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Pour ne pas désespérer

pythagore, Samedi, Novembre 6, 2004 - 13:00

André Pelchat

Je ne crois personnellement, que la réélection de Georges W. Bush soit le désastre que l'on dit à gauche. Une catastrophe, peut-être, mais qui porte un grand potentiel de changement au niveau mondial.

Ça y est. L’électorat américain a choisi de récompenser, en lui donnant massivement un deuxième mandat, l’homme qui a remporté l’élection par la fraude en 2000, qui leur a menti pour les engager dans la guerre en Irak et a organisé, avec le Patriot Act, la plus grande attaque contre les libertés civiles depuis un siècle, c’est-à-dire George W. Bush. Cette fois, ils n’ont pas d’excuse. Du moins, si on en croit les résultats ( « croire » étant ici le mot clé puisque les machines à voter utilisées par nos voisins du sud ne laissent aucune trace matérielle permettant de vérifier si le résultat à la sortie est bien conforme aux données entrées). Mais, indépendamment de ce doute lancinant, il n’est pas du tout impossible que ce vote massif en faveur de Bush corresponde à la réalité. Personnellement, et contrairement à une majorité de Québécois, je n’en ai pas été autrement surpris. J’ai suffisamment voyagé aux Etats-Unis, et en particulier dans la « Bible Belt » du sud, pour savoir que la tendance politique représentée par Bush est le fruit d’une vague culturelle profonde, poussée par une coalition d’intérêts corporatifs et de fondamentalisme religieux. Cette alliance de la Bourse et de l’Autel est supportée par une machine médiatique comprenant autant le réseau Fox que les innombrables « talk radios » qui, dans les années 90, n’hésitaient pas à prôner l’assassinat des Clinton. Cette alliance tient le coup parce que les grands patrons sont bien près à croire que la terre a été créée en 6 jours si le c’est le prix à payer pour démanteler les contrôles anti-pollution et rendre la syndicalisation presqu’impossible. Il aurait été très étonnant que les militants démocrates arrivent à lutter contre cette tendance. Et leurs chances ne vont pas augmenter dans les prochaines années.

Faut-il pour autant désespérer ? Personnellement, je ne me désole pas outre mesure de la réélection de Dubya.
Appelez-ça une déformation professionnelle mais, historien de formation, je tends à voir les choses à long terme.
Je vois en fait plusieurs raisons d’être optimiste.
La première consiste d’abord à relativiser la défaite de Kerry. Rien dans le programme du sénateur du Massachusets ne justifiait les espoirs que de bonnes âmes progressistes mettaient en lui. Il voulait continuer la guerre en Irak, construire le bouclier anti-missile et, en fait, ne se démarquait guère de son rival sur les enjeux fondamentaux. Au contraire, il prétendait faire la même chose que Bush, mais « mieux ». Ce qui est bien la dernière chose qu’on puisse souhaiter…
Il faut ajouter que les Démocrates ont, en général, de bien meilleur rapport avec ce qu’on pourrait appeler « les industries culturelles » américaines que les Républicains. Voyez le nombre de vedettes hollywoodiennes dans chaque camp, la distribution du côté Bush n’aurait pas permis de faire un court-métrage. Les Démocrates au pouvoir, c’est Jack Valenti (ou son successeur) qui repart en croisade pour anéantir les cultures du reste du monde au profit de Disney et des autres majors. C’est un dossier beaucoup moins important pour les Républicains, davantage liés aux industries telles que la Défense et le secteur de l’énergie. Ils ont donc une influence idéologique beaucoup moins importante en dehors de chez eux.
La victoire de Bush signifie aussi une plus grande tendance à l’unilatéralisme et aux aventures militaires, ce qui aura pour conséquence de nourrir l’antiaméricanisme et d’augmenter le déficit budgétaire des Etats-Unis, ce qui ne peut pas être bon pour leur économie.
Ce résultat favorisera aussi une augmentation de l’influence des fondamentalistes religieux aux U.S.A.. De sérieuses attaques contre l’enseignement scientifique ont déjà eu lieu dans les États de la Bible Belt, qu’on pense au Kansas ou ils avaient, un temps, réussi à faire entrer le récit de la Création dans les cours de biologie . Ils vont maintenant revenir à l’assaut : le gouvernement les a mis en appétit, il va devoir maintenant nourrir la bête. Ils vont aussi tenter de faire avancer leur agenda au niveau international, comme ils ont déjà commencé en obtenant que les agences d’aide au développement financées par le gouvernement américains se voient interdire de parler de condom dans la lutte contre le sida. Voilà qui mine sérieusement la crédibilité des Etats-Unis dans plusieurs secteurs. À long terme, ce n’est rien de très bon pour le développement scientifique, surtout que celui-ci a toujours été le fait des régions du Nord-Est et de la côte californienne, marginalisées par le triomphe du Sud intégriste.
Le conformisme idéologique conservateur et xénophobe qui a fait élire Bush a déjà eu des conséquences sur les étudiants étrangers dont le nombre connaît une baisse de 32 % aux U.S.A , ce que certains attribuent au fait qu’ils sont rebutés par l’obsession sécuritaire et le prosélytisme religieux. Or, ces étudiants, dont un grand nombre s’établissent traditionnellement aux U.S.A. , ont toujours été un élément important du recrutement des scientifiques américains. D’ailleurs la baisse du nombre d’étudiants s’accompagne déjà d’une baisse de 8% des doctorats dans les domaines de pointe.
De plus, un certain nombre d’Américains envisagent sérieusement de déménager par les temps qui courent. La vague homophobe qui a marqué la dernière élection ainsi que la forte possibilité que des nominations à Cour Suprême dans les prochaines années amènent la suppression du droit à l’avortement, sont de nature à en faire réfléchir plusieurs. ( P.S. :c’est le moment ou jamais pour le Canada de recruter des immigrants qualifiés et qui, par dessus le marché, parlent déjà une des deux langues officielles !)
Des Américains qui fuient à l’étranger, cela s’est déjà vu : les esclaves fuyant avant la guerre de Sécession, les « déserteurs » durant la guerre du Vietnam. Cela a toujours été le symptôme d’une division profonde dans le pays.
Tous ces facteurs, joints à la montée en puissance de pays comme la Chine, l’Inde et, peut-être (qui sait ?), une éventuelle Union européenne efficace, sont de nature à diminuer l’influence des Etats-Unis dans le monde à long terme.
Et ça, c’est un développement incontestablement positif.

André Pelchat
L’Avenir, Qc.



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