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Népal: La capitale paralysée par un blocus et un mouvement de grève

Eric Smith, Lundi, Septembre 6, 2004 - 00:02

Service de nouvelles d'UMAG

Un blocus militaire a complètement isolé la ville de Katmandou pendant toute une semaine à compter du 17 août dernier, au moment même où les entreprises les plus importantes (et les plus détestées) du Népal étaient fermées par un mouvement de grève initié par la centrale syndicale maoïste.

(Le 30 août 2004. Service de nouvelles d'Un monde à gagner.) Un blocus militaire initié par les maoïstes a complètement isolé la ville de Katmandou pendant toute une semaine à compter du 17 août dernier, au moment même où les entreprises les plus importantes (et les plus détestées) du Népal étaient fermées par la centrale syndicale maoïste. Outre une série de revendications économiques, le mouvement visait à exiger que le gouvernement libère les centaines de maoïstes et de civilEs qui sont actuellement détenuEs un peu partout au pays et qu'il fasse connaître la situation des personnes disparuEs, qui sont au nombre de 1430 selon les propres chiffres de la Commission nationale des droits humains mise sur pied par le gouvernement (la plupart d'entre elles ont été vues pour la dernière fois alors qu'elles étaient aux mains des forces de l'ordre). Le blocus a été levé après que le gouvernement eut accepté de répondre positivement à cette dernière revendication et se soit engagé à faire la lumière sur la situation des disparuEs d'ici un mois tout au plus; les maoïstes ont déjà laissé savoir qu'ils rétabliront le blocus au terme de ce délai s'il s'avère que le gouvernement ne respecte pas son engagement. Quant aux entreprises visées par le mouvement de grève, elles demeuraient toujours fermées, aux dernières nouvelles.

Le blocus avait été décrété à l'appel des comités de district locaux du Parti communiste du Népal (maoïste) et du Conseil populaire révolutionnaire unifié -- une organisation de front uni dirigée par le Parti qui constitue l'embryon du futur gouvernement populaire. Deux éléments en particulier montrent à quel point le blocus représente un succès remarquable pour les maoïstes.

Le plus évident, c'est bien sûr la force du camp révolutionnaire révélée par la capacité des maoïstes de stopper l'essentiel du trafic, à l'intérieur comme à l'extérieur de la capitale. Déjà, en février dernier, l'Armée populaire de libération, dirigée par le PCN(m), avait réussi à imposer un puissant blocus autour de plusieurs capitales de district, en particulier dans l'ouest du pays (qui constitue depuis longtemps déjà une forteresse maoïste). L'interdiction de circuler autour de certaines villes contrôlées par le régime avait été d'un énorme secours aux masses populaires, en ce qu'elle venait empêcher les troupes de l'Armée royale de se rendre jusqu'aux villages pour y commettre leurs exactions habituelles (i.e. des meurtres, des viols et une répression généralisée). Mieux encore, le fait que l'Armée royale ait été ainsi contrainte d'utiliser ses hélicoptères pour assurer son propre ravitaillement a affaibli sa capacité offensive, tout en entamant sérieusement son budget déjà précaire. Mais là, c'est la première fois qu'une telle action est entreprise contre le plus important bastion du régime -- à savoir Katmandou, la capitale, là où son pouvoir politique, économique et militaire est concentré.

L'autre élément important, c'est la manière avec laquelle le blocus a été imposé. Comme l'a souligné la BBC, "les maoïstes ont obtenu une réponse massive et une énorme publicité sans même avoir à poser une seule bombe ou une mine sur quelque route que ce soit". Le trafic à l'intérieur et autour de la capitale s'est vu réduit de plusieurs milliers de véhicules qui y entrent et en sortent à chaque jour en temps normal, à moins de 150 lorsque le blocus a débuté -- et encore, ceux-ci n'ont circulé que sous forte escorte militaire, quand il ne s'agissait pas tout simplement de véhicules militaires. Les maoïstes n'auraient certes jamais été capables d'émettre un tel mot d'ordre et de se voir obéir même par les plus importantes compagnies de transport s'ils n'avaient pas déjà construit une force militaire assez puissante et s'ils n'avaient pas déjà sérieusement affaibli les forces armées et l'autorité du régime. De fait, leur volonté qu'ils ont su imposer au gouvernement et aux entreprises était en fait et très clairement celle d'une bonne partie - et d'une partie grandissante -- de la population. Tel est le "secret" qui permet d'expliquer pourquoi le blocus fut réussi, même s'il n'y a pas eu d'affrontements majeurs sur le plan militaire.

