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La lettre des 21 dans son intégralitémj, Lundi, Mars 14, 2005 - 09:22 Publication intégrale de la lettre de Georges Leroux et de vingt autres intellectuels québécois, parue dans Le devoir des 12 et 13 mars 2005 avec d'importantes coupures. Voici dans son intégralité la lettre de Georges Leroux et des vingt autres intellectuels, parue dans Le devoir des 12 et 13 mars avec d'importantes coupures. LA GRÈVE ÉTUDIANTE L'histoire des grèves étudiantes au Québec est l'histoire d'une cause unique, et pour le dire d'un mot, chaque fois désespérément la même : d'un ministre à l'autre, les étudiants ont trouvé devant eux des politiciens incapables de parvenir à un modèle cohérent et équitable du soutien aux études, et au fil des ans, malgré quelques luttes en apparence victorieuses, notamment sur le gel des frais de scolarité, ils ont subi des reculs importants. Ces compromis étaient destinés à se fissurer et c'est ce dont nous sommes témoins aujourd'hui, alors que l'histoire se répète. Le responsable de ce nouvel épisode a été remisé au placard des incompétents — sa réforme du régime des prêts et bourses était particulièrement odieuse et aurait dû lui mériter cette retraite bien avant —, mais le nouveau ministre n'a réussi en dix jours qu'à être arrogant, se drapant dans une bonne conscience qui aurait plu à Maurice Duplessis. Que les étudiants étudient, ne sont-ils pas les plus choyés de la planète ? Il se trouve parmi eux quelques éléments turbulents ? On les cassera en les excluant de la discussion. On ne doit sans doute pas s'étonner de voir les politiciens libéraux tenir aux étudiants le même discours qu'aux assistés sociaux : les étudiants ne sont après tout que des enfants gâtés, mais que ce discours autoritaire et médiocre puisse leur tenir lieu de politique fait mal au cœur à tous ceux qui tiennent les collèges et les universités à bout de bras. Comment se fait-il, pouvons-nous nous demander légitimement, que tant de générations de politiciens n'ont rien appris de la revendication étudiante, qu'ils la comprennent si mal et qu'ils se satisfont de la refouler en la caricaturant ? Est-ce seulement parce qu'ils manquent de fonds ou n'est-ce pas plutôt parce que leurs convictions concernant le soutien public au réseau de l'enseignement post-secondaire au Québec sont anémiques ? Cette question ne se limite pas au dossier des prêts et bourses qui est le point de départ des revendications d'hier et d'aujourd'hui, elle englobe l'ensemble des problèmes récurrents liés aux compressions en éducation mises en œuvre depuis dix ans. D'un ministre de l'Éducation, on n'attend pas qu'il se comporte comme un préfet de discipline à l'endroit d'élèves agités, mais comme un homme d'État capable d'énoncer clairement les priorités du gouvernement en éducation. D'un ministre de l'Éducation, on n'attend pas qu'il nous dise qu'il manque de fonds, mais qu'il nous dise qu'il va tout faire pour soutenir l'éducation au Québec. Cela, il y a longtemps qu'on l'a entendu à Québec. Depuis plus de dix ans, nous notons en effet non seulement un repli sur les indicateurs comptables — on se souvient encore des contrats de performance, des mesures aussi absurdes qu'inefficaces—, mais un désinvestissement général du financement de l'éducation supérieure. Sans intervenir sur un modèle particulier de soutien aux études, et sans nous prononcer sur des mesures comme les hausses de frais de scolarité, nous jugeons urgent et nécessaire que ce désinvestissement soit dénoncé. Nos recteurs s'emploient à le faire, ils ne sont pas entendus, les étudiants parlent à leur place, cela sera-t-il plus clair ? Plusieurs raisons nous portent à intervenir, comme professeurs d'université, en ce sens. La première et la plus importante est le retard du Québec dans l'accès aux études supérieures et dans la diplomation. Dans une récente étude publiée par la