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De la cérémonie du dévoilement à Alger (1958) à NPNS

Anonyme, Dimanche, Octobre 17, 2004 - 14:52

féminismeanticolonial

Eurocentrisme, autoritarisme, suprématie blanche apologie coloniale, paternalisme et appropriation des luttes : l'autre visage de la gauche française. Quelques textes d'analyse.

 
De la cérémonie du dévoilement à Alger (1958) à Ni Putes Ni Soumises : l'instrumentalisation coloniale et néo-coloniale de la cause des femmes

par Houria Bouteldja
mercredi 13 octobre 2004

1. Le dévoilement, une violence coloniale

13 mai 58 à Alger, place du Gouvernement : des musulmanes montées sur un podium pour brûler leur voile. L'enjeu de cette mise en scène est de taille : il faut pour les autorités coloniales que les femmes algériennes se désolidarisent du combat des leurs. Leur exposition sert de langage : celui d'une puissance coloniale qui oeuvre pour gagner les femmes à l'émancipation et à la pérennité de la "civilisation française". Réaction épidermique de la société algérienne : maintenir - et c'est vital - les femmes hors de l'invasion coloniale pour préserver l'être algérien. "Certaines, décrit Franz Fanon, dévoilées depuis longtemps reprennent le voile affirmant ainsi qu'il n'est pas vrai que la femme se libère sur l'invitation de la France et du Général de Gaulle".

Aujourd'hui, 40 ans après l'indépendance, les méthodes ont changé dans la forme, mais pas dans le fond, car l'esprit colonial, toujours vivace, continue d'imprimer l'inconscient français. Duplice, il invoque constamment les grands principes qui fondent la République, mais préside à toutes les entreprises politiques qui disqualifient les fils et filles d'indigènes et valorisent un républicanisme franco-français prétendument universaliste. Ainsi, le corps des musulmanes, écartelé au nom des nobles principes de la République, s'est peu à peu défiguré, perverti en banal objet médiatique, figure repoussoir d'une idéologie franco-centrée décidément incapable de penser l'altérité et de penser sa responsabilité dans ce qui fait l'autre et son identité contrariée.

2. Ni putes ni soumises : association féministe ou
appareil idéologique d'État ?

C'est d'ailleurs ce racisme post-colonial qui permet de comprendre l'omniprésence, dans le discours des dirigeants de Ni Putes Ni Soumises sur le voile, et plus largement sur les méfaits de la "culture de cité", du thème du "rappel" des règles ou de la "ré-affirmation" des principes. En effet, comme l'a remarqué Pierre Tévanian, il est à première vue paradoxal, si l'on reste sur le strict terrain de la laïcité, qu'une loi nouvelle, marquant une rupture avec les textes de loi fondateurs de la laïcité (en introduisant un devoir de laïcité de la part des élèves), ait pu être considérée comme un "rappel" ou un "retour" aux sources :

"La question ne peut être éludée : si les textes fondateurs des années 1880 et 1905 ne justifient pas l'interdiction du port de signes religieux par les élèves, qu'est-ce donc qui devait être "retrouvé", "réaffirmé" ou "rappelé" ? L'une des réponses possibles est la suivante : ce qui, des années 1880-1905, devait être "réaffirmé", c'est un certain ordre symbolique qu'on peut qualifier de colonial, dans lequel certaines populations, considérées comme sous-humanisées du fait de leur référence musulmane, sont vouées au statut de serviteurs dociles et invisibles ou à celui de "cible" et de "bouc émissaire". Un ordre symbolique dans lequel, de toute façon, les personnes de couleur ou identifiables comme "musulmanes" sont réduites au rang d'instrument au service de l'homme pleinement homme, autrement dit au statut d'objet parlé, étudié, commenté (et le plus souvent diffamé et insulté), et non de sujet parlant. On peut, si l'on garde à l'esprit ce passé colonial qui n'est pas passé, comprendre l'intensité des grandes campagnes médiatiques et politiques qui ont été menées ces derniers mois sur le thème de la "restauration" de "la République" : la campagne centrée sur le voile, mais aussi celles menées sur le thème du sexisme et de l'antisémitisme en banlieue. Tout se passe comme si, au tournant du siècle, les classes dirigeantes (quel que soit le pôle : PS ou UMP) avaient été prises de panique devant la mise en crise de cet ordre symbolique colonial, et devant l'émergence de diverses manifestations identitaires, religieuses, culturelles, sociales et politiques dont le point commun était la rupture avec le devoir de "réserve" et d'"humilité" imposée aux descendants de colonisés. Parmi ces faits sociaux qui ont littéralement semé la panique, figurent la visibilité grandissante de la pratique de l'islam, mais aussi les mobilisations contre la guerre en Irak ou contre la politique israélienne, mais aussi la popularité croissante qu'ont pris des combats politiques initiés par les immigrés eux-mêmes, ou par leurs enfants, notamment les combats contre la double peine, le combat pour le droit de vote des étrangers, et la lutte des sans-papiers. Il faut également mentionner la réouverture du "dossier" colonial, notamment en 2001, année marquée par un long débat sur la torture et par une importante manifestation commémorant le crime d'octobre 1961."(1)