Le mouvement de grève, organisé par la Fédération syndicale (révolutionnaire) du Népal (All Nepal Trade Union Federation [Revolutionary]), a obtenu en outre un soutien sans précédent au sein de la population en général. Parmi les entreprises qui ont été visées, mentionnons l'Hôtel Soaltee, la Surya Nepal Pvt Ltd, la Bottlers Nepal Ltd, l'Elite Oil Store, la Tankeshwar Garment Industry, la Pashupati Spinning Mill, la Shanghai Plastic Industry, Norsang Carpet, Srawan Garment, Yeti Fabric et la Makalu Yatayat Pvt Ltd. La majeure partie d'entre elles appartiennent à la famille royale ou à ses hommes de main, qui forment une coterie féodale qui exploite la nation de mille et une manières. Les branches locales de compagnies telle Coca-Cola et d'autres appartenant à des intérêts américains, britanniques, allemands et français ont également été ciblées par le mouvement de grève.

Les apologistes de l'impérialisme prétendent de manière mensongère que ces entreprises représentent un actif pour l'économie du Népal parce qu'elles fournissent des emplois aux ouvriers népalais. Mais en réalité, les investissements impérialistes contribuent non seulement à exploiter la main-d'œuvre à bon marché du pays, mais empêchent le développement d'un véritable capitalisme national. Ces entreprises symbolisent le capital comprador (i.e. la bourgeoisie dépendante de l'impérialisme) et les féodaux tyranniques qui dirigent l'État capitaliste bureaucratique. Le PCN (maoïste) identifie la contradiction principale au Népal (que l'actuelle guerre populaire vise à résoudre) comme étant celle qui oppose le peuple népalais à l'État réactionnaire représentant le féodalisme et le capitalisme bureaucratique, et appuyé par l'impérialisme et l'expansionnisme indien. Pour renverser le vieil État, les maoïstes s'appuient sur la guerre populaire, et non sur les grèves: contrairement à ce qu'ont prétendu certains journalistes particulièrement bêtes, les maoïstes ne s'attendaient aucunement, à cette étape-ci, à ce que le mouvement de grève et le blocus de la capitale provoquent le déclenchement d'une insurrection à Katmandou. En fait, ces actions font partie du processus à travers lequel le Parti cherche à affaiblir le régime réactionnaire et à préparer les masses citadines à se soulever, lorsqu'il évaluera que le temps est mûr pour une insurrection urbaine, en lien avec l'encerclement victorieux des villes par les campagnes.

Les organisations maoïstes avaient fait connaître publiquement leur appel à la grève et au blocus de la capitale plusieurs semaines à l'avance, dans le but de populariser leurs objectifs et de permettre aux gens de s'organiser et de s'y préparer. Le régime avait été enjoint de répondre positivement aux revendications du mouvement, incluant la punition des criminels responsables de l'assassinat récent de révolutionnaires dans la vallée de Katmandou, dont Bharat Dhungana (un dirigeant populaire de Nuwakot, tué par l'Armée royale) ainsi qu'un camarade du mouvement étudiant assassiné à Dhading le mois dernier. Afin de contrecarrer le mouvement de grève, le régime avait déployé un millier de membres de l'Armée royale dans le district d'Acham et ordonné l'encerclement de la ville de Binayek et du bazar de Kamal. Mais les forces locales de l'Armée populaire de libération les avaient contraints de retourner dans leurs casernes, moins d'une semaine après le début de leur opération.

Parmi les compagnies ayant reçu l'ordre de cesser leurs activités à compter du 17 août, on retrouve entre autres l'Hôtel Soaltee, propriété de Gyanendra Shah -- celui-là même qui s'est auto-proclamé roi du Népal après l'assassinat du roi Birendra il y a trois ans. Ses porte-parole ont d'abord émis un communiqué affirmant qu'ils n'avaient aucunement l'intention de satisfaire les revendications des maoïstes. Le 16 août, quatre bombes ont donc explosé sur la propriété de l'hôtel, à titre d'avertissement, avec pour résultat que dès le lendemain, l'ensemble des entreprises visées par le mouvement ont interrompu leurs activités et sont demeurées fermées! On ne rapporte par ailleurs aucune victime civile ni aucun blessé suite aux différentes actions armées qui ont été menées par les maoïstes, que ce soit en préparation de la grève et du blocus ou pendant son déroulement.

Le blocus de Katmandou a donc débuté tout de suite après la paralysie du secteur industriel. Les petits propriétaires et entrepreneurs ont respecté les consignes en restant à l'écart des principaux axes routiers. Les maoïstes ont contraint quelques grandes compagnies de transport comme la Makalu Yatayat de fermer, à la grande joie des petits propriétaires que ces grandes entreprises liées à l'État essaient d'écraser. Prise de panique face au large soutien obtenu par le mouvement de grève, l'Armée royale a ordonné à certains chauffeurs de prendre la route, à la pointe du fusil. Elle a également utilisé des hélicoptères pour escorter certains autocars et camions dans leurs allées et venues autour de Katmandou.

