Revendiquer aussi la connaissance critique du monde dans lequel vous vivez et non pas seulement l’accès aux compétences et aux moyens financiers pour vous y adapter.

« La lutte défensive qui ne s’assigne pas explicitement le but de redonner un sens supérieur à ce qu’elle est censée défendre retourne piteusement à ses limites initiales et devient une offense pour ce qui aurait pu être. »
(Remarques sur la paralysie de décembre 1995, éditions de l’encyclopédie des nuisances, Paris 1996.)

Je suis pour la grève, mais dites-moi : pourquoi vous contentez-vous d'une revendication aussi faible? Pourquoi ne cherchez-vous pas une légitimité plus large que cette histoire d’argent? Pourquoi ne cherchez-vous pas à élargir votre base de revendication à l‘amélioration de l’éducation elle-même? Voulez-vous seulement vos millions ou voulez-vous avoir la possibilité de choisir et de construire le monde qui conviendra à votre épanouissement? Pourquoi ne réagissez-vous pas plus face à l’empire? Ce pourrait-il que la religion économique, ayant déjà fait en vous ses ravages, vous pousse à croire naïvement que nous pouvons collectivement continuer dans le sens du développement actuel sans diminuer et compromettre les avancées historiques conquises par l’humanité dans son ensemble?
Elles sont pourtant bien réelles, les menaces qui pèsent sur votre autonomie future, mais elles s’aggraveront certainement si vous avez le même idéal pédagogique que la société domestiquée dans laquelle vous vivez. Celle qui considère qu’il faut adapter l’éducation au défi de l’industrie de demain, à celui de la mondialisation des marchés et à la qualité totale exigée par les gestionnaires du monde administré. Pris dans cette idéologie, ne sentez-vous pas l’urgence de réclamer une éducation qui ne soit pas adaptée à demain, si demain n’est que la poursuite des intérêts d’aujourd’hui, si l’avenir ne nous libère pas du futur? Pourquoi cette grève ne vous autoriserait-elle pas à réclamer les moyens cognitifs juridiques et financiers de comprendre les véritables enjeux du monde dans lequel vous vivez? Pourquoi ne revendiquez-vous pas une éducation permettant d'orienter l'avenir, de donner sens à votre histoire et d'assumer vos responsabilités envers les générations futures? Pensez-vous encore que l’éducation est fondamentalement ce qui permet à la société de se configurer humainement? Pensez-vous qu’elle vous donne encore les outils permettant d’attaquer la dépossession croissante du pouvoir des individus d’agir sur la production de ce qui les détermine? Ou s’agit-il seulement d’un service offert au client? Mais peut-être est-ce encore trop tôt pour vous d’attaquer sérieusement les ravages de la marchandisation totale. Vous avez certainement atteint l‘âge de la consommation, mais peut-être pas encore celui d’être enfoncé dans l'engrenage de ses conditions de possibilité et de son pouvoir de réification.

Ensuite, pourquoi se satisfaire d’attaquer un gouvernement qui ne sait même pas comment gérer les externalités négatives de la domination économique qu’il défend? Vous devriez savoir pourtant bien puisque vous la subissez que nous vivons dans une conjoncture historique ou la sphère politique ne décide plus grand-chose en ce qui a trait à ce qui change réellement, matériellement et catastrophiquement le monde.
Il y a, me semble-t-il, bien d’autres intervenants utiles parmi les partenaires-actionnaires de l‘école post-moderne qui ont intérêt à collectiviser les coûts de la formation de votre capacité à vous vendre.
Au-delà du 103 millions, je vous invite à revendiquer aussi la connaissance critique du monde dans lequel vous vivez et non pas seulement l’accès aux compétences et aux moyens financiers pour vous y adapter.