C'est dans ce contexte qu'apparaissent, les Ô combien opportunes "Ni Putes Ni Soumises". Si l'on se souvient de la véhémence des réactions de l'UMP parisienne, mais aussi du courant chevènementiste, face à ce début de retour critique sur la période coloniale, on comprend mieux le rôle qu'a joué ce "mouvement" courant 2002 : celui d'un appareil idéologique au service d'une classe dirigeante prise de panique face à une remise en question grandissante de la légitimité de l'État (notamment du fait de la montée d'une abstention massive), et face à l'émergence d'une génération de "jeunes issus de la colonisation" affichant sans complexe leurs revendications et demandant de nouveau des comptes à la République. Les Ni Putes Ni Soumises ont aidé cette classe dirigeante à s'emparer du voile islamique, mais aussi de la question du sexisme et de celle de l'antisémitisme, afin de littéralement remettre à leur place ces "jeunes 'trop' arrogants" : à la place des accusés et non plus des accusateurs, à la place des objets de discours et non plus des sujets parlants. Ce "rappel à l'ordre colonial" constitue une espèce de revanche historique, un "on vous l'avait bien dit !", une "reconquête" de ces arabes "injustement" émancipés de la France.

3. Le retour de "l'Arabe" voleur, violeur et voileur

Souvenons-nous des images rapportées par des équipes de télévision parties en expédition "visiter" les "territoires perdus de la République" après la mort de Sohane et les premières affaires de viols collectifs : de jeunes hommes (d'origine maghrébine ou d'Afrique noire) laissant transparaître une hétérosexualité violente, une nature agressive et bestiale contre lesquelles des femmes, mi héroïnes, mi victimes vont se dresser telles des amazones de cités : les ni Putes ni Soumises. Leur credo : la lutte contre le sexisme des banlieues et le "fascisme vert". Ces combats, convenons-en, sont plus que légitimes (si tant est que l'on évalue à sa juste mesure l'influence dudit fascisme, et qu'on dise clairement quels groupes peuvent être ainsi qualifiés, et sur la base de quels critères). Ce qui dérange en revanche, c'est l'essentialisme de leur discours. Les extrapolations qu'il permet ne sont pas sans rappeler les constructions idéologiques du début du 20ème siècle qui décrivaient l'indigène comme une bête, esclave des ses sens, déjà violeur, voleur et bientôt (avec la guerre d'indépendance algérienne) voileurs de femmes. C'est la qu'intervient le "génie" politique de cette machine à broyer les luttes sociales des quartiers qu'est SOS racisme : mettre dans la bouche même de femmes issues de cette immigration post-coloniale, promues auxiliaires des classes dirigeantes comme le furent jadis les bachagas, les paroles racisantes, les mises à l'index péremptoires et les propos islamophobes que le politiquement correct en vigueur chez les élites ne saurait souffrir ou assumer pleinement. Faites entrer l'accusé ! c'est le père, le frère, le compagnon bientôt le fils. Cette image pourrait prêter à sourire s'il elle ne suscitait chez nous, filles et fils de migrants post-coloniaux, une profonde amertume. Elle n'est, en effet, que le nouveau chapitre d'une longue série de manœuvres politiques et idéologiques visant à disqualifier les colonisés et leurs descendants immigrés ou "issus de l'immigration", pour la seule gloire d'une France décidément incapable de renoncer aux privilèges de la domination.