Les porte-parole des gouvernements américain, britannique, français et allemand ont condamné les actions menées par les maoïstes et se sont déclarés solidaires du régime réactionnaire moribond et haï du Népal. Même après que le gouvernement nommé par le roi eut tenu une réunion spéciale et annoncé qu'il allait enfin faire la lumière sur le sort des personnes disparues à l'intérieur d'un délai d'un mois, le Département d'État a émis un communiqué à Washington condamnant "ces actes répréhensibles qui ne font de tort qu'aux innocents et qui affaiblissent une économie déjà fragile". Selon ce que rapporte la presse népalaise, le communiqué du Département d'État ajoute que "les menaces et la violence exercées par les maoïstes sapent le développement économique, social et politique et montrent qu'ils n'ont aucune considération pour le bien-être du peuple népalais". Le même communiqué affirme enfin que "les États-Unis rejettent fermement l'intimidation, le terrorisme et les menaces de violence contre la population civile... Les griefs légitimes des Népalais doivent être résolus par des moyens politiques pacifiques."

Quel comble!, de la part d'un gouvernement qui est tout sauf pacifique comme on le voit en Irak et partout ailleurs dans le monde, et qui est un des principaux piliers et fournisseurs d'armes du régime monarchique au Népal!

L'envoyé britannique Sir Jeffery James a quant à lui tenu une conférence de presse pour dénoncer la grève. "Nous sommes extrêmement préoccupés par les menaces faites aux gens d'affaires et à la population en général au Népal", a-t-il alors déclaré. Mais la vraie menace qui pèse sur les gens d'affaires authentiquement népalais et sur la population en général dans ce pays provient de la domination de l'impérialisme et de ses laquais féodaux réactionnaires. De la même manière, l'adjoint au secrétaire général des Nations unies et directeur général de l'UNICEF Kul Chandra Gautam a exhorté les maoïstes de mettre fin au mouvement de grève, alors qu'il prenait la parole devant le Nepal Council for World Affairs, à Katmandou: "Si les maoïstes pensent avoir l'appui de la population, ils devraient rendre les armes et participer aux élections!" Tel une grenouille qui n'arrive pas à voir plus loin que l'étang boueux dans lequel elle se trouve, Kul Chandra est incapable d'envisager un avenir meilleur pour le peuple népalais que celui des élections et du parlementarisme réactionnaires. Quant à lui, le gouvernement indien a immédiatement appelé le Premier ministre népalais Sher Bahadur Deuba pour qu'il vienne faire rapport sur la situation qui prévaut au Népal. New Delhi a également invité les chefs des principaux partis politiques népalais à faire de même. Il semble d'ailleurs que le roi Gyanendra lui-même ait été sur le point de se présenter en Inde! Pendant la grève, les autorités indiennes ont menacé de ravitailler le gouvernement népalais par la voie des airs (cette idée a toutefois été rapidement abandonnée étant donné les réactions outrées qu'elle a entraînées au Népal). Comme on le voit, le mouvement de grève et le blocus de Katmandou ont ébranlé non seulement les féodaux et les bureaucrates du Népal, mais également leurs maîtres impérialistes et indiens.

Au moment où le blocus se déroulait dans la vallée de Katmandou, le comité du PCN(m) du district de Kavre et le gouvernement populaire local annonçaient l'imposition d'un embargo similaire dans cette région et ce, à compter du 24 août. Des annonces semblables ont suivi dans les districts de Dolakha et de Sindhupalchok, tous deux situés à l'est de la capitale. Dans la région de Mithila, un mouvement de protestation contre les arrestations arbitraires et les assassinats commis par le gouvernement a entraîné la fermeture de toutes les activités pendant deux jours, les 25 et 26 août.

Parallèlement, sur le front militaire, un contingent de la 5e Brigade de l'Armée populaire de libération a mené une action contre l'Armée royale le 24 août dans le district de Sindhupalchok, liquidant au moins quatre soldats ennemis. Selon les compte rendus qui ont été publiés dans les médias, les forces de l'APL se sont alors emparées de plusieurs armes et n'ont subi aucune perte. Une unité de la 3e Brigade de l'APL avait quant à elle attaqué le quartier général du district de Jumla le 21 août, procédant à la mise en arrestation des autorités locales et y libérant trois prisonniers politiques. Le journal maoïste Janadesh, qui en a fait le bilan, rapporte qu'un membre du l'APL de même qu'un soldat de l'Armée royale ont alors perdu la vie.

* * *

Article paru dans Arsenal-express, nº 19, le 5 septembre 2004.

Arsenal-express est une liste de nouvelles du Parti communiste révolutionnaire (comités d'organisation).

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