CREPUQ, intitulée Montréal, ville du savoir, la métropole arrivait bonne dernière sur une liste de vingt villes nord américaines eu égard au pourcentage de la classe d'âge ayant accès aux études supérieures. Ce n'est pas en désinvestissant dans l'éducation que nous donnerons aux générations montantes les instruments de leur accès à cette société du savoir qui émerge partout dans le monde post-industriel et cet esprit libre et critique qui est le propre d’une citoyenneté parvenue à sa maturité. Mais il y a une seconde raison à notre intervention, aussi déterminante que la précédente, et c'est la nécessité de promouvoir pour nos collèges et nos universités des missions qui vont au-delà d'une formation professionnalisante. Cette finalité, la plus haute de toutes et qui fait l'essence de l'Universié, est la première à souffrir du désinvestissement que nous observons aujourd'hui : plus en effet se répand l'idéologie néo-libérale d'une éducation supérieure adonnée aux seules formations instrumentalisées, plus le soutien aux disciplines fondamentales se voit menacé. Or, si le Ministre prêtait l'oreille aux étudiants, au lieu de les comparer à une bande d'agitateurs, il entendrait cette revendication : les étudiants veulent certes de bonnes conditions pour étudier — et nous devons tout faire pour les leur garantir —, mais ils veulent aussi et surtout des institutions où ils trouveront une liberté d'étude et de réflexion qui partout actuellement rétrécit comme peau de chagrin. Les universités du Québec, il faut le répéter à la suite des livres de Bill Readings et de Michel Freitag, ont à peine émergé des conditions mises en place par la Révolution tranquille qu'elles se sont vues menacées par un programme néo-libéral d'ajustement au marché qui les prive chaque jour davantage des ressources essentielles à leur développement. Tous les programmes ne sont pas également atteints, mais ils sont tous frappés : l'impératif est là, se conformer. Les étudiants dénoncent aussi cela, il est de notre devoir de les appuyer. Cette maladie ne nous est pas propre, tous les pays occidentaux en souffrent. Mais tous n'y réagissent pas de la même manière que nous. Connaît-on un peu ici les efforts européens pour résister à la professionalisation des universités ? connaît-on la défense des programmes de Liberal Arts aux États-Unis, partout assaillis par les diktats de la formation mercantile ? L'enjeu de la culture est aussi vif que celui de l'économie, et le mérite de la revendication étudiante actuelle, dans toutes ses dimensions critiques, est de nous rendre sensibles à la nécessité de revoir toute la philosophie publique de l'éducation supérieure dans notre société. Ce devoir est urgent, il appelle à une réflexion de fond, pas seulement à des mesures de compensation ou à des rééquilibrages de frais de scolarité et de programmes de bourses. Le discours qu'on attend d'un ministre de l'Éducation, ce n'est pas une formule comptable, c'est d'abord un énoncé de finalités. Les étudiants ne sont pas les imbéciles ou les enfants gâtés qu'on veut nous faire croire qu'ils sont : ils savent que toute société a des moyens limités, mais ils ont besoin d'entendre autre chose que des rappels du luxe dans lequel ils vivent supposément ou des utopies qui les guident. Ils réclament un discours clair sur la légitimité de l'Université démocratique et accessible, et un choix aussi clair sur son financement public. Le reste, ils sauront le discuter en citoyens adultes avec nous. Les cosignataires sont Janick Auberger, Marie-Andrée Beaudet, Gilles Bibeau, Gérard Bouchard, Robert Comeau, Richard Desrosiers, Anne Fortin, Guy Bourgeault, Louise Déry, Michel Freitag, Thierry Hentsch, Georges Leroux, Claude Lessard, Raymond Lemieux, Éric Méchoulan, Catherine Mavrikakis, Ginette Michaud, Pierre Nepveu, Jean Pichette, Pierre Senay, Louise Vandelac. |
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