En effet, l'ordre colonial en Algérie s'appuyait sur un système législatif rigoureux visant à l'émiettement progressif du peuple algérien. La stratégie du "diviser pour mieux régner" passait par la mise en concurrence des différentes composantes de la société. Ainsi, dès 1871, par le décret Crémieux, les autochtones juifs se voyaient accorder le droit à la pleine citoyenneté, ce qui eut comme effet immédiat, par les privilèges afférents, de les couper du corps social majoritaire et d'activer les tensions communautaires, quasi-inexistantes jusque là. Ce funeste épisode, prélude à une douloureuse amputation identitaire, non seulement privera l'Algérie de la quasi-totalité de sa composante juive, mais trouvera dans le conflit israélo-palestinien un exutoire. Ironie de l'histoire : c'est sur le sol français, lieu du "pêché originel" qu'est l'entreprise coloniale, que les communautés juives et musulmanes soldent les comptes d'une histoire enfouie mais toujours au bord de l'explosion. De la même façon fut construit le mythe kabyle, groupe ethnique ontologiquement supérieur aux arabes car proche de "l'Occident chrétien", blond aux yeux bleus, etc. Dans le cadre de cette même stratégie, la machine coloniale conçut ses supplétifs au sein même du corps social. Ceux que l'on appellera Harkis feront ainsi le sacrifice de leur âme, plus sûrement victimes de rapports de force dans le cadre de la guerre coloniale que pleinement consentants. Enfin, et sans doute trop tard pour en bénéficier pleinement la machine de propagande, comprit le bénéfice qu'elle pouvait tirer d'une campagne de libération de la gente féminine : atteindre le cœur même de la résistance algérienne en proposant comme ennemis aux femmes musulmanes, épines dorsales de la résistance, leurs propres maris, pères ou frères afin de les détourner de l'oppression coloniale. Cette entreprise de division du corps social est toujours en oeuvre dans la France de 2004. La société post-coloniale vivant en France en est à la fois victime et témoin car c'est en son sein que se situe le véritable ennemi. Ce sont les Ni Putes Ni Soumises qui l'affirment. La messe est dite !

4. Un "féminisme du dominé"

Les NPNS ? un ersatz de féminisme excluant et les putes et les soumises (entendez : les voilées), valorisant ce faisant une féminité conforme aux normes dominantes et confortant les politiques de discrimination "républicaines" à l'endroit de ces deux catégories hérétiques de femmes (2). En d'autres termes, un féminisme bon marché, taillé pour les femmes de quartiers. Ce qui le caractérise ? d'une part, l'essentialisme sexuel et la mollesse de ses positions philosophiques. Car les femmes de quartiers populaires, encastrées dans une « inoxydable féminité » (3), ne revendiquent que des droits minimaux, caractéristiques d'une citoyenneté au rabais : l'intégrité physique, le choix des tenues vestimentaires (ou plus exactement le droit de faire "le bon choix", celui de la jupe courte, car le choix de porter le voile sans être insultée ou déscolarisée ne fait pas partie de l'agenda des Ni putes ni soumises), et enfin la pacification des relations avec l'autre sexe. Tiens ! en parlant de sous-citoyenneté, Chirac n'avait-il pas dit à propos du peuple tunisien (ex-peuple colonisé) que "le premier des droits de l'Homme, c'est de manger, d'être soigné, de recevoir une éducation et d'avoir un habitat" ? et d'autre part, l'omerta (mot que Fadéla Amara affectionne) faite sur l'ensemble des violences sexistes qui traversent toutes les couches sociales de notre société et mises en évidence par l'excellent rapport sur les violences sexistes, « Liberté, égalité, sexualités » (4), exemptant ainsi le sexisme des « autochtones » de toute auto-critique et validant l'idée d'un sexisme exogène et importé par l'immigration musulmane.

