistes de se la fermer lors d'une de ses apparitions publiques au Nicaragua. D'autres encore, parmi la gauche ou dans le mouvement anti-guerre, croient également que le pape était sincère. Il me semble quant à moi qu'on peut certes dire que Wojtyla était un homme doué, qui a su effectivement dire "non" à l'impérialisme US à un moment crucial de l'histoire. On peut bien lui donner crédit pour cela, en dépit de sa vision du monde généralement moyenâgeuse.

Dans une certaine mesure, je peux donc éprouver une certaine sympathie pour ceux qui pleurent la mort du pape. Mais je m'identifie bien plus facilement à ces combattantes et combattants de la guérilla qui ont accueilli le pape au Pérou il y a vingt ans en faisant flamboyer la faucille et le marteau. "Bénis soient ceux dont la faim et la soif de justice les conduisent à vouloir se rassasier." C'est cette béatitude qu'avaient exprimée les partisans sandinistes face à leur distingué visiteur. Et c'est ce même sentiment qui anime aujourd'hui leurs camarades au Népal, aux Philippines, en Inde et ailleurs. Ceux-ci veulent se rassasier dès maintenant, plutôt que d'attendre un au-delà imaginaire. Les puissances célestes et terrestres réussiront-elles à s'imposer face à eux? J'ai bon espoir qu'elles n'y arriveront pas...

Gary LEUPP
Boston, Mass.

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Article paru dans Arsenal-express, nº 46, le 17 avril 2005.

Arsenal-express est une liste de nouvelles du Parti communiste révolutionnaire (comités d'organisation).

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