Epilogue...

Le 7 février 2004, Fadéla Amara, présidente des Ni Putes Ni Soumises, et en lice avec Pierre Rosanvallon, Jean-Claude Guillebaud et Claude Nicolet (5), recevait des mains de Jean-Louis Debré, l'homme des coups de hache contre l'Église Saint Bernard et du durcissement des lois Pasqua sur le séjour des étrangers, le prix du Livre Politique de l'année.

Le week-end dernier, c'était au tour de Valérie Toranian (directrice de rédaction du magazine « Elle », Corinne Lepage (ancienne ministre et laïcarde acharnée), Bernard Stasi (ancien ministre et principal promoteur de la loi sur les signes religieux), Laure Adler (directrice de France Culture) et enfin Dominique de Villepin (ministre de l'intérieur) de lui régler son pourboire en lui rendant hommage pour bons et loyaux services.

Notes :

(1) P. Tévanian, "De la laïcité égalitaire à la laïcité sécuritaire. Le milieu scolaire à l'épreuve du foulard islamique", in L. Bonelli, G. Sainati, La machine à punir. Discours et pratiques sécuritaires, L'esprit frappeur, 2004

(2) Lois Sarkozy qui criminalisent les prostituées et loi interdisant les signes religieux à l'école alors même que femmes voilées et prostituées sont reconnues victimes de leur situation respective.

(3) N. Guénif, « Ni putes, ni soumises, ou très pute, très voilée ? », Cosmopolitiques n°4 juillet 2003.

(4) Eric Fassin, Clarisse Fabre, Belfont 2003.

(5) Pierre Rosanvallon est professeur au Collège de Fance, Jean-Claude Guillebaud, journaliste, essayiste et fondateurs de "Reporters sans frontières", Claude Nicolet, historien des institutions et des idées politiques.

Houria Bouteldja
Collectif féministe « les Blédardes »

Quelques autres textes de membres du collectif en
ligne:

http://www.lmsi.net/article.php3?id_article=228

12 mars 2004
"Et toi, pourquoi tu ne le portes pas, le foulard ?",

par Djamila Bechoua
Une Blédarde en colère

Djamila Bechoua, membre du collectif Les Blédardes, revient sur la manifestation du samedi 6 mars pour les droits des femmes, et sur les injures qu'ont adressées de nombreu-se-s manifestant-e-s au cortège "Une école pour tou-te-s", coupable à leurs yeux de s'opposer à l'interdiction du voile à l'école, et pire encore, d'accepter en son sein des femmes voilées.

" - Et toi, pourquoi tu ne le portes pas, le foulard ?

Si ça continue, je vais pas tarder à le faire ! "

Voilà ce que j'ai répondu à cette femme d'une quarantaine d'années qui m'interpellait alors que le cortège " Une école pour tou-t-es " arrivait place de la Nation. Depuis République, les insultes fusaient sur notre passage : " Salopes ! ", " Rentrez chez-vous si vous n'êtes pas contentes ! ", " Retournes en Arabie ", " Intégristes ! "... La copine qui portait la pancarte " très putes, très voilées ", pied-de-nez aux " Ni putes, ni soumises ", et témoignage de solidarité avec les prostituées contre les lois Sarkozy et avec les filles voilées contre la " loi Stasi ", fut félicitée en ces termes par une jeune femme : " j'adore votre pancarte ! Vous avez raison : en réalité, les filles voilées sont toutes des putes ! " La subtilité du message n'avait pas été comprise, et l'interprétation laissait entendre la vulgarité, l'insulte et la haine.

C'est un fait : dans les regards et les mots qui nous ont atteints, c'est bien la haine, le mépris et la xénophobie qui se sont exprimés sans , suscités par la vue de femmes voilées venues battre le pavé parisien en cette journée internationale du droit des femmes.

Mais essayons de comprendre pourquoi cette femme m'a-t-elle demandé de me justifier ? Comment moi, descendante d'immigrants algériens, non voilée, qui dans les apparences possède les attributs de ce qu'il est convenu d'appeler la "beurette émancipée", puis-je défiler aux côtés des femmes qui portent le foulard ? Une telle question est le résultat du semblant de débat qui a occupé l'espace médiatique depuis près de deux ans : l'enfermement de toutes les femmes issues de l'immigration post-coloniale dans une vision manichéenne entre la figure des "Ni putes ni soumises", incarnation de "l'émancipation féminine branchée", et la figure de la femme voilée, symbole de la soumission et de l'oppression.

Ma place était donc dans le cortège des "Ni putes, ni soumises" ? Sans hésiter, je réponds non. L'explication de ce "Non" pourrait en soi faire l'objet d'un long texte. Disons simplement que la "mise sous tutelle" des "Ni putes ni soumises" me pose problème. Ces personnalités du monde politique et du show-biz s'affichant en parrains et marraines bienveillants volant au secours des femmes des quartiers ne donnent à voir que paternalisme et "maternalisme". Comme si les femmes des "quartiers" n'étaient pas capables de se frayer leur propre chemin vers l'émancipation. Nombreuses sont celles qui n'ont attendu ni les "Ni putes ni soumises" ni leurs parrains pour le faire.

Les "Ni putes ni soumises" ont ainsi servi de caution à ce discours largement médiatisé qui promeut un modèle dominant d'émancipation, dit "occidental", qui fait appel à des notions aussi abstraites et mythifiées que la "laïcité" ou "la République", et qui, dans le contexte actuel, ne signifie qu'une seule chose : la négation de toute expression sociale, politique, culturelle ou identitaire ne relevant pas des valeurs dites "occidentales" et ne faisant pas allégeance à l'État.

Les "Ni putes ni soumises" ont très largement contribué à l'acharnement médiatique et aux attaques systématiques que subissent les populations des "quartiers", en particulier les hommes, mais aussi les femmes qui portent le foulard, si bien qu'aux formules comme "zones de non droit" et "territoires perdus de la République", usuelles pour désigner ces quartiers, il convient désormais d'ajouter la qualification de "sexiste", "machiste" et "fasciste vert".

Celles et ceux qui nous ont craché leur venin à la figure ne sont pas, détrompez-vous, des militants d'extrême droite, mais bel et bien des femmes et des hommes participant à la Marche pour le droit des femmes, et se réclamant de la gauche et du féminisme. À ces "progressistes" et ces "féministes", je dis :

S'il faut porter le foulard, pour réveiller le raciste qui sommeille en vous, je le ferai bien volontiers ! Vos injures ne traduisent que le racisme qui travaille en profondeur la société française, et nous donnent à voir les contradictions dans lesquelles vous êtes piégés : alors que nous étions venu(e)s pour soutenir l'égalité des sexes, vous nous traitez de "salopes", insulte des plus sexistes et machistes.

Vous qui clamez votre attachement aux valeurs républicaines, qui font théoriquement de celles et ceux que la France a vu naître des égaux, vous nous demandez de retourner "chez-nous", oubliant que chez-nous c'est le 20ème arrondissement de Paris, Saint-Denis, Nanterre non l'Algérie, l'Iran, l'Afghanistan ou l'Arabie saoudite dont vous nous parlez sans arrêt...

C'est précisément parce que la République manque une fois de plus à ses principes, avec cette loi visant à l'exclusion des filles qui portent le foulard, que j'étais à leurs côtés en cette journée des femmes, de toutes les femmes de par le monde qui s'arrogent le droit de crier au haut et fort leurs revendications et leurs aspirations à l'égalité.

12 mars 2004

Djamila Bechoua est membre des Blédardes

http://www.lmsi.net/article.php3?id_article=225

8 mars 2004
Féminisme ou maternalisme ?, par Houria Bouteldja

Lettre ouverte aux "femmes engagées", signataires de l'appel du magazine "Elle" pour une loi interdisant le voile à l'école.

Mesdames,

L'état d'esprit colonial est celui qui a présidé et qui continue de présider à la dépréciation des cultures arabo-musulmanes et à la dépréciation des hommes, tributaires de la culture patriarcale. Cette humiliation identitaire a comme corollaire la promotion instrumentale des femmes et l'encensement de l'idéologie universaliste française. Voici ce que Bourdieu observait déjà dans l'Algérie Française des années 60 (dans Paysans déracinés) :

"Le regroupement empêche les femmes d'accomplir la plus grande partie de leur tâches traditionnelles. C'est d'abord que l'interventionnisme des autorités s'est en quelques sortes concentré sur elles parce que, aux yeux des militaires, comme dans la plupart des observateurs naïfs, la condition de la femme algérienne était le signe le plus manifeste de la barbarie, qu'il s'agissait de combattre par tous les moyens. D'une part, les militaires ont crée presque partout des cercles féminins, d'autres part ils se sont efforcés d'abattre brutalement tout ce qui leur paraissait faire obstacle à la libération de la femme. Plus généralement, les actions militaires et la répression ont soumis à une épreuve terrible la morale de l'honneur qui régissait la division du travail et le rapport entre les sexes".

Franz Fanon, pour sa part, faisait les mêmes constatations quand il affirmait que le colonisateur avait trouvé comme ultime argument, pour délégitimer l'indigène, l'idée selon laquelle il opprimait sa femme.

L'alibi féministe consacre donc la supériorité du discours franco-centriste et exploite la condition des femmes au Maghreb ou dans les banlieues comme faire-valoir. Face à une mise en accusation permanente de la culture musulmane par les discours dominants, la mise à distance nécessaire pour objectiver les faits sociaux et leur donner du sens est difficile pour quiconque ne veut pas renier son enracinement dans une mémoire et une histoire, c'est à dire dans cette islamité entre autres. Souvent, la confrontation d'idées dévie du champ du féminisme vers le champ du civilisationnel. Les féministes médiatiques ont, en France, une fâcheuse tendance à se désintéresser de l'étude des rapports hommes/femmes pour se focaliser sur la mise en accusation de l'Islam.

Partant de ce postulat, les élites intellectuelles et politiques, faisant fi de toute analyse critique, ont vivement encouragé les femmes de l'immigration musulmane à se libérer de leurs carcans traditionnels, de leur oppression supposée ou réelle, ce qui n'a pas manqué de créer des ruptures traumatiques au sein des familles. En revanche, aucun message n'a été envoyé en direction des hommes, ne serait-ce qu'une alternative au déni d'identité dont ils étaient victimes.

C'est une guerre idéologique civilisationnelle dont l'enjeu est tout sauf féministe, d'où l'indifférence à l'égard des luttes féministes en terre d'islam ou dans les banlieues françaises quand le contexte ne se prête pas à un discours anti-islamique.

Que de féministes en France disposées à proscrire les marques de l'infériorisation des femmes ! pourtant, partout dans le monde, vêtements et parures sont sexués pour d'une part empêcher l'indifférenciation des genres et d'autre part, manifester l'asservissement des femmes à l'ordre sexiste (1). Le foulard que vous, mesdames les thuriféraires de l'ordre féministo-républicano-bourgeois, privilégiées mais surtout ignorantes des réalités sociales, ne cessez de dénigrer, ne fait que manifester ce que vos propres vêtements expriment autrement (robe, jupe, bijoux, maquillage...). Comment dire l'arrogance et la suffisance de toutes ces stars du cinéma, signataires de la pétition du magazine " Elle ", empreinte de paternalisme, pardon de maternalisme, qui appellent à une loi interdisant le foulard alors qu'elles sont, elles, subordonnées au diktat des producteurs pour lesquels une bonne actrice est une actrice qui se dénude au moins une fois dans sa carrière ! Quelle différence fondamentale y-a-t-il entre une femme que l'on oblige à se couvrir et celle que l'on oblige à se dévêtir ? Reprenons un argument que les prohibitionnistes ne cessent d'avancer pour diaboliser plus encore le voile : il est responsable des violences sexistes et même des viols commis sur les femmes qui refusent de le porter. Si un tel lien de cause à effet est vrai, nous pouvons affirmer sans complexe que la presse féminine, qui ne cesse de vanter les vertus de la minceur et diffuse des modèles esthétiques normatifs qui engendrent un rapport névrotique et coupable à son corps est responsable des décès par anorexie et doit donc être interdite !

Comment dire l'hypocrisie de la presse féminine, qui derrière des alibis féministes, est clairement une presse aliénée, réactionnaire et anti-féministe ! comment expliquer l'aveuglement devant l'ordre sexiste général et la focalisation sur l'affaire du foulard dit islamique ? la réponse est peut-être trop simple...si simple qu'on n'ose le dire de crainte de paraître excessif...Osons : l'Occident (concept mythique) continue de se vivre comme supérieur. En d'autres termes, quelle que soit la nature du sexisme des élites, des politiques, des hommes de pouvoirs, celui-ci, parce que émanant des " blancs " et nantis de la République, ne peut en rien se comparer à celui des classes dangereuses (entendez musulmans et dépendances). Il a ceci de particulier qui l'immunise contre la critique et l'absout de toute remise en question : il est occidental.

L'idéologie dominante me permettra t-elle d'avancer une hypothèse ? prenons deux figures du champ médiatique : Laëtitia Casta et Saïda Kada (une militante voilée et auteure avec Dounia Bouzar de "l'une voilée, l'autre pas"). La première est mannequin, riche et célèbre ; sa gloire est de tapisser depuis plus de 3 ans les murs du métro parisien. Soumise à une idéologie sexiste et marchande, elle est un outil au service d'un système archi-libéral...Qu'apporte t-elle à la société ? la réponse est dans la question. La seconde, voilée (et que, par ailleurs je me garderais bien d'encenser ou de promouvoir parce qu'elle cède malgré tout à la différenciation des sexes)(2), a ceci de particulier qu'elle est porteuse d'un discours politique et qu'elle remet en question les certitudes d'un Etat, ses valeurs, ses fondements et participe par sa seule présence dans l'espace public à une remise en question du discours mystificateur de ce que Deleuze appelait "les gros concepts" . Comprenez "Laïcité", "Universalisme", "République", "Raison des Lumières". Cette critique est constructive et urgente (salutaire ?) pour l'ensemble de la société. Voici ce qu'écrivait Henri Lefebvre à la veille de la seconde guerre mondiale :

"On nous a habitué à nous fier aux idées comme à des vierges éternelles, innocentes. Et voici que la dialectique nous parle de la ruse des idées. Leur idéalité cache précisément des forces brutales. La clarté sereine de la raison a couvert la domination de l'impérialisme armé et casqué !".

C'est vrai : nous vivons dans une société où règne un certain sens de l'égalité, de la laïcité : le sens qu'ont bien voulu lui donner les classes dominantes.

Devinette en guise de conclusion : combien d'années les parents des 2000 élèves voilées menacées d'exclusion par la loi "Stasi-Ferry" doivent-ils travailler pour gagner le total des revenus annuels des 60 stars de cinéma et écrivains à succès signataires de l'appel de "Elle" ?

8 mars 2003

Houria Bouteldja est membre du collectif Les
Blédardes (bled...@yahoo.fr) et co-initiatrice de
l'appel "Oui à la laïcité, non aux lois d'exception".

Une version plus courte de ce texte est parue dans
Politis le mercredi 3 mars 2004

Notes :

1- Citation Véronique de Rudder (CNRS / Université Paris 7)

2- La violence de la domination masculine dans les sphères arabo-musulmanes est bel et bien réelle et il ne s'agit pas ici de la nier ou de la minimiser. Mais il est impératif de la combattre par l'analyse des dynamiques sociologiques qui la produisent (comme l'ont fait jadis les féministes européennes) car la systématisation des discours réducteurs sur l'islam et les généralisations abusives sur les sociétés de culture musulmane renforcent les stéréotypes et conduisent inéluctablement à la défaite de l'universel.

Collectif Les Mots Sont Importants